Art. 11b – Un AR express en Dominique (seconde partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Lorsque je me réveille deux heures plus tard et que je rejoins les autres dans le cockpit, c’est le « capitaine » qui est à la barre. John et Mac sont autour de lui. Edward lui est absent. Les garçons m’expliquent qu’il y a eu une fuite de diesel. Lors des manipulations du moteur d’il y a quelques heures pour le faire redémarrer, l’un des injecteurs a été abîmé… Un petit trou de la taille d’une tête d’épingle… Il est question de s’arrêter en Martinique pour tenter de faire faire une soudure si Mac n’arrive pas à trouver une solution alternative…

22196468_10154716956560810_628107477914432587_nEdward fait une apparition à 7 heures du matin. Il a dormi toute la nuit sans même s’inquiéter de nous donner un coup de main. Nous n’avons même pas le droit un simple sourire pour nous dire bonjour. Et le pire, c’est qu’il sort du bateau pour se rallonger immédiatement sur une banquette après avoir avaler un semblant de petit déjeuner ! Incroyable !!!

La journée s’écoule doucement. Nous passons les uns derrière les autres à la barre – sauf Edward, bien entendu, qui ne fait toujours rien à part dormir en prenant tout une banquette dans le cockpit… Il m’agace d’autant plus qu’avec le vent, son tee-shirt se soulève régulièrement exposant sa bonne bedaine aux regards de tous et que je me passerait bien de ce spectacle ! Dire qu’à moi, on m’a demandé de m’habiller « modestement » et qu’à lui, on le lui dit rien… Ben voyons…

Nouveau rebondissement ce dimanche à 14 heures ! Cette fois-ci, on a de l’eau plein la cale en plus du diesel. Mac est de nouveau sur le coup. Il est impressionnant, je trouve ! Et d’un, il est pasteur et je n’aurais jamais imaginé qu’un pasteur puisse ainsi mettre les mains dans la graisse, et de deux, il n’est pas navigateur à la base et depuis le départ, il a passé quelques heures le nez dans les effluves du moteur au ponton, comme en navigation, sans jamais se plaindre s’il avait quelques nausées ! On met la pompe de cale en route et pour aller plus vite, on rajoute la petite qui nous a servi à vider le réservoir de diesel précédemment… Je goûte l’eau à la sortie du tuyau qui se déverse dans la mer : c’est un mélange de gasoil et d’eau de mer… Je prends la barre et John et Mac partent à la recherche de l’origine de l’entrée de l’eau salée. Ils vérifient d’abord que ce n’est pas le presse-étoupe(*). S’il s’agit de cela, c’est une catastrophe, cela signifierait que de l’eau entre directement par là où l’arbre rentre dans la coque du bateau. Heureusement, ce n’est pas ça, c’est « juste » le tuyau d’arrivée d’eau de mer de l’évier de la cuisine qui a cassé, il a suffit de fermer la vanne pour régler le problème. Un petit coup de pompe (on commence à avoir l’habitude) et c’est reparti ! Pete n’a même pas eu le temps de réaliser ce qu’il était en train de se passer pendant qu’il se reposait dans le cockpit !

Edward est reparti se coucher dans la cabine arrière à la demande de John qui lui a fait comprendre que seules les personnes actives avaient le droit d’occuper le cockpit. Il libère donc enfin une banquette entière ! Tant mieux ! Qu’est-ce qu’il peut m’agacer celui-là ! Dire qu’il s’est fait passer pour un as et qu’il a menti ! Un pasteur ! Et en plus, dès qu’il peut étaler un peu de culture, il fait comme avec la confiture, il l’étale, il l’étale, il l’étale et tant pis s’il s’agit de conneries… A la limite, il reconnaitrait ne rien y savoir en navigation et il chercherait à nous aider en nous préparant à manger par exemple, ça le ferait, mais il est de tellement mauvaise fois que même lorsque je lui suggère très fortement qu’il serait extrêmement sympathique qu’il nous sorte du placard un bout de pain et quelques petits trucs à mettre dessus, il n’exécute que la moitié de la tâche sous prétexte « qu’il n’a pas trouvé le reste »… Hum, ce gars n’a pas l’air bien motivé dans la vie, heureusement pour lui qu’il a trouvé une « voie »…

