Portrait 6 – Laura DEKKER, une ado qui n’a pas froid aux yeux

Je suis arrivée il y a quelques semaines sur l’île de Saint-Martin, l’île où Laura DEKKER, une adolescente néerlandaise, a bouclé le tour du monde à la voile, en solitaire avec escales en janvier 2012 à l’âge de 16 ans et 123 jours. Ceci a fait d’elle la plus jeune navigatrice à réaliser le tour du monde, battant de 8 mois le précédent record détenu par l’australienne Jessica WATSON qui, elle, reste toutefois la plus jeune navigatrice à avoir effectué un tour du monde à la voile sans escale en passant par les trois caps ! Des records établis mais non reconnus par les organes officiels qui refusent d’attribuer des records à des mineurs d’âge, pour éviter toute tentative dangereuse de record.

Pour réaliser son rêve, L aura a dû se battre farouchement. En effet, en 2009, à 13 ans, elle elle affiche déjà son intention de faire le tour du monde seule et sans assistance avec un départ qu’elle prévoit au mois de septembre. Malheureusement pour elle, les services de la protection de l’enfance s’opposent à cette idée qu’ils jugent trop dangereuse, les garanties présentées pour sa sécurité leur paraissant insuffisantes. Ils obtiennent donc la suspension du départ grâce à une mesure de justice.

Butée, Laura encourage ses parents à se battre avec elle devant les tribunaux pour prouver qu’elle a les capacités mentales et physiques pour réaliser son rêve.

Au bout de 10 mois de procédures, elle finit par gagner. Le tribunal rejette en juillet 2010 la demande de prolongation jusqu’en août 2011 du placement de la jeune fille sous la surveillance du Conseil de protection de l’enfance. Ce dernier renonce à interjeter appel contre cette décision. Il convient que ce sont les parents de Laura qui portent la responsabilité finale concernant leur enfant même s’il considère qu’un enfant de 14 ans ne devrait pas être exposé aux risques inutiles que comporte un tel voyage en solitaire.

Laura a le feu vert ! Il faut dire qu’elle a de l’expérience malgré son jeune âge. Son père est constructeur de bateaux et il a navigué au long cours pendant 7 années avec sa mère qui a donné naissance à Laura en Nouvelle-Zélande sur le bateau ! Elle navigue depuis son plus jeune âge. Quand ses parents divorcent en 2002, elle a 6 ans et elle décide de vivre avec son père aux Pays-Bas où elle continue à faire de la voile sur des bateaux de plus en plus grands. Elle commence par un Optimist, puis un dériveur de type « Mirror ». A 10 ans, elle veut un voilier avec une cabine. Ce sera donc un Hurley 700 qu’elle emprunte à son propriétaire pour faire ses premières longues distances en solo dans les eaux néerlandaises avant d’acheter le sien. A 13 ans, sur son Hurley 700, elle navigue seule jusqu’en Angleterre où elle est arrêtée par la police britannique sous les ordres des autorités hollandaises qui considèrent qu’elle n’aurait pas dû faire une telle navigation solo. Elle est remise aux mains de son père qui a été enjoint de se rendre en Angleterre et celui-ci l’autorise à repartir seule à la voile aux Pays-bas ! En effet, il sait ce que vaut sa fille et il l’a toujours encouragé. Elle commence alors à préparer son tour du monde. Cela commence par la recherche d’un bateau plus grand. Le Hurley 700 est bientôt vendu pour faire place à un Hurley 800 offert par un sponsor. C’est à cette période que le Conseil de protection de l’enfance commence à s’intéresser à son cas d’un peu trop près et les autorités lui retirent même son bateau. Laura ne se laisse pourtant pas abattre. Elle trouve sur internet un Dufour Arpège de 9 mètres en vente sur l’île de Saint-Martin et elle décide, sans rien dire à personne, de se rendre là-bas pour l’acheter. Elle retire ainsi 3.500 euros de son compte d’épargne et laisse juste une note à son père avant de partir en train à Paris d’où elle prend l’avion pour l’île des Caraïbes. Sur place, elle contacte le broker chargé de la vente du voilier et au-moment de signer les papiers, elle voit la procédure interrompue lorsque ce dernier est averti d’un mandat international de recherche pour Laura. Il est obligé de l’accompagner au Yacht-Club tout proche où l’attend la police locale qui la renvoie aux Pays-Bas sous escorte. Cela ne va pas arranger ses déboires avec la justice et cela l’empêche d’obtenir de nouveaux sponsors. Toutefois, elle n’abandonne pas son rêve. Elle travaille dur pour répondre à plusieurs demandes des juges : elle obtient notamment son brevet de secourisme, elle suit une formation sur la gestion du sommeil, elle s’assure de pouvoir poursuivre sa scolarité pendant son tour du monde grâce à des cours par correspondance. Sa famille puise dans ses propres économies pour lui permettre d’acheter un vieux Gizz Fizz, un ketch (voilier à 2 mâts) de 11,50 mètres, de chez Jeanneau qu’elle va entièrement refaire avec l’aide de son père. C’est le fameux Guppy avec lequel elle va établir son record.

Laura quitte enfin le port de Den Osse aux Pays-Bas le mercredi 4 août 2010, en compagnie de son père, pour rejoindre Lisbonne au Portugal d’où elle compte commencer son tour du monde à la voile en solitaire avec escales et assistance en prenant la route de l’Ouest. Malheureusement, arrivés là-bas, la paire se heurte de nouveau aux autorités qui ne veulent pas laisser partir Laura seule. Ils rejoignent donc Gibraltar, ancienne colonie britannique, extérieure à l’Europe où ils espèrent que le gouvernement hollandais n’arrivera pas à interférer à temps pour empêcher Laura de partir. Le 21 août 2010, elle commence enfin son voyage solo.

