Art. 4 – Et maintenant, je fais quoi ?


IMG_0499(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Le jour J est arrivé ! Pierre est là, prêt à m’assister pour le premier déplacement de mon bateau. A l’heure actuelle, il m’est encore inimaginable de manœuvrer moi-même Nautigirl. Cela semble ironique mais c’est vrai. Je suis consciente tout de même qu’il va vite falloir me mettre dans le bain…

Pour le moment, j’essaie de me concentrer sur la dernière mission à mener à bien avant de quitter la marina : le grattage de la coque. Les longs cheveux verts qui stagnent à la surface de l’eau laissent imaginer l’épaisseur de verdure qui doit l’envelopper et qui ralentira atrocement l’allure si l’on ne s’en occupe pas avant.

Rien qu’à l’idée que je vais faire trempette volontairement dans l’eau polluée du port me dégoûte déjà… Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces bateaux soigneusement alignés les uns à côtés des autres… Autant de toilettes dont il faut bien évacuer les déchets quelque part… et tous ne sont pas équipés de réservoirs à eaux noires et Nautigirl fait partie de ceux là… Beurkkkkkkk !

Nous sommes parés. Masques et tubas sur la tête. Une raclette chacun. Nous sautons à l’eau. Chacun s’occupe d’un côté pour aller plus vite. Je racle consciencieusement l’antifouling(*) en essayant de ne pas laisser courir mon imagination qui a tendance à devenir débordante dans une eau opaque. En Polynésie, j’étais capable de nager au milieu des requins sans éprouver de frayeur parce que la mer est limpide et ici, j’aurais presque peur de mon ombre car on y voit pas à plus d’un mètre… Je laisse à Pierre le soin de s’occuper de la quille… des deux côtés… Ca m’angoisse de sonder plus en profondeur… Un coup de brosse métallique sur l’hélice et son arbre et nous ressortons nous rincer soigneusement à l’eau douce sur le ponton. J’ai l’impression de sentir ma peau me démanger. Mon imagination court de nouveau. J’espère que je n’aurais pas la surprise de me voir pousser de gros boutons purulents suite à ce passage prolongé dans ce bouillon de culture.

Cette fois-ci, nous sommes prêt ! Je vais enfin naviguer pour la première fois avec mon bateau. J’ai honte de dire cela parce que, normalement, quand on achète un voilier, on demande à faire un tour avec, on ne se contente pas de le regarder, bref, on l’essaye… Et bien, ça ne m’était même pas venu à l’idée !!! Je croise les doigts pour ne pas découvrir un défaut majeur.

Anxieuse, je largue les amarres et Pierre nous dirige hors du méandre que constituent les différents pontons de la marina. Nous sortons enfin de l’enclave et prenons la direction des Anses d’Arlet à quelques milles nautiques de là. Je me repose complètement sur lui pour nous orienter car je n’ai encore aucun logiciel de navigation à bord et je ne connais pas la côte. Incapable de reconnaître le paysage que je vois défiler, je me laisse donc guider.

Je reprends la barre pendant que Pierre tente de hisser la grand-voile(*). Il trouve qu’elle est difficile à hisser sur les derniers mètres. Il faudra qu’il monte au mat pour aller voir me dit-il. Ok, super… un premier problème à régler… Nous déroulons le génois(*) et je suis surprise de constater à quel point il recouvre une grande partie de la grand-voile. Nous coupons le moteur et nous commençons à tirer quelques bords. Je profite des conseils de Pierre qui est également moniteur de voile. Le bateau réagit bien. Je suis heureuse !

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Nous atteignons rapidement les Anses d’Arlet. Je vois les mâts dépasser au loin indiquant l’emplacement du mouillage. Nous nous glissons entre les bateaux à la recherche de celui de Pierre qui me guide pour ancrer correctement. Ca y est, les deux jumeaux sont l’un près de l’autre. La copie du mien présente une coque bleue foncée, pas de portique à l’arrière ni de capote mais il a bien la même ligne effectivement. Je gonfle l’annexe(*) pliable que j’ai à bord et nous ramons jusqu’à terre pour fêter l’évènement avec le coéquipier de Pierre que nous récupérons au passage.

La fin de la semaine arrive vite. Je rencontre Ben à bord d’un voilier de 7,60 mètres de type Sangria(*). Il a traversé l’Atlantique sur son mini-bateau en compagnie de deux autres équipiers qu’il a débarqué au Marin, au sud de la Martinique. A l’heure actuelle, il vit à bord avec sa copine. Il cherche à vendre son zodiac motorisé car il préfère se déplacer en kayak. Pas besoin de gonfler quoi que ce soit, pas d’essence à acheter, pas de panne à résoudre et donc plus d’économie de temps et d’argent à terme. Il vient d’ailleurs d’acheter deux magnifiques kayaks flambants neufs qui trônent sur de chaque côté du pont.

Et justement, moi, je n’aime pas mon annexe et son fond souple à latte. Elle faisait partie de l’équipement fourni à l’achat avec le bateau. Chaque fois que je grimpe à l’intérieur, j’ai l’impression que les lattes vont péter sous mon poids et que je vais traverser le fond souple. L’annexe de Ben, elle, a un plancher gonflable qui, bien gonflé, imite presque un plancher rigide. Et ça semble être solde car je vois même Ben, avec 80 kilos, sauter dedans depuis le pont de son bateau, sans sourciller. Et son petit moteur me fait envie également. Mon annexe n’est pas motorisé. C’est tout à la rame et je n’ai pas de dames de nage(*) du coup, il faut soit ramer à deux, chacun une rame de son côté, soit ramer à l’avant seul en pagayant une fois à gauche, une fois à droite (pas très efficace…). Et un 4 temps Yamaha de 2,5 chevaux qui pèse dans les 13 kilogrammes, c’est facile à porter et à déplacer pour moi.

