Art. 9 – Attaque à main armée !


(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Cela fait quelques jours que je suis rentrée de Carriacou(*). Je profite de nouveau de l’eau claire de ma zone de mouillage préférée près du troisième trou à cyclone(*) bien à l’écart du mouillage principal de la baie du Marin, non loin du Club Med, en compagnie d’une dizaine d’autres bateaux.

Ce début d’après-midi, alors que je bricole à l’intérieur de mon bateau, j’entends quelqu’un m’interpeler depuis l’extérieur. Je sors la tête dehors et je reconnais André, un jobber(*) à qui j’ai eu affaire il y a quelques temps. J’avais bu un verre à bord de son bateau d’ailleurs à l’époque. Il souffrait de sa séparation d’avec son ex même si ça faisait quelques mois déjà et la discussion avait principalement portée sur ça. Je le connaissais donc un petit peu mais sans plus.

Il est à bord de son voilier en acier. L’ancre pend à l’avant comme s’il s’apprêtait à mouiller dans la zone, sauf qu’à l’allure vive à laquelle il se déplace, cela me semble difficile. Le moteur est lancé à plein régime et semble souffrir : une énorme fumée noire se dégage de l’échappement. Et son annexe traîne à l’arrière de son voilier tractée par son bout(*) comme un chien étranglé au bout de sa laisse.

M’apercevant, André me crie alors : « Regarde Diane ! C’est pas tous les jours que tu verras ça ! ». Interloquée, je le regarde debout dans le cockpit de mon bateau sans comprendre de quoi il me parle. Il contourne Nautigirl et soudain je le vois éperonner(*) le bateau juste devant le mien ! C’est le voilier d’Yves, mon pote, celui qui m’a accompagné jusqu’à Carriacou où nous avons fait notre carénage(*) ensemble. C’est un combat inégal ! L’agresseur a une coque en acier et l’agressé, Archangels, est un bateau en fibre.

Yves n’est pas à bord. Je l’ai vu s’éloigner un peu plus tôt en annexe. Je reste un court instant interloquée avant de bondir sur mon téléphone afin de le contacter. Je tombe sur sa messagerie qui semble prendre un temps infini avant de m’autoriser à lui laisser un message lui disant de rappliquer au plus vite. Mon second coup de téléphone est pour les gendarmes au 17. Je tente de répondre calmement aux questions de mon interlocutrice qui semble prendre un malin plaisir à enchaîner les questions que je juge inopportunes au lieu d’envoyer immédiatement les autorités. Pendue au téléphone, je suis la spectatrice impuissante des assauts répétés du monstre d’acier sur sa fragile proie.

André sait parfaitement ce qu’il fait visiblement car il vise les points stratégiques de la structure, au niveau des haubans(*) bâbord(*) et tribord(*), ainsi qu’à l’arrière. Il cherche à faire le plus de dégâts possibles espérant certainement faire démâter(*) le bateau et le couler. Il semble décidé et déterminé.

Je sais à quel point Yves tient à son bateau, tout comme je tiens au mien d’ailleurs, sauf qu’on ne parle pas du même budget et puis moi, j’ai une autre maison qui m’attend loin dans le Pacifique, lui il n’a que son voilier comme seule bien et seule habitation… Alors je tente d’agir comme j’aimerai qu’on agisse pour moi. Je saute sur ma petite annexe pour rejoindre le bord d’Archangels. Je me dis qu’avec une femme à bord de sa cible, André fléchira sans doute et hésitera avant de charger une nouvelle fois de peur de me blesser. Je me tiens maintenant debout sur la plage arrière et je tente d’apostropher André pour le raisonner. Sans succès…Ma stratégie n’est pas la bonne… Je vois l’avant de son bateau et son ancre menaçante se rapprocher de moi et je dois descendre au dernier moment de la plage arrière pour me protéger derrière la roue et éviter ainsi le nouvel impact. J’entends le bruit de la fibre qui craque.