Sa route a été la suivante :
21 au 25/08/2010 : Gibraltar – Lanzarote (Canaries) : 650 milles
21/09/2010 : Lanzarote – Gran Canaria (Canaries) : 130 milles
10 au 16/11/2010 : Gran Canaria (Canaries) – Sal (Cap Vert) : 780 milles
17 au 18/11/2010 : Sal – Sào Nicolau (Cap Vert) : 85 milles
02 au 18/12/2010 : Sào Nicolau (Cap Vert) – Saint Martin : 2223 milles
20 au 21/01/2011 : Saint-Martin – Les Saintes : 154 milles
26/01/2011 : Les Saintes – La Dominique : 20 milles
02 au 05/02/2011 : La Dominique – Bonaire : 450 milles
14 au 19/03/2011 : Bonaire – San Blas : 670 milles
29 au 30/03/2011 : San Blas – Colòn (Panama) : 80 milles
10/04/2011 : Colòn (Panama) – Canal de Panama : 43 milles
16/04/2011 : Panama – Las Perlas : 50 milles
19 au 26/04/2011 : Las Perlas – Galàpagos : 900 milles
08 au 25/05/2011 : Galàpagos – Hiva Oa (Marquises) : 3.000 milles
01 au 06/06/2011 : Hiva Oa (Marquises) – Tahiti : 700 milles
13/06/2011 : Tahiti – Moorea : 18 milles
17 au 18/06/2011 : Moorea – Bora-Bora : 130 milles
27/06 au 09/072/011 : Bora-Bora – Tonga : 1.300 milles
14 au 17/07/2011 : Tonga – Suva (Fiji) : 470 milles
27/07 au 30/07/2011 : Suva (Fiji) – Port Vila (Vanuatu) : 600 milles
09 au 24/08/2011 : Port Vila (Vanuatu) – Darwin (Australia) : 2.400 milles
26/09 au 11/11/2011 : Darwin (Australia) – Durban (South Africa) : 6.000 milles
17 au 19/11/2011 : Durban – Port Elizabeth (South Africa) : 420 milles
24 au 26/11/2011 : Port Elizabeth – Cape Town (South Africa) : 470 milles
12/12/2011 au 21/02/2012 : Cape Town (South Africa) – Saint Martin : 5.800 milles.

Sur son trajet, elle prend le temps de s’arrêter un peu partout. Elle prend des photos, filme des bouts de son aventure, elle affronte des tempêtes et réussit à rentrer saine et sauve à Saint-Martin. Au total son périple aura duré 1 an et demi. 400 personnes sont présentes pour l’applaudir lorsqu’elle accoste au ponton du Yacht-Club. Parmi elles, ses parents, sa sœur et de nombreux proches bien évidemment.

Laura vient de prouver que, même si tout tout le monde ne peut pas faire un tour du monde à la voile en solitaire, elle, elle en est capable !

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Portrait 5 – Patrick LOCHNER : une belle démonstration de sang-froid

Avant de rencontrer Patrick « pour de vrai » dans une des îles des Caraïbes, j’avais déjà entendu parler de lui grâce à un forum bien connu du milieu des voileux : le site hisse-et-oh.

Un fil de discussion s’était ouvert sur l’arrivée imminente de l’ouragan Irma sur les îles françaises de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy. Et c’est en lisant les commentaires afférents que j’étais tombée sur un message que Patrick avait posté le samedi 02 septembre 2017 en fin de soirée : « Hello, j’ai finalement pu trouver un billet pour St Martin. Arrivée demain en fin d’après-midi préparation du bateau, avitaillement, et je descends plus au sud lundi au plus vite, à priori sur la Guadeloupe, à Baie Mahault. En cas de houle de Sud, Sud Est, ou Sud Ouest, ce sera parfait comme abri….enfin, j’espère ! Des copains sont en train de quitter la Martinique, pour filer sur Grenade… Ça ne sent pas très bon, tout ça… ». Bref, ce gars était en France alors que son voilier était à Saint-Martin et il venait de décider de faire tout son possible pour le sauver ! En réponse à son message, chacun émettait son avis. Certains le trouvaient imprudent, estimant que son planning était trop serré, qu’il risquait d’avoir de trop mauvaises conditions en mer et qu’il n’aurait pas le temps d’atteindre son but sans se mettre en danger. D’autres, au contraire, saluaient sa détermination.

Avant de prendre son avion à Paris, Patrick a pris le temps de rassurer un peu les dubitatifs du forum : « Hello, ça devrait être du portant, je compte être parti vers 11h, arrivé 28h après à Baie Mahault… Ça me laisse le temps de m’installer. Peu de vent(!), faudra sûrement aider aux moteurs pour être un peu au dessus des 5 nœuds de moyenne. Je risque d’avoir un début de houle, jusqu’à 2m, dans le sens du vent, à priori, et sur les derniers miles. Pas moyen de partir aujourd’hui, de toute façon… Rafales à + de 100 nœuds annoncées sur Marigot…y a pas à tortiller!!! ». S’en est ensuivi toute une série de commentaires sur IRMA, la route qu’elle prenait, sur les risques à laisser son bateau à la bouée ou au ponton même dans des lieux éloignés du centre de l’ouragan en raison de la forte houle attendue etc…

Et puis… plus rien… plus de nouvelles de Patrick… Nous ne savions pas s’il avait bien pris son avion, s’il était parti en bateau comme prévu… Si les conditions en mer étaient « affrontables ». Tout ce qu’on lisait sur le forum, c’était à quel point IRMA se renforçait rapidement, devenant peu à peu le monstre que l’on sait.

Dimanche 03 septembre, il était censé prendre l’avion. Lundi 04 septembre, il était censé finir de préparer son bateau en toute hâte et partir. Pour qui connaît le monde des bateaux, après une période d’inactivité, il est nécessaire de passer quelques heures à préparer le voilier avant de partir : mise en place des voiles, écoutes, drisses etc s’il a été désarmé, contrôle des niveaux et du moteur, nettoyage de la coque (les algues ralentissent considérablement la vitesse de croisière habituelle), brossage de l’arbre et de l’hélice, et bien sûr avitaillement en eau et nourriture pour le skipper et l’équipage. Bref, le timing était serré ! De plus, il comptait 28 heures de navigation et en partant à 11 heures du matin, cela le faisait arriver, selon ses prévisions, vers 15 heures en Guadeloupe le mardi 05 septembre, le passage du cyclone sur St Martin étant attendu le mercredi matin…

Ainsi, mardi soir, alors qu’IRMA était devenu l’un des pires ouragans que le bassin Atlantique ait connu, avec une pression à 927 hPa et des vents de l’ordre de 300 km/h relevés dans le nord immédiat du système, que la Martinique et la Guadeloupe étaient passées en vigilance rouge, un intervenant du forum écrivait : « Il ne nous resterait qu’à trouver la position de Patrick… A lui seul, il cristallise toute l’énergie des voileux à préserver leur bien le plus cher et parfois leur habitat. Toute mon énergie positive pour vous messieurs et mesdames et vos bateaux ». Message suivi par celui d’une autre personne : « Suis inquiet de son timing si vitesse prévue 5 nœuds ».