Je fais part de mes projets à mon conseilleur qui semble vouloir apporter son grain de sel dans tout ce que je fais, quitte à prendre les décisions à ma place… Ben a prévu de quitter le mouillage le lendemain matin, dimanche, et Pierre, qui n’est pas disponible de la journée, me propose d’aller voir ensemble l’annexe et son moteur juste avant son départ, à 8h00. Ok… Le soir même, je les vois, lui et son coéquipier, se faire entraîner par une troupe surexcitée dans une fiesta à quelques kilomètres de là tandis que moi, je décide de rester tranquillement à bord de mon voilier à bricoler.

Le lendemain matin, je vois le temps défiler sans réussir à joindre Pierre. Personne sur son bateau. Vers 9 heures, je décide de partir à sa recherche à terre et, en route, je croise son coéquipier en train de nager dans ma direction, un sac plastique sur la tête et nu comme un ver. Je l’interpelle en faisant semblant de ne rien remarquer. Il ne sait pas où est Pierre. Ils étaient ensemble jusqu’à très tôt ce matin, ensuite il a suivi une copine et il l’a perdu de vue. Là, il ne souhaite plus qu’une seule chose, c’est d’aller dormir pour récupérer. Et il nage tout nu avec ses affaires bien au sec dans le sac qu’il a sur la tête car quelqu’un lui a piqué le short de bain qu’il portait hier pour nager jusqu’à la plage, qu’il avait pourtant planqué et laissé sécher dans une barque qui trainait là bas. Et non, il n’avait pas eu envie de tremper son jean…

Ben m’appelle sur mon téléphone. Il est pressé de partir. Du coup, je décide d’aller le voir pour traiter en tête à tête. Re-belote. Je me trouve de nouveau devant un objet que je souhaite acheter sans avoir les connaissances techniques nécessaires. Ca commence à bien faire… Après tout, je me suis débrouillée seule pour le voilier, Ben a l’air honnête, on verra bien.

Il m’emmène faire un petit tour avec lui pour tester le Yamaha. Démarrage au quart de tour, pas de raté. Il soulève le capot et dévoile l’intérieur du moteur qui a l’air vraiment propre comme s’il venait d’essuyer méticuleusement chacune des pièces avec un chiffon. Ca m’impressionne. Il m’assure qu’il fonctionne bien, qu’il l’a toujours entretenu lui-même et qu’étant électro-mécanicien de métier, il sait ce qu’il fait. Je veux bien le croire. Vraiment je suis tentée… Et son annexe date de l’année précédente, elle est donc récente et devrait résister longtemps aux UV agressifs du soleil. Vraiment ce combo zodiac et moteur est tentant. Et puis je suis certaine de pouvoir facilement revendre ma propre annexe plus tard. « Ok, tope là, je t’achète l’ensemble !!! ».

Je reviens sur Nautigirl toute heureuse. Je réalise alors que Pierre et son coéquipier sont en train de prendre le café ensemble sur leur bateau. Je plonge à l’eau pour les rejoindre et me faire inviter. Enthousiaste, je leur explique la situation. Et là, encore, je vois Pierre changer d’attitude. Au lieu d’être heureux pour moi, il semble me reprocher de ne pas l’avoir attendu (deux bonnes heures quand même…. un rendez vous à 8 heures du matin, honoré à 10h… là le soit-disant « délai légal du retard martiniquais » était arrivé à expiration d’après moi…), de n’en faire qu’à ma tête et que si c’est comme ça, il récupère ses outils sur mon bateau et que je n’ai plus qu’à me débrouiller seule.

Choquée et interdite devant son attitude que je ne comprends pas, je tente de m’expliquer. Je l’ai attendu, il n’était pas disponible et je ne voulais pas laisser passer une bonne affaire, ça se comprend, non ? Et puis quoiqu’il arrive, je suis adulte, non ? Si je fais une erreur, et bien tant pis pour moi, où est le problème ? Pourquoi le prend-t-il mal ?Impossible de lui faire entendre raison… Je ne comprends pas la brutalité de sa réaction, ni de ses paroles. Je suis dégoûtée et je ne peux m’empêcher de penser qu’il a véritablement un problème avec ses sautes d’humeur inexpliquées…

Enervée, je lui réponds alors que si telle est sa décision, pas de souci, je me débrouillerai. Et sans attendre sa réponse, je saute à l’eau pour rejoindre mon voilier à la nage. Trois minutes après, il me rejoint, attrape les 2 ou 3 outils qui lui appartiennent et remonte sur son annexe. Il se tourne alors vers moi en me lançant avec un sourire de défi un « bonne chance » bien narquois et il s’éloigne…

ET MAINTENANT, JE FAIS QUOI ?


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau au mouillage.

Antifooling : peinture couvrant la partie immergée de la coque et contenant des produits toxiques destinés à empêcher le développement des mollusques et des algues.

Dames de nage : rien à voir avec des femmes en train de nager, non ! c’est un objet, parfois en forme de fer à cheval à l’envers, qui sert à fixer une rame sur l’annexe.

Génois : c’est une voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Grand-voile : c’est la voile principale du navire, hissée sur le mât.

Sangria : nom d’une série de voiliers construits en résine polyester par Jeanneau de 1970 et 1983 destinés à la croisière côtière et faisant partie des voiliers qui ont démocratisé la voile en France.

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