Capture d_écran 2017-10-24 à 13.46.30Le monstre d’acier érafle le flanc d’Archangels. Un instant, les deux coques sont l’une contre l’autre. Alors, sans réfléchir, je franchis l’espace séparant les deux bateaux pour me retrouver sur le pont de l’agresseur. J’ai dû regarder trop de films avec Bruce Willis… Je suis tellement certaine qu’André va reprendre l’attitude d’une personne saine d’esprit que je m’avance sans hésitation vers lui. Mon élan est très rapidement refroidi par le pistolet qu’il me braque dessus depuis son poste de pilotage, partiellement masqué par la capote. Je ne cherche pas à comprendre, je ne fais qu’obéir à son ordre sec « Sors de mon bateau ! ». Ni une, ni deux, je fais marche arrière et je ressaute sur le pont d’Archangels. Je suis abasourdie. C’est la première fois que j’ai le canon d’une arme braqué sur moi… Et croyez-moi, on ne voit que la bouche du canon, noire et ronde, rien d’autre… Je ne saurais même pas dire s’il est gaucher ou droitier, ou comment il le tenait, je n’ai vu que ce tube épais et noir pointé sur moi, c’est tout. Je décide alors de me mettre en sécurité. Après tout, je ne suis pas John McClane. Lui, il aurait pété le nez du gars et ça aurait été réglé en deux-deux… Mais les films et la vraie vie sont deux réalités différentes….

Je remonte dans mon annexe et rejoins d’autres amis sur leur voilier tout proche de la scène. Je les entends crier à André d’arrêter, que la police est en route, qu’il pense à ses enfants ! Mais rien n’y fait, il continue le carnage. Tout le monde est horrifié.

André menace dans la foulée un couple de danois sur leur catamaran ancré tout prêt d’Archangels. Ils le gênent dans ses manœuvres pour tourner autour de sa cible et ça l’agace. Mais eux aussi ont une arme à bord… en plastique… mais cela André n’en sait rien… Il baisse la tête et s’éloigne. Les danois ont alors la présence d’esprit de filmer le reste de la scène.

Capture d_écran 2017-10-24 à 13.47.12Au total, le monstre d’acier éperonne 9 fois Archangels. Et pas une fois les yeux que celui-ci a à l’avant de sa coque n’auront cillé, tout comme ceux d’André qui quitte enfin la scène sans avoir réussi à couler sa victime mais avec la satisfaction de l’avoir suffisamment massacré à son goût. Il sait que désormais Yves ne pourra plus s’en servir. Les dégâts sont trop importants. Les points névralgiques ont été touchés. Il faudra une fortune pour tout réparer et Yves n’a pas d’assurance. Celle d’André ne couvrira rien puisqu’il s’agit d’un acte volontaire de dégradation. Il a la sensation d’avoir gagné sa bataille.

Toute cette action n’aura pris qu’une grosse demi-heure… C’est fou ce que cela m’a paru long néanmoins. Tous les témoins de la scène attendent les gendarmes qui semblent retenu près du mouillage principal du Marin. Aux jumelles, nous voyons le bateau de l’agresseur ancré à la limite du chenal. L’annexe traîne toujours derrière. Les gendarmes sont non loin. Ils prennent leurs précautions avant d’approcher. Il est 15 heures.

Pendant ce temps, nous sommes deux à monter à bord d’Archangels pour contrôler qu’il ne coule pas. Nous inspectons brièvement l’intérieur, nous démarrons le moteur et nous mettons en marche les pompes de cale(*) au cas où.

Yves arrive enfin une quinzaine de minutes plus tard. Il ne peut que constater les dégâts. Il est choqué et reste silencieux. Nous le laissons seul à bord à sa demande. C’est à ce moment-là, me racontera-t-il plus tard qu’il lit les sms menaçants qu’André lui a envoyé avant, pendant et après l’assaut.

Nous voyons une vedette de la gendarmerie s’approcher de nous environ 2 heures après, vers 17 heures. Ils sont 8 à bord de l’embarcation. Un instant, nous croyons qu’ils vont s’arrêter et prendre nos dépositions mais non. Ils ne font que nous avertir qu’un médiateur est attendu pour raisonner André qui est toujours à bord de son bateau.