Bref, en plus, de l’effarement dont nous faisions preuve en voyant IRMA se renforcer tout en se rapprochant des îles qu’elle s’apprêtait à impacter, nous étions tous dans l’attente des nouvelles de Patrick que nous ne connaissions pas mais dont nous nous sentions curieusement si proches…. Car tous, si IRMA avait touché la zone où nous étions avec nos bateaux, nous aurions eu à prendre la lourde décision qu’il avait prise : tenter de partir le plus loin possible avec notre voilier pour se mettre à l’abri malgré les risques que cela encourt, ou accepter notre sort et juste sécuriser au mieux le bateau en le laissant là où il était…

Et ce n’est que le lendemain, le mercredi 06 septembre, le jour même où l’île de Saint Martin a été détruite à 95% qu’un membre du forum et ami de Patrick nous signale sur le forum que tout va bien, qu’il a réussit à rejoindre la Guadeloupe et qu’il est à l’abri !

Maintenant que vous connaissez ma version de l’histoire (derrière mon écran d’ordinateur), voici celle de Patrick que j’ai rencontré « pour de vrai » (le monde des voileux est petit) et qui a bien voulu nous faire partager son expérience…

« J’ai dû m’absenter un mois et demi des Caraïbes. J’avais prévu initialement de laisser mon catamaran, « Capsun », au ponton dans une marina bien abritée en Martinique mais impossible de trouver une place disponible pour cette période en pleine saison cyclonique. Je m’étais donc résolu à laisser mon voilier à Saint Martin, sur un corps mort dans le lagon côté marina Port Royal.

Une fois rentré en métropole, je suivais bien sûr très attentivement l’évolution des conditions météorologiques dans le coin grâce notamment à la page Facebook d’Olivier Tisserant qui y analyse comme personne les phénomènes inquiétants et qui y transmet les informations de manière claire et concise sans jamais se montrer alarmiste. C’est d’ailleurs grâce à un échange avec lui que j’ai pris la décision le samedi 02 septembre de récupérer mon bateau à tout prix et de le mettre à l’abri plus au sud.

Il est 16 heures quand je prends la décision. Branle-bas le combat ! Je réserve mon vol Paris-Grand Case (Saint Martin) en passant par Fort de France (Martinique) et Pointe à Pitre (Guadeloupe) tout en vérifiant que mon timing tient la route.

Je préviens rapidement famille et amis de mon départ et me présente à Orly le lendemain matin, dimanche 03 septembre, à 6h30. Impossible de dormir durant le trajet, je ressasse mon plan dans ma tête : trouver un taxi en arrivant, faire quelques courses, trouver un moyen de rejoindre mon bord, remettre le bateau en ordre (re-brancher les batteries, remettre en route les moteurs, préparer les voiles, ré-installer l’annexe sur les bossoirs etc…).

Sur place, tout se passe rapidement et conformément à mon plan. Aucune mauvaise surprise : les batteries n’étaient pas à plat, les deux moteurs ont démarré du premier coup…

Il est 23 heures, heure locale, quand je vais me coucher (5 heures du matin pour moi avec le décalage horaire !). Je m’autorise 6 petites heures de sommeil seulement car il me reste pas mal de choses à faire pour être fin prêt à 9 heures, heure d’ouverture du pont, notamment le nettoyage des coques, Capsun étant dans le lagon depuis 10 semaines déjà ! Au petit matin, je passe une heure dans l’eau à nettoyer mes coques et mes embases, les ailerons passent leur tour, je n’ai pas assez de temps.

A 8h50, Capsun piaffe d’impatience devant le pont… Moment irréel lors de ma sortie : je vois avec stupeur 6 bateaux entrer, tous avec des voiles à poste et avec au moins 2 personnes à bord, donc navigants ! Nos regards s’échangent. J’esquisse un timide signe de la main et les regarde effaré entrer dans l’enclave que je viens de quitter ! L’expérience irréelle se poursuit au mouillage où je vois encore 3 bateaux sur leur ancre. Il fait un temps magnifique et sur l’un d’entre eux, un suédois lit tranquillement son journal et me jette à peine un coup d’œil…

De mon côté, je suis à fond dans mon « truc ». Je ne veux parler à personne. Je n’ai pas le temps et pas l’énergie nécessaire à consacrer à d’éventuelles explications sur ma décision. Des vagues de plus de 3 mètres sont annoncées dès 11 heures. Mon timing est serré. J’ai 140 miles nautiques à parcourir, avec une vitesse moyenne de 6 noeuds, il faut que je parte au plus tard à 12 heures. Ma hantise, c’est une panne moteur imprévue qui m’immobiliserait ici…

J’ancre un instant Capsun non loin du ponton et j’y accoste avec mon annexe. Direction le supermarché du coin pour y faire un approvisionnement rapide mais conséquent vu que je ne sais pas à quoi m’attendre une fois rendu en Guadeloupe. L’ambiance dans le magasin est très particulière, elle aussi… Beaucoup de monde mais, au contraire de moi, ils semblent tous souriants et décontractés. J’ai vraiment l’impression d’être le seul à stresser. A la caisse, une jeune femme se fait réprimander par son compagnon pour avoir choisi trois bougies, du coup elle en repose deux ?!? Après avoir payé, je file au pas de course vers mon annexe avec mon caddie plein de courses.

De retour à bord, je mets les moteurs en route, relève l’ancre, hisse la grand-voile et me lance en direction de la Guadeloupe, Baie Mahault pour être précis. Il est 10h30. J’ai même un peu d’avance sur mon plan initial, tout s’annonce bien. Je suis le seul bateau à longer la côte Est de St Martin. Après avoir passé St Barth, je ne capte plus de signaux AIS. Me voilà seul au monde !

Pour le moment, la mer est calme, le vent apparent est de 10 à 15 nœuds et pour maintenir ma vitesse cible de 6 nœuds, je m’aide des moteurs qui aide le vent à déplacer les 8 tonnes de Capsun au bon plein.

Le soir venu, le vent monte et le catamaran file maintenant à plus de 7 nœuds sous voiles seules. Étant tout seul en mer, a priori, j’en profite pour dormir quelques heures et tenter de récupérer du décalage horaire dont je souffre encore.

Au petit matin, la mer se creuse et prend un aspect métallique. Une grosse houle d’Est s’installe. Très longue heureusement. Il me reste encore 25 miles à avaler. Avec la fatigue et le stress, je sens le mal de mer qui s’installe. J’avale un Stugeron en espérant que cela le fasse disparaitre.