La nuit tombe. Mac, à force de trifouiller dans le moteur, a trouvé une solution qui nous évitera un stop en Martinique donc on passe loin de sa côte. Les vagues sont hautes dans le canal entre la Martinique et la Dominique. Certaines déferlent et éclaboussent le pont. Je rentre un instant à l’intérieur, ma frontale sur le front. Je m’aperçois avec surprise que certains cartons sont mouillés et que mon téléphone que j’ai posé exprès dans un petit compartiment de la table nage dans un bon centimètre d’eau ! Mon nouveau téléphone qui a trois semaines à peine !!!! Celui-là même qui a remplacé mon défunt premier smartphone qui a fini sa vie au fond de la marina du Marin… Moi qui l’avait posé exprès là pour éviter qu’il tombe ou qu’il prenne l’eau, c’est raté !!! Et tout ça à cause de quelqu’un (personne n’a voulu se dénoncer) qui a mal fermé un des hublots du pont !!! Scrogneugneu !!!! Il va me coûter cher cet aller-retour en Dominique…

Le canal est traversé et nous approchons la côte sous le vent de la Dominique. Le moteur a accepté de redémarrer grâce à Mac surnommé « Mac Gyver » par John et heureusement car sinon le trajet nous demanderait quelques heures de plus vu le faible vent ressenti sous la côte…

Après m’être reposée un peu, je reprends la barre de minuit jusqu’à 3h45. Nous longeons doucement la côte et, autour de moi, tout le monde dort, épuisé. Nous sommes proches de la ville de Roseau, la capitale de la Dominique. Des rumeurs sur le net parlent de pirates qui détroussent les voiliers tentant d’apporter de l’aide. Je reste donc attentive à toute lumière ou bateau suspect autour de nous.

Pete prend ma relève à la barre et je m’endors dans le cockpit à côté de lui. A 5h30, il me réveille de nouveau pour le remplacer. Nous sommes devant Portsmouth, l’autre grande ville de la Dominique, et il faut qu’on attende le grand jour pour rentrer dans la baie. J’envoie Pete à moitié paître. Pourquoi moi encore ? Il n’a qu’à demander à Edward de surveiller un peu ce qu’il se passe ! Il y a peu de vent, le moteur tourne, il ne peut pas faire beaucoup de bêtises… Et je referme les yeux…

Je me réveille au son d’une bouteille en plastique qui tombe à côté de moi. John et Mac sont réveillés. C’est John qui m’a lancé la bouteille. Ils se moquent gentiment d’Edward qui fait faire des zigzag au voilier sur une eau plate pourtant comme un lac. Et celui-ci demande d’ailleurs rapidement à John de le remplacer car soit-disant « les vagues le poussent sur la côte » !?!? Quel navigateur vraiment, jusqu’au bout il aura joué le boulet…

Nous entamons enfin notre entrée dans la baie de Portsmouth. Le spectacle est impressionnant : les reliefs de l’île montrent des arbres nus comme s’il s’agissait de l’automne en France sauf qu’ici c’est le vent qui a arraché les feuilles et pas le froid qui les a fait tomber. De nombreuses habitations montrent des toits arrachés en partie ou totalement. Les tôles sont maintenant dans l’eau tout le long de la côte. Des bateaux sont échoués ici et là. D’autres, à flot, montrent des blessures flagrantes…

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Nous arrimons le bateau au quai et nous débarquons heureux de pouvoir se dégourdir les jambes et pressés de débarquer les marchandises. Edward, le boulet, arrive tout de même à trébucher en sortant du bateau ! J’ai même cru un instant qu’il allait finir entre le quai et la coque… Jusqu’au bout vraiment, il se sera montré en-dessous de tout…

22154716_10154716957905810_6365271551503893338_nLa première étape, c’est la douane afin de faire les formalités d’entrée. Leur entrepôt a été soufflé, il ne reste que les murs. Leur bureau n’a plus de toit. Les douaniers sont donc contraints de faire remplir les papiers dans leur 4×4. Ils nous autorisent à débarquer les vivres. Une camionnette conduite par des paroissiens appartenant aux églises en lien avec l’opération arrive. Et une chaîne humaine se forme pour y transférer les marchandises.

Des parents de la famille de John viennent nous retrouver sur le ponton, notamment Mike, un vrai rasta man ! Il a le physique d’un rugbyman avec des rasta. Il explique avoir tout perdu : sa maison et son bateau qu’il venait à peine de finir de retaper. Mais il garde le sourire car il est en vie et que sa famille va bien. Et d’ailleurs, il n’est pas le seul à réagir comme cela. En effet, les dominicains que je rencontre gardent le sourire malgré les circonstances. Ils ont tout perdu mais ils sont en vie et c’est cela qui compte à leurs yeux !!!