Yves nous rejoint à la tombée de la nuit sur le bateau de ses amis les plus proches avec lesquels je suis depuis le milieu de l’après-midi. Peu de temps après, nous voyons l’hélicoptère de la gendarmerie tourner au-dessus de la marina(*). Son puissant projecteur balaye la zone. Nous apprenons alors avec stupeur que André a réussi à quitter son bord malgré la surveillance des gendarmes ! Ceux-ci reviennent nous voir sur leur hors-bord vers 19h30. Yves, inquiet pour sa sécurité, la notre et celle de son bateau, leur demande s’il n’est pas important qu’il s’éloigne de la zone de recherche. Nous sommes tous persuadés que André n’aurait pas hésité à tirer sur Yves s’il avait été à bord. Sinon pourquoi venir armé ? Et nous pensons qu’il est susceptible de revenir finir le travail. Avec l’accord des gendarmes, Yves décide de quitter le mouillage vers 19h45. Ces derniers lui assurent qu’ils veilleront à sa sécurité pendant la manœuvre et lui donne le canal de VHF(*) sur lequel il peut les contacter si besoin.

Le moteur d’Archangels ronronne et nous le voyons, inquiets, s’éloigner vers le chenal principal. Nous ne sommes pas tranquilles de laisser partir Yves seul mais il préfère ne mettre en danger personne d’autre. Il n’a que son feu de mouillage(*) pour se signaler, tout autre instrument électrique étant hors d’état de fonctionner.

Ce qui suit m’a été raconté par Yves lui-même. Je retranscris ci-dessous ce qu’il a vécu seul à bord.

A peine entré dans le chenal(*), il aperçoit une annexe(*) qui le suit avec deux personnes à bord. L’une d’entre-elles porte une frontale qui éclaire un instant son coéquipier. Yves reconnaît André ! Cette fois-ci, il est accompagné et cherche à se rapprocher ! Visiblement, celui-ci devait être en planque à côté du mouillage pour l’avoir rejoint si vite ! Preuve en est qu’Yves a bien fait de se méfier.

Il prend peur et accélère le régime du moteur de son voilier pour prendre la fuite. En même temps, il se précipite à l’intérieur de son bateau pour pouvoir contacter la gendarmerie sur la VHF. Nous entendons ses appels mais pas la gendarmerie ! Elle ne répond pas !!! C’est nous, sur le bateau « New Moon » qui sommes tenu de les appeler par téléphone pour leur faire part de la poursuite en cours ! Ce qui est curieux toutefois c’est que André semble faire demi-tour au moment où Yves tente de contacter les gendarmes sur la VHF. Comme si celui-ci avait une VHF branchée sur le bon canal… En tous les cas, celui-ci s’éloigne et bientôt Yves, toujours en direction de la sortie du chenal voit l’hélicoptère, le bateau des douanes ainsi que celui de la gendarmerie arriver vers lui. Il tente de les informer du demi-tour opéré par André et d’orienter l’hélicoptère dans la direction prise par ce dernier sans grand succès, leur VHF semble ne pas fonctionner et les instructions criées à haute voix à peine entendues. Le temps que tout ce petit monde fasse demi-tour dans la bonne direction, André s’est à nouveau échappé !

Yves est nerveux. Il s’inquiète que André puisse le retrouver et il préfère trouver un refuge autre que celui qu’il avait indiqué aux gendarmes. Il parcourt alors près de 5 kilomètres, tous feux éteints pour s’abriter dans un lieu difficilement accessible en annexe. Il est tellement stressé toutefois qu’il ne s’autorise que 5 mètres de chaîne pour mouiller(*) ce qui lui permettrait de quitter les lieux très rapidement s’il était menacé, mais ce qui signifie également que le bateau peut à tout moment déraper.

Vers 22h30, il appelle la gendarmerie au téléphone pour savoir si André a été appréhendé. Il apprend alors par son interlocuteur que les recherches ont été abandonnées, ce qui accroit encore son stress ! Ce dernier lui demande sa position et Yves préfère lui donner une position bidon au cas où André écouterait.