Au large de la Guadeloupe, je réussis à capter un bulletin météo par VHF. Elle est en alerte violette ! Ils annoncent jusqu’à 60 nœuds d’Ouest sur le nord de l’île…

J’atteins finalement l’entrée de la passe Colas à 9h30 précises. Ouf, je l’ai fait !!! Je roule le génois et affale la grand-voile avant de m’engager dans la passe. Un vilain clapot de Nord est en train de se former. Je prends un corps-mort au mouillage pour souffler un peu car ma journée n’est pas finie, loin de là !

Je prends un solide petit déjeuner tout en observant le manège de deux grues à terre qui s’affairent à sortir les dernières embarcations de la marina locale. Je n’ai aucun moyen de communication hormis la VHF car j’ai eu la bonne idée de changer d’opérateur juste avant de partir et je n’ai pas encore eu le temps d’activer ma carte SIM. Du coup, je n’ai aucun moyen de savoir heure par heure ce que donne IRMA.

Maintenant, il faut que je sécurise Capsun dans la mangrove. Me voilà ainsi parti en reconnaissance à bord de mon dinghy avec un vieux tee-shirt rouge à bord qui va me servir à marquer l’endroit que je vais choisir. La baie est immense et je n’ai pas le temps de tâtonner. Après une bonne heure de repérage, je trouve un renfoncement parfait pour abriter Capsun avec un gros arbre pour m’amarrer. Je noue le tee-shirt à une branche et m’empresse de revenir au bateau. Tout en naviguant avec Capsun vers l’endroit, je me répète la manœuvre dans la tête. C’est la toute première fois que je vais faire ça, du coup je suis un peu inquiet. Heureusement, cet endroit est à l’abri du vilain clapot de Nord qui s’est formé dans la baie. Ici, l’eau est à peine ridée.

J’ai préparé mon ancre de secours reliée à 30 mètres de câblot plombé qui vont servir pour la première fois. Mes amarres et aussières sont sur le pont prêtes à l’emploi. Les instruments, pilote et sondeur, sont allumés ainsi que mon ordinateur et la carte Open CPN détaillant l’endroit est ouverte. Moteurs en route, je compte m’engager doucement jusqu’à m’échouer dans la vase en jetant l’ancre en avance à l’arrière puis aller amarrer Capsun au gros arbre en annexe.

Sur le papier, ça parait simple. En réalité, c’est plus compliqué que cela. Je me loupe sur l’ancre à l’arrière que je lance bien trop tard. Du coup, je suis obligée de la remonter et d’aller la jeter plus loin à l’aide de mon annexe. Quant aux aussières que je dois utiliser pour rallonger ma remorque de 30 mètres – qui se révèle bien trop courte – je les balance à l’eau sans penser à y attacher avant deux pare-battages. Du coup, je perds pas mal de temps à les récupérer au fond de l’eau. Mais bon, malgré tout, Capsun finit par être solidement amarré. Il ne bouge plus !

Je remonte sur le bateau et finis de le préparer : rentrer la passerelle, sécuriser l’annexe sur les bossoirs, saucissonner la grand-voile ainsi que le génois, brider l’éolienne etc.

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Le soir même, je me prépare une bonne assiette de pâtes et prend une bonne douche en attendant de subir l’attaque d’Irma. La fatigue aidant, je m’endors pour me réveiller à 6 heures le lendemain matin : Irma a évité la Guadeloupe ! Il n’y aura finalement qu’une grosse houle d’Ouest qui viendra frapper la côte sous le vent, notamment à Deshayes.

Je n’ai plus qu’à attendre la marée montante pour me déséchouer et retourner au mouillage en face des pontons de la petite marina. De là, je rejoins la terre ferme pour me connecter et rassurer mes proches. C’est à ce moment-là que j’apprends qu’Irma est passée sur St Martin et St Barth de manière très violente en causant d’énormes dégâts…

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Je me sens soulagé, et fier aussi, d’avoir sauvé mon bateau. Je lui devais bien ça, vu le nombre de fois où il a récupéré mes erreurs de débutant ! ».

Et vous, à la place de Patrick, vous auriez fait quoi ? Vous auriez osé ?

 

 

 

Portrait 04 – Donald CROWHURST (1932-1969), un fou si solitaire

En 1969, le journal Sunday Times organise la première course autour du monde en solitaire et sans escale, la « Sunday Times Golden Globe Race ». Trois de ses concurrents ont marqué les esprits : Robin Knox-Johnston, le gagnant, Bernard Moitessier qui décide d’abandonner la course pour entamer un deuxième tour du monde consécutif (son livre « La longue route » raconte son périple) et enfin, Donald Crowhurst…

Donald Crowhurst, marié, 4 enfants, est un homme d’affaires anglais et un navigateur amateur. Il décide de participer à cette course afin de gagner le prix de 5.000 livres sterling offert au plus rapide et ainsi sauver son entreprise en difficulté.

Il est tellement sûr de lui qu’il hypothèque son entreprise et sa maison en échange du soutien financier de son principal sponsor, l’homme d’affaires Stanley Best, un marchand de caravanes. Il se place ainsi dans une situation financière dangereuse, risquant la faillite s’il perd la course car il a signé un contrat : s’il ne part pas ou s’il abandonne trop tôt, il devra racheter le bateau, ce qui signifie perdre tous ses biens en contrepartie… Pourtant, il n’est pas un marin confirmé mais plutôt un marin d’eau douce qui rêve de gloire et de richesses. Sa principale expérience de mer était liée à son travail : il créait et commercialisait alors un équipement de navigation. A part ça, peu d’heures passées sur les ponts de bateaux…

Grâce à son sponsor, il fait construire un bateau nommé « Teignmouth electron », un trimaran de 12 mètres. Au sommet du mât de celui-ci, il installe une bouée gonflable censée se déclencher en cas de chavirage permettant ainsi au trimaran de ne pas basculer à l’envers le temps qu’un système de pompes et de ballasts le redresse. Crowhurst espère ainsi promouvoir cet équipement et le commercialiser après la course.

Cependant, rien ne se déroule comme prévu…

Déjà, Crowhurst n’a encore jamais navigué sur un trimaran avant la livraison du sien quelques semaines seulement avant le départ de la grande course !

Les navigateurs souhaitant participer à la Sunday Times Golden doivent se qualifier en participant à une course préliminaire en Angleterre sur un parcours devant être réalisé en 2 jours. Crowhurst, lui, met 10 jours à l’effectuer mais le jury de la course le qualifie tout de même… D’ailleurs, avec son allure de gentil employé de bureau, il détonne au milieu des autres compétiteurs, marins qualifiés. Toutefois, il dégage en public une certaine assurance qui donne l’impression qu’il maîtrise ce qu’il fait.