Je retrouve sur le ponton un autre rasta man d’un physique plus « classique » va-t-on dire. C’est Yellow. Il est sûre de m’avoir déjà croisée quelque part… En Martinique d’après lui… Et je me rappelle, oui !!! A la station à essence : il était venu discuter quelques minutes avec moi après m’avoir vu remplir des bidons de gasoil et d’essence et les transférer toute seule du ponton à mon petit dinghy. Il avait semblé surpris de savoir que j’étais seule à gérer mon voilier et m’avait fait un petit numéro de charme à l’effet, euh…, tout relatif dirons-nous !

John et moi, nous laissons les pasteurs et les paroissiens traiter leurs affaires et nous suivons Yellow qui nous promet de nous aider à trouver une bière quelque part. Je pars avec une bouteille d’eau encore fraîche grâce à l’énorme glacière remplie de glace que nous traînons sur le pont du bateau (le frigo du bord ne fonctionnant pas). On me fait rapidement comprendre que me balader avec cette belle eau glacée n’est pas une bonne idée ici… Il n’y a pas d’eau courante. L’électricité est coupée depuis presque deux semaines, la simple idée d’une gorgée d’eau glacée pourrait donner de mauvaises idées à certains paraît-ils… Je la laisse à des membres de la famille de John que nous croisons sur la route.

Les rues sont quasiment désertes. Elles sont jonchées de détritus divers dont les plus gros ont repoussés sur le côté. Nous enjambons des câbles électriques tombés à terre. Nous passons à côté de poteaux pouvant concourir avec la tour de Pise. Les magasins sont fermés forcément. La vie est loin d’avoir repris son cours normal en deux semaines.

Yellow nous emmène dans une petite gargote qui a encore des réserves de bières, dont le réfrigérateur fonctionne grâce à un générateur et qui pratique des prix normaux ! Nous dégustons avec délice quelques bières bien méritées debout à l’extérieur du bar bondé avec vue directe sur les dégâts aux alentours…

P1040466Yellow nous emmène ensuite dans un autre endroit qui est l’un des seuls en mesure de proposer un plat chaud. Attention, ce n’est pas un restaurant, ni un bar… non, non, une sorte de minuscule magasin, l’un des très rares déjà ouverts, avec un comptoir et qui vend également quelques produits de première nécessité. Pas le choix bien évidemment, aujourd’hui c’est coquillettes et ribs. John et moi partageons l’assiette en plastique. C’est bizarre, il me laisse la plus grosse partie des ribs… Et je me demande pourquoi il demande avec tant d’insistance à la vendeuse ce que c’est comme viande ? C’est vrai que ce sont de toutes petites ribs mais je m’en fous, j’ai faim et on a mangé essentiellement du pain avec de la confiture et du beurre de cacahuète depuis qu’on est parti (note pour plus tard : ne pas laisser les pasteurs s’occuper de la bouffe à bord !!!). Les os sont bien moins gros que d’habitude mais c’est bon, super bon même… La femme refuse de lui répondre, bizarre. Elle dit qu’elle ne sait pas… Nous sortons du magasin et c’est seulement à ce moment là que John m’avoue qu’il pense que c’est du chien… « Du chien ? Comment ça du chien ? » Il me regarde l’air étonné : « T’as pas remarqué la taille des os ? T’as déjà vu des ribs si petites ? Et comment tu crois qu’ils ont eu de la viande dans les conditions actuelles ? »… Décidément, je suis bien naïve… Alors si c’est du chien, euh…, ben j’ai quand même trouvé ça bon…

Yellow nous raccompagne près du ponton où est arrimé le bateau. Nous y rencontrons d’autres membres de la famille de John. Charles, l’un de ses cousins, et Deb sa fille. Cette dernière nous emmène faire un tour en voiture dans les environs après que nous ayons négocié un peu d’essence. A l’heure actuelle, ils limitent tous les déplacements car le carburant est vendu au compte-goutte à certains endroits seulement.