La nuit s’écoule doucement. Vers 6h15, Yves ne tient plus et rappelle la gendarmerie pour avoir des nouvelles et des conseils sur la conduite à tenir pour cette nouvelle journée. Son interlocuteur l’informe que quelqu’un le rappellera vers 7h00. Il n’aura finalement de réponse de la gendarmerie que vers 8h00 qui lui annonce qu’André a été intercepté. Il peut enfin rentrer au mouillage nous rejoindre…

Il apprendra plus tard que non content de l’avoir harcelé et menacé par sms, André avait également grandement partagé ses intentions sur sa page Facebook annonçant quelques minutes avant le drame qu’il allait faire « le buzz » et quelques minutes après qu’il avait « défoncé le bateau de cet enculé ».

J’apprendrais que la cause de tout cela c’est que mon ami, Yves, venait de commencer une histoire avec l’ex-femme d’André (ils étaient en cours de séparation) et celui-ci, possessif et jaloux, a voulu se venger lorsqu’il l’a appris. Il a alors décidé de s’en prendre au bien le plus cher de mon ami. Son bateau. Son unique bien.

André a été jugé en comparution immédiate. Il a écopé de 18 mois de prison avec sursis avec une interdiction de détenir une arme pendant 5 ans… Peu de chance qu’il arrive à rembourser un jour les dégâts qu’il aura occasionné…

Pour visionner une partie de la scène capturée par le couple de Danois, c’est ici :

Sombre histoire dans laquelle il n’y a eu aucun gagnant…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Bâbord : en bateau, on ne dit pas gauche, on dit « bâbord », c’est la gauche du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Bout : (se prononce « boute ») cela désigne, de façon générale, un cordage sur le navire car le mot « cordage » n’est jamais utilisé par les navigateurs.

Carénage : lieu où l’on carène (nettoie) les coques des bateaux.

Carriacou : île du sud des Antilles faisant parti de l’Etat de Grenade. C’est l’île la plus septentrionale des îles de l’État de Grenade. La population est d’environ 8.000 habitants.

Chenal : c’est la voie d’accès à un port ou à une zone de mouillage dans lequel un navire disposera de la plus grande profondeur d’eau sous la quille, lui permettant de progresser en toute sécurité.

Démâter : abattre ou rompre violemment un mât.

Éperonner : percuter à l’aide de l’éperon dans le but d’endommager, voire de le couler, en parlant d’un navire.

Feu de mouillage : feu diffusant une lumière blanche sur 360° et être disposé à l’endroit le plus visible d’un navire. La nuit, il doit être allumé lorsque le bateau est au mouillage.

Haubans : câbles qui soutiennent latéralement le mât, reliant les hauts du mât au pont du bateau.

Jobber : quelqu’un qui vit de divers petits travaux qu’il réalise à son compte.

Marina : complexe résidentiel incluant un port de plaisance utilisé en partie par les résidents.

Mouiller / Mouillage : terme désignant plusieurs choses selon le contexte. Le bateau est au mouillage, lorsqu’il est accroché à son ancre, ou à son corps mort, il ne navigue pas. Le mouillage c’est aussi la chaîne et l’ancre. Un bon mouillage est un lieu où l’on peut s’arrêter en sécurité.

Pompe de cale : c’est une pompe qui permet d’évacuer l’eau de l’intérieur du bateau depuis l’un des points les plus bas de la coque.

Tribord : en bateau, on ne dit pas droite, on dit « tribord », c’est la droite du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

VHF : radio à très haute fréquence (bande de fréquences comprises entre 30 MHz et 300 MHz).

2 commentaires sur “Art. 9 – Attaque à main armée !”

  1. Bonjour

    Votre article ne laisse pas indifférent !!
    J’ai cherché à lire la vidéo YouTube des danois avec le lien que vous donnez à la fin mais celui ci n’edt Pas bon . C’est un lien de type « édit » et non « play « du coup on ne peut pas y accéder .
    Pourriez vous nous préciser le lien de lecture ou alors le titre sur YouTube?
    Perso cela me touche d’autant plus que je dois aller sur ce secteur très prochainement et y vivre quelques temps . Je n’ai pas vraiment envie de croiser cet individu vraiment dangereux

    Merci à vous

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