Il part le 31 octobre 1968, le dernier jour prévu par le règlement de la course (les autres concurrents sont partis bien avant). C’est le chaos à bord. Dans la hâte du départ, une grosse partie de son avitaillement n’est pas embarquée. Il a manqué de temps dans la préparation de son bateau. Il part alors même que ses systèmes de sécurité ne sont pas finalisés. Il compte finir leur installation pendant la course ! Sa femme n’a pas osé lui demander d’abandonner, elle sait que trop d’argent et trop de fierté ont été investi. Elle le regrettera amèrement plus tard… La veille du départ, il la passe à pleurer. Il sait que son bateau n’est pas prêt. Il a peur mais il est poussé par son sponsor et la presse à qui son agent la vendu comme « le marin mystère ».

Dès le début de la course, il rencontre des problèmes avec ce bateau qu’il connaît mal. Il avance à la moitié de la vitesse prévue, seulement 60 milles par jour. Puis, il s’aperçoit que son bateau prend l’eau. Il doit écoper. Dans les 40èmes rugissants, il sait qu’il ne résistera pas. Lucide, il se donne lui-même seulement 50% de chances de survie s’il arrive à finaliser son équipement de sécurité avant d’entrer dans l’Océan Pacifique Sud.

Il se trouve face à un choix cornélien : s’il abandonne, c’est la faillite et la honte, s’il continue c’est une mort probable.

Alors qu’il est encore dans l’océan Atlantique, il élabore un plan qui lui permettrait de garder la face. Au lieu de continuer la route vers l’océan Pacifique, il va errer dans l’Atlantique Sud pendant plusieurs mois, le temps que les autres concurrents entament la dernière partie de la course et remontent l’Atlantique en direction de l’Angleterre et là, il rejoindra discrètement le peloton, à distance respectueuse des trois premiers. Il compte falsifier son livre de bord et envoyer par radio de fausses positions. Il sait que s’il ne finit pas dans les tout premiers, ses livres de bord ne feront pas l’objet d’un examen minutieux.

Depuis son départ, il est resté volontairement flou lors des transmissions radio de sa position. A partir du 6 décembre, il commence à mettre en exécution son plan en envoyant des positions vagues puis complètement fausses. Il rédige même un journal de bord destiné à « justifier » ses fausses positions.

Entre les 6 et 8 mars 1969, il s’arrête près du Río Salado en Argentine pour réparer son flotteur tribord endommagé. Cet arrêt seul, s’il avait été connu du jury, aurait entraîné sa disqualification.

Il reste la majeure partie du temps dans le silence radio le plus complet. Lorsqu’il doit communiquer, il invente des excuses expliquant son silence comme des problèmes de générateur…

Tout fonctionne comme prévu. Les trois premiers navigateurs solitaires, Knox-Johnston, Moitessier et Tetley, passent le Cap Horn et Crowhurst se cache derrière eux.

Le 9 avril 1969, il annonce de nouveau une fausse position et à partir du 4 mai, il « reprend » la course et recommence à donner sa position réelle.

Mais c’est le coup de tonnerre lorsque Bernard Moitessier, après 7 mois de navigation et à à peine 6 semaines de l’arrivée, décide d’arrêter la course pour continuer sa route et faire un second tour du monde ! Crowhurst se retrouve, malgré lui, sous le feu des projecteurs… Ce rebondissement rend l’évènement encore plus excitant pour le public.

Le premier à franchir la ligne d’arrivée est Robin Knox-Johnston, le 22 avril 1969 mais le public reste fasciné par le développement de la course. En effet, Nigel Tetley et Donald Crowhurst, peuvent encore tous les deux remporter le prix du marin le plus rapide et empocher la somme de 5.000 livres.

Seul Francis Chichester, premier navigateur à effectuer un tour du monde d’ouest en est en solitaire et organisateur de la course, exprime publiquement ses doutes sur la progression de Donald Crowhurst.

Tetley, se croyant réellement menacé, pousse son trimaran Piver de 12 mètres, à son maximum et celui-ci se disloque le 21 mai…

 Toute l’attention du public se porte alors sur Crowhurst, qui compte « officiellement » deux mois d’avance sur le temps de passage de Knox-Johnston. Crowhurst est désespéré. Il ne peut pas se permettre d’être le plus rapide à accomplir le tour du monde car il sait que son journal de bord ne résistera pas à l’examen attentif auquel il sera soumis et sa tromperie sera mis à jour…

Le 29 juin, il envoie sa dernière transmission radio et ensuite c’est un nouveau silence radio… Son trimaran « Teignmouth Electron » sera trouvé à la dérive le 10 juillet par le paquebot Picardie. Crowhurst n’est pas à bord. Il a disparu…

La lecture de ses journaux de bord met en évidence la personnalité d’un homme qui a sombré dans une douce folie. Son stratagème est grossier : il a enregistré des distances parcourues irréalistes qui auraient, sans aucun doute, révélé la supercherie… D’un autre côté, il a pris le temps d’étayer ces positions fictives par de fausses indications et de fausses observations célestes qui ont dû lui prendre un temps considérable à établir en raison du temps de recherches nécessaires… Ses écrits des dernières semaines, notamment, une fois qu’il a réalisé qu’il risquait de remporter le prix, mette à jour une folie grandissante. Il agrémente ses journaux de bord de poèmes, de citations et de pensées diverses. Il cite à plusieurs reprises le nombre 243 : il prévoit de terminer son tour du monde en 243 jours, il a enregistré une distance parcourue en 24 heures de 243 milles marins (ce qui aurait été le record de la course) et il a probablement mis fin à ses jours le 243e jour de son voyage, le 1er juillet, date de sa dernière entrée dans les journaux de bord. Il y inscrit « C’est fini, c’est fini. C’est la fin de mon jeu. La vérité a éclaté ».

On ne peut que supposer qu’il s’est jeté par dessus bord car rien dans l’état du trimaran ne laisse supposé qu’il y ait été précipité par accident…

Robin Knox-Johnston, le gagnant de la course, remet par la suite ses gains à la veuve de Donald Crowhurst.

Un magnifique film raconte son périple sur la base de documentaires filmés à l’époque, l’occasion également de voir quelques images de Bernard Moitessier : https://www.youtube.com/watch?v=IY2rQh8UraY.