Avec Deb comme chauffeur, nous traversons la ville de Portsmouth et nous longeons ensuite la route en bord de mer en direction de l’autre principale ville, Roseau. C’est une succession de paysages de désolation. Dans les villes, ce sont des toitures manquantes, des poteaux électriques tombés à terre ou faisant concurrence à la tour de Pise, de nombreux câbles électriques ou téléphonique jonchant le sol. Tous les magasins sont fermés bien évidemment à part quelques très rares endroits où l’on croise un peu de vie…

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Roseau, au sud de l’île, a priori, a été plus durement touchée que Portsmouth, au nord. Les rues du centre-ville ont été désencombrées, on va dire, et de part et d’autre de chacune d’entre elles, il y a un monticule de terre et de débris divers montrant l’énorme quantité de boue qui s’est déversée dans la ville, la dévastant. Les murs sont encore marqués et on peut aisément voir jusqu’où l’eau est montée au cours du passage de l’ouragan. Les rares passants que l’on croise portent tous des masques pour protéger leurs voies respiratoires. J’apprendrais d’ailleurs, dans les jours suivants, que de nombreux Dominicains, souffrent de problèmes respiratoires sévères suite à tout ce qui a volé dans l’air durant et après le cyclone.

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Nous n’avions pas emmené d’eau potable pensant qu’avec les nombreuses sources de la Dominique, les gens ne manqueraient pas d’eau là bas. Hé bien, non… Impossible de boire l’eau juste après un cyclone en raison des animaux morts qui traînent dans les cours d’eau, des arbres qui sont tombés dedans, l’amoncellement de débris divers la rend impropre à la consommation, quand les canalisations n’ont pas été détruites bien évidemment ! Ce problème d’eau cause des problèmes de diarrhées en plus des problèmes respiratoires… L’eau des inondations favorisent la pullulation des moustiques et tout le lot de maladies qu’ils peuvent transmettre du genre dengue, zika ou chikungunya… L’eau stagnante et les débris qui ne peuvent pas être retirés de suite attire également les rats dont la pisse peut donner la leptospirose… Et la proximité des personnes qui ont trouvé refuge chez les uns ou les autres après que leur maison ait été détruite favorisent la transmission de ces maladies…

Dans ce contexte particulier, se rajoutent les faits que l’hôpital a été détruit, la fac de médecine a été vidée, les professeurs ayant fui l’île et les apprentis médecins étant partis finir leurs études dans une autre île… Pas le choix, ici, il n’y a plus rien. Je prends meilleure conscience de ce que signifie le passage d’un cyclone sur une île. C’est une chose de voir des photos ou des reportages, c’est autre chose de voir les faits par soi-même ! Les blessés et malades sont laissés à eux-mêmes… Je prends conscience de l’ampleur des dégâts et du temps qu’il faudra à la Dominique pour se relever. Ce n’est pas une question de semaines ou de mois, mais d’années véritablement… Si peu de temps après le passage du cyclone, ils manquent de tout : nourriture, produits d’hygiène de base, générateurs, dessalinisateurs mais aussi matériaux de reconstruction…

Nous rentrons doucement en direction de la baie de Portsmouth. Nous rejoignons les pasteurs sur le quai auquel le bateau est apponté. Il est question de ramener une famille à Saint Vincent. John s’en mêle. Il ne veut pas trop de monde à bord et il compte également ramener sa nièce à bord pour l’héberger à Bequia et l’aider à trouver du travail pour qu’elle puisse aider sa famille ici. La discussion s’enflamme un peu. John rumine… Il s’éloigne un instant. J’en profite pour lui soumettre l’idée que, s’il s’agit d’une question de nombre de personnes et de poids, euh… comment dire… pourquoi ne pas laisser sur place Edward qui s’était révélé un bon poids mort durant tout l’aller ? Je vois le visage de John s’éclairer. Visiblement, mon idée le réjouit ! Il retourne négocier. Quelques minutes plus tard, il revient tout sourire. Demain matin, nous embarquons deux femmes et deux enfants que nous déposerons à Saint-Vincent où ils ont de la famille ainsi que Donna, sa cousine. Edward reste à terre, il se débrouille de son côté… Nous ne posons aucune question. Ce soir là donc, nous ne sommes plus que quatre à dormir sur le bateau. Edward a préparé ses affaires et est parti rapidement.

Mac en profite pour se lâcher un peu sur son compte. Il nous raconte que la nuit précédente, alors qu’il dormait dans la cabine avant, après avoir assuré son quart, il a entendu Edward allait aux toilettes toute proches. Il n’a pas pu s’empêcher de se demander comment Edward pouvait se faufiler dedans et réussir à fermer la porte derrière lui (c’était déjà limite pour moi, alors lui….). Et après que celui-ci ait fini sa petite affaire, il n’a rien trouvé de mieux que d’aller s’allonger à côté de Mac dans la cabine avant au lieu de repartir à l’arrière et le laisser tranquille… Du coup Mac a été incapable de se rendormir et est parti nous rejoindre dans le cockpit plus rapidement qu’il ne l’escomptait…