L’épave de son catamaran « Teignmouth Electron » repose sur l’atoll « Cayman Brac » des îles Caïmans.

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Portrait 3 – Alain BOMBARD, le naufragé volontaire (1924-2005)

Alain BOMBARD est à la fois médecin, biologiste, aventurier, écologiste, secrétaire d’Etat, député européen, écrivain, violoncelliste… Il est né en 1924 et décédé à l’âge de 80 ans. Il a vécu à fond sa vie et ses passions.

Lors de son internat de médecine à Boulogne-sur-Mer, il voit régulièrement des  naufragés moribonds arriver à l’hôpital. Il veut faire évoluer les choses et décide de se spécialiser dans la survie en mer. Il devient chercheur au Musée océanographique de Monaco.

Dans ce documentaire de l’INA, Alain BOMBARD raconte ce qui lui l’a poussé à réaliser cette odyssée hors du commun : http://www.ina.fr/video/5168841001.

Il s’intéresse tout d’abord à la résistance à la faim, la soif et à la fatigue. Pour cela, en 1951, il traverse la Manche à la nage enduit de graisse pour éviter l’hypothermie. Ensuite, il étudie de plus près les canots gonflables. A l’institut océanographique de Monaco, il analyse la composition de l’eau de mer, le plancton et le potentiel hydrique de la chair de poisson ainsi que le comportement des naufragés. Il sait qu’un homme peut survivre une trentaine de jours sans manger si c’est un jeun volontaire mais à peine dix jours sans boire. Et d’après Bombard, pour étancher sa soif, on dispose de trois sources possibles : l’eau de mer, le jus de poisson et l’eau de pluie. Dans son esprit, il est donc possible de survivre longtemps avec un équipement minimum pour boire et s’alimenter : un hameçon et un morceau de toile qui sert à la fois à récolter l’eau de pluie et à filtrer l’eau de mer pour récolter du plancton.

Il est persuadé que les gens meurent plus de désespoir que de manque de nourriture et d’eau dans des circonstances extrêmes. Il fonde cette théorie sur des naufrages tels que celui du Titanic où certaines personnes sont mortes ou sont devenues folles alors qu’elles avaient trouvé refuge dans les canots de sauvetage, au contraire des enfants qui se trouvaient avec eux car ceux-ci étaient moins sujets au désespoir et à la panique.

Il décide alors de prouver qu’il est possible à un naufragé de survivre sans autres ressources que celles de la mer. En 1952, à l’âge de 28 ans, il se lance dans une aventure complétement folle en décidant de faire l’expérience sur lui-même !

Il commence par embarquer avec un acolyte volontaire nommé Jack Palmer, un marin anglais de rencontre, à bord d’un petit canot pneumatique de 4,65 mètres de long sur 1,90 mètres de large doté d’une voile et baptisé « L’Hérétique ». Ils quittent Monaco sans eau douce, ni vivres, en emportant simplement un sextant, un filet à plancton et du matériel de pêche. Alain Bombard est persuadé, à l’inverse des croyances de l’époque, qu’il est possible de consommer de l’eau de mer pour survivre « à condition de ne pas attendre d’être déshydraté pour en boire ». Après 18 jours d’errance, ils touchent terre aux îles Baléares et ils se font remorquer à Tanger. Ses détracteurs s’en donnent à cœur joie : comme ils n’ont pêché que deux mérous, un cargo a dû se dérouter pour fournir un ravitaillement d’urgence aux deux marins écœurés du plancton. Jack Palmer, le seul à savoir comment faire le point avec le sextant, abandonne la partie mais Alain Bombard, lui, décide de continuer l’aventure.

Il repart donc seul, cette fois-ci, depuis Las Palmas aux îles Canaries le 22 octobre 1952 pour traverser l’Atlantique. Il n’emmène de nouveau ni vivres, ni eau douce avec lui… Au cours de cette aventure, il éprouve la peur de mourir. Il rédige même son testament en cours de route le 6 décembre 1952. Il subit une mer déchaînée qui remplit régulièrement son frêle esquif ce qui l’oblige à écoper sans arrêt avec les moyens du bord : sa chaussure ou son chapeau. Par chance, il croise un cargo, l' »Arakaka » dont le capitaine va lui offrir un repas frugal qu’il ne supportera pas (« un œuf sur le plat, un très petit morceau de foie de veau, une cuillerée de choux et deux ou trois fruits ») et surtout lui corriger une erreur de navigation de 600 milles nautiques. Malgré toutes les difficultés qu’il rencontre, il refuse d’abandonner. Les dernières semaines sont très dures. Il finit par toucher terre à la Barbade le 23 décembre 1952, après 113 jours en mer, dont 65 de solitude et d’enfer dans l’Océan Atlantique et après avoir parcouru 6.000 kilomètres. Il est exténué. Il a perdu 25 kilos. Il doit même être hospitalisé à son arrivée. Il avoue même avoir été tenté de « s’assoupir à jamais », mais il a prouvé sa théorie : on peut survivre sans rien, lors d’un naufrage.

Pendant sa traversée de l’Atlantique, il note scrupuleusement toutes ses observations, il mesure ce qu’il avale, ses sensations, son état général, sa pression artérielle et son rythme cardiaque. Sans oublier les effets secondaires de la consommation d’eau de mer, considérée à l’époque comme le pire des poisons, mais source précieuse de sodium. Il filtre le plancton, riche en vitamine C, pour combattre le scorbut. Il s’alimente de sa pêche, récupère l’eau de pluie quand la météo lui est favorable (il attendra tout de même 3 semaines qu’il pleuve), il boit l’eau « douce » obtenue en pressant la chair de ses prises. Et il consomme l’eau de mer, par petites quantités (brisant ainsi le tabou de l’époque).

Il relate en 1953 cette expérience unique dans un livre intitulé « Naufragé volontaire » qui sera traduit en quinze langues, obtenant ainsi une notoriété internationale. Toutefois, soupçonné de tricherie et sa thèse concernant l’ingestion d’eau de mer étant contestée, il devra attendre 1976 pour que son exploit soit officiellement reconnu et que le canot « L’Hérétique » trouve une place au musée de la Marine.

Il apparaît que Bombard a été mal compris. Il n’a jamais soutenu que la survie de l’être humain est possible en buvant uniquement de l’eau de mer. Il explique simplement que l’ingestion d’eau de mer en petite quantité peut prolonger la survie si et seulement si elle est accompagnée d’eau douce : à défaut de pluie, les liquides présents dans le corps des poissons peut en faire office.

Les conseils qu’il prodigue dans son livre sont les suivants :

  • Manger en pêchant des poissons (fils de pêche) et en récoltant du plancton riche en vitamine C (filet).
  • Boire de l’eau de mer en petites quantités afin de retarder la déshydratation (maximum 1 litre par jour) tout en buvant de l’eau de pluie ou à défaut l’eau extraite de poissons pressés (sauf certains comme la raie dont le taux de salinité est trop élevé).
  • S’occuper durant la journée, se créer un emploi du temps, pour éviter l’ennui et donc le désespoir que cela entraîne
  • Se méfier des espadons ou des requins qui pourraient crever l’embarcation mais surtout du désespoir, le pire ennemi du naufragé !

On trouve dans ce livre une anecdote devenue célèbre sur le colmatage d’une légère fuite d’air dans un flotteur grâce à une colle biologique que les hommes seuls sont capables de produire !!!

A une époque où à peine 1 naufragé sur 1.000 était sauvé, sa démonstration permet de faire avancer les choses en matière de sauvetage. C’est la « victoire du mou contre le dur ». (les canots gonflables versus les chaloupes anciennes). Grâce à lui, le canot pneumatique de sauvetage, devient obligatoire sur tous les bateaux. De son vivant, son patronyme devient d’ailleurs un nom commun : le « Bombard » désignant un canot pneumatique de survie auto-gonflable et insubmersible. Son combat a un prix : il rate heureusement son suicide aux barbituriques en janvier 1963 et parvient à reprendre pied.

Tout le reste de sa vie sera consacrée à la protection de l’écologie et à la sauvegarde de la mer. Il poursuivra une belle carrière politique. Il sera également fait Gloire du sport. Pour en savoir plus sur lui : http://www.ina.fr/video/CPC78056451.

Portrait 2 – Patricia et Ernest WOLF, un couple bien surprenant !

Ernest et Patricia WOLF, c’est un couple d’origine suisse à la personnalité pétillante ! Ils ont passé 5 années à fabriquer eux-mêmes leur maison flottante au fond de leur jardin. Il s’agit d’un trawler mixte mer et rivière d’esprit hollandais  (un bateau à moteur) de 11,90 mètres de long sur 3,50 mètres de large répondant au doux nom de « Maranatha ».Version 3

Après avoir construit une maquette en bois au 1/10e, soit 1,20 mètre de long, les travaux sérieux ont commencé. Des tôles et encore des tôles d’aluminium qu’il a fallu patiemment découper, positionner, fixer et souder. La coque à elle seule leur a demandé 3 années de dur labeur.

En parallèle, Ernest travaille sur le moteur. Un vieux moteur Mercedes MO601 qu’il connaît par cœur et qu’il a marinisé lui-même en 80 chevaux.

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Une fois la coque terminé, Ernest et Patricia se sont attaqués aux aménagements intérieurs. Tout est pensé et réfléchi pour optimiser l’agencement pour la vie à bord. Ils font le choix d’un espace lumineux et décloisonné avec tout le confort nécessaire : réfrigérateur, congélateur, chauffage et même une machine à laver le linge !

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En mai 2009, après six ans de chantier, Maranatha est enfin terminé !

Le 9 mai 2009, leur petit village suisse organise une grande fête en son honneur et en celui de ses armateurs amateurs. Cette date est également celle à laquelle Ernest et Patricia disent adieu à leur vie « terrestre » : ils liquident tous leurs biens avant d’embarquer sur le bateau.

Et c’est le début de la grande aventure ! D’abord sur de fameux fleuves tels que le Rhin, la Saône ou le Rhône avant de déboucher sur la Méditerranée.

C’est en Tunisie qu’un premier gros coup de vent les persuade de rajouter un système de stabilisateurs avec tangons et paravanes de chaque côté de la coque pour réduire le roulis du bateau.

Ernest et Patricia continuent leur route en direction des îles Canaries, puis du Cap Vert dans l’optique de traverser l’Océan Atlantique, rien que ça ! Leur bateau est équipé de 2 réservoirs d’un total de 1.600 litres de gasoil auxquels ils vont rajouter 20 bidons de 30 litres qui seront fixés le long du bastingage afin d’assurer leur autonomie en carburant durant cette traversée de 2.100 milles en direction de Tobago à l’extrême sud de l’arc antillais. Ils prennent la mer le 19 avril 2012 pour 18 jours de traversée non stop dans des conditions qu’ils décrivent comme idéales. Leur vitesse moyenne de déplacement est de 5 nœuds afin d’assurer une consommation réduite de carburant. Ils consommeront un total de 2100 litres sur ce parcours, soit 1 litre par mille nautique !

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Après avoir arpenté quelques temps l’arc antillais, ils vont réaliser en 2015 le « Great Loop », c’est-à-dire le tour de l’Est des États-Unis et d’une partie du Canada en empruntant les voies maritimes protégées et le réseau fluvial, leur bateau étant véritablement passe-partout ! Départ de Key West en mai, arrivée à Mobile en novembre et retour à Key West en décembre 2015.

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A la fin du Great Loop, Ernest et Patricia continuent leur route plein sud vers Cuba, puis vers Haïti, Saint-Domingue et enfin Antigua. Depuis, ils continuent à vagabonder dans les Antilles.

J’ai eu la chance de croiser ce couple hors du commun sur l’île de Bequia (État de Saint-Vincent-et-les-Grenadines) et de visiter leur magnifique petite maison flottante. C’est un petit couple pétillant et plein de vie qui fait vraiment plaisir à voir ! Je suis heureuse qu’ils aient partagé leur histoire et leurs photos avec moi. J’aime rencontrer des personnages hors normes tels qu’eux.

Ernest, Patricia, je vous dis à un de ces jours sur la mer !

En prime, quelques photos supplémentaires :

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Portrait 1 – Birgit HABELT, une septuagénaire dans le vent !

J’ai entendu parler d’elle l’année dernière en 2016 lorsque j’étais sur l’île de Fakarava, en Polynésie Française. On m’en a reparlé ici en Martinique en 2017. Cette femme, c’est Birgit HABELT, 70 ans. Je me suis intéressée au parcours de cette femme et voici ci-dessous son histoire (ce que j’en ai lu dans les journaux et pages internet en tout cas).

Elle est d’origine allemande et a parcouru une bonne partie des mers du globe. Pourtant, elle n’est pas une navigatrice née : elle a découvert le monde de la voile à l’âge de 48 ans seulement ! A l’époque, elle vivait en Guadeloupe avec son fils qui venait de passer son bac. C’est là-bas qu’elle a travaillé en tant qu’hôtesse sur des voiliers et qu’elle a tout appris. Ensemble, ils sont ensuite partis de Guadeloupe pour rallier l’île de Moorea en Polynésie Française à bord d’un bateau appelé « Poco Loco ». Ils pensaient y trouver du travail. Cela a été le cas pour son fils, Tammo, qui s’y est même installé tandis qu’elle, Birgit, continuait son chemin.

Depuis, elle n’a cessé d’écumer les mers du globe : mer Baltique, océan Atlantique, océan Pacifique. Elle a même tenté de passer le Cap Horn avec Popeye son compagnon de l’époque. Malheureusement, leur bateau a chaviré au niveau des 50e hurlants et des 40e rugissants. Ils ont réussi toutefois à gagner les côtes chiliennes pour réparer leur embarcation. Il paraît d’ailleurs qu’« il n’y a pas meilleure pompe de cale qu’un homme armé d’un seau et qui a très peur ». Elle s’est posée quelques temps à terre, quatre ans notamment en Espagne où elle a retapé une maison héritée de ses parents afin de pouvoir la revendre et se dégager de tout souci matériel.

En 2015, elle se met en tête de rejoindre son fils Tammo à Moorea où il réside afin de fêter ensemble son anniversaire le 23 mai 2016. Mais plutôt que de prendre un billet d’avion, elle a décidé d’aller le rejoindre en bateau.

Elle est donc partie à la recherche d’un petit voilier qui l’amènerait à destination. C’est un de ses amis qui la met sur la piste d’un « Muscadet » en vente à Roscoff en Bretagne. C’est un voilier de série de 6,40 mètres construit en 1967, le numéro 157 de la série. Elle y est allée, l’a vu, l’a acheté et a travaillé trois mois dessus pour le rendre navigable. Pour ces travaux, elle a emmené son bateau appelé « Fleur d’Ajonc » au chantier des Quatre-Vents à Saint-Pol-de-Léon à quelques kilomètres de Roscoff. Elle y a travaillé tous les jours parfois jusqu’à 3 heures du matin afin d’achever la préparation de son bateau en octobre 2015, sa date butoir pour quitter les côtes françaises en direction des îles Canaries. Il fallait presque tout refaire. Ponçage, sablage, époxy, peinture. Elle change le génois, la grand-voile et le spi. Elle achète un nouveau gréement avec un mât en alu à enrouleur, un régulateur d’allure un sonar, deux radios (une BLU et une VHF), deux GPS, des panneaux solaires, des batteries neuves et un moteur de secours. Bref, de quoi affronter une longue traversée de 20.000 kilomètres en solitaire.

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Quand on lui dit que c’est un vieux bateau, elle répond qu’il est « vingt ans plus jeune qu’elle ! ».

Le pari a été tenu et elle a largué les amarres le samedi 17 octobre 2015, à 69 ans ! Elle a profité de la seule fenêtre météo, avant la mauvaise saison, bien qu’il lui restait quelques petites choses à terminer sur le bateau. Elle a préféré filer sans se poser de questions plutôt que de rater le créneau. Elle n’a pas de pilote automatique et son mât, bien que récent, demande de l’attention. La vidéo de son départ est ici : https://www.youtube.com/watch?v=jQYhmuMT7I0

Il lui faut 27 jours pour rejoindre les Canaries. Une traversée difficile. Son régulateur d’allure est arraché dans le Golfe de Gascogne, elle n’a pas de pilote automatique pour compenser cela et elle tombe sérieusement malade, victime d’un empoisonnement à la confiture (si, si !!). Elle séjourne dix jours aux Canaries afin de se remettre avant de continuer sa route pour rejoindre les Antilles et plus précisément la Martinique. Il lui fallait traverser l’océan sans tarder, et ce, toujours sans pilote automatique. C’est au milieu de l’océan Atlantique que Birgit célèbre seule ses 70 ans : « C’était une journée magnifique, le temps était beau et chaud, une belle brise poussait mon voilier, et j’ai célébré mes 70 ans avec une bouteille de Mouton-Cadet Rothschild ».

Lorsqu’on lui demande comment elle fait pour avoir la météo, elle répond : « quand mon épaule gauche commence à me faire mal, je sais que le temps va changer, la basse pression arrive ». Et sinon, elle observe le ciel et réduit les voiles à temps.

Sous le vent de la Martinique, du côté de Saint-Pierre, elle lance un PAN-PAN (un appel d’urgence) et est prise en charge par la SNSM de Case-Pilote.

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Les sauveteurs en mer la trouvent à l’arrivée de la transat déshydratée, sous-alimentée et désorientée. Elle est hospitalisée et son bateau est remorqué dans une marina. Birgit se remet sur pied et reste six semaines en Martinique pour régler une bonne fois son problème de gréement. Elle achète également un pilote automatique afin de lui rendre la vie à bord un peu plus facile et traverse la mer des Caraïbes pour atteindre Panama.

Lors de la traversée du canal de Panama, ils sont six personnes à bord de ce minuscule bateau de 6,40 mètres de long le temps de traverser les trois écluses : elle, la capitaine, le pilote du port et quatre équipiers obligatoires pour assurer la sécurité pour un bateau. A nouveau, un peu de temps perdu car le premier bateau qui devait remorquer le Muscadet a fait défaut au dernier moment.

À la sortie du canal, Birgit atteint la ville de Balboa et se dirige vers les Marquises qu’elle atteint après 37 jours de mer le lundi 13 juin 2016. Son fils Tammo l’y retrouve. A cause des divers imprévus qu’elle a dû affronter durant son voyage, elle n’a pas pu arriver à le 23 mai 2016 à Moorea comme prévu mais c’est sans regret.

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Ensemble, en souvenir de celui réalisé 19 ans plus tôt à bord du précédent voilier de sa Brigit, le « Poco Loco », Tammo et elle emmène « Fleur d’Ajonc » de Nuku Hiva à Moorea. Cette dernière traversée durera 7 jours.

Depuis son départ de Roscoff, Birgit HABELT, à 70 ans, aura réalisé en 8 mois 133 jours de navigation pour 20.000 kilomètres parcourus.

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Comme quelqu’un l’a si joliment dit sur un forum de discussion sur l’épopée de Birgit « Il y a des Hommes qui en rêvent et des Femmes qui le font. Chapeau Bas Madame. »


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