Le lendemain matin, je fais une petite toilette de chat après avoir sauté dans l’eau pour me réveiller. Peu après, habillée, dans l’attente de voir arriver nos « invités », je me penche un instant au-dessus des filières pour observer une grosse branche qui est passée sous le ponton et qui me semble un peu trop proche de la coque et là, j’ai dû faire un faux mouvement… En un instant, je sens une forte douleur dans mon cou, et j’ai l’impression de ne plus pouvoir le maintenir en place, je m’accroupis comme je peux en me tenant la tête entre les mains… Il faut que les autres m’aident à m’allonger dans le cockpit tout en m’aidant à soutenir ma tête… Je me suis coincée un nerf ou je ne sais pas… Je réfléchis à toute allure : je suis sur une île qui vient d’être dévastée par un cyclone, il n’y a aucune structure médicale debout, aucun médecin, encore moins de chiropracteurs ou d’ostéopathes et je ne peux pas bouger. Ce n’est pas un torticolis, je n’ai pas juste mal quand je bouge, je ne peux pas soutenir ma tête !!! Dans trente minutes, les personnes que nous attendons vont arriver et je devrais soit débarquer du bateau, soit y rester si tout se remet en place. Je désespère… Charles, le père de Deb, passe nous voir au bateau. Il découvre mon état et fait un aller et retour chez lui pour me ramener un spray chauffant magique ! De toute manière, je n’ai pas le choix… A son retour, Pete m’aide à me relever et m’en enduit le cou et la base des épaules. J’ai même le droit à un rapide massage de sa part, un massage d’un pasteur ! Hahahah ! Je me rallonge. Le produit chauffe, je ne sens pas d’évolution particulière. J’attends… Les minutes passent… Mais doucement, les choses évoluent. Je finis, toujours avec de l’aide, par me redresser et j’arrive à maintenir ma tête sans utiliser mes mains. Cette fois-ci, ça n’a plus l’air que d’un vilain torticolis… Ça va être dur pour les manœuvres mais au moins, je peux bouger sur le bateau… Non mais, quelle histoire !!!

Peu de temps après, nos « invités » arrivent. Une maman et ses trois enfants, ainsi que leur grand-mère. Donna les suit de près. Tout le monde embarque, trouve sa place et nous mettons les voiles. Enfin, on essaye… Je vois avec surprise Mac et Pete tenter de lever la grand-voile alors que nous sommes vent arrière et pas face au vent… Que dire… Il semble que Pete ait oublié certains trucs élémentaires de son lourd passé de voileux… Bref, après ce petit couac, nous mettons les voiles en direction de Saint-Vincent où nous allons déposer la petite famille ainsi que Pete qui vit là bas.

En longeant la côte sous le vent de la Dominique, de plein jour cette fois-ci, nous réalisons que nous avons eu de la chance lors de notre arrivée de nuit. Nous croisons plusieurs fois de gros troncs d’arbres qui, en cas de collision, seraient susceptibles de faire pas mal de dégâts sur la coque…

Le retour se fait rapidement. Toute la petite famille est très cool et se fait discrète l’essentiel du voyage. Cette fois-ci, pas de couac. En tout cas, pas avant de rejoindre la petite marina au sud de l’île de Saint-Vincent. Nous y entrons au petit matin. Et là, à peine l’entrée dépassée, le bateau est stoppé par un banc de sable… Il s’avère que le chenal qui mène aux pontons un peu plus loin est relativement étroit et qu’il faut presque frôler les voiliers amarrés aux premières bouées près des balises signalant l’entrée du chenal… Bref, branle-bas le combat à bord ! John tente la marche arrière toute, sans succès… Le bateau ne bronche pas. Après 10 minutes de manœuvres variées au moteur, il invite toutes les personnes à bord à sortir et à se poster le plus à l’avant possible pour soulager l’arrière du bateau. Et nous voilà tous servant de contrepoids à l’avant sous le regard narquois de quelques spectateurs au mouillage. Enfin, le bateau accepte de bouger et nous atteignons enfin les pontons.

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Nous débarquons femmes et enfants ainsi que Pete qui vit également sur l’île. Après des au revoir chaleureux, le reste de la trouve, à savoir John, Mac, Donna et moi, rejoignons Bequia, cette fois-ci, sans aucune encombre…

Donna s’est par la suite installée dans la chambre d’ami de John quelques jours. Au cours de cette période, nous avons vécu un fort orage. Pour ma part, c’était les coups de tonnerre les plus violents que j’ai entendu de ma vie, c’est vous dire ! Et bien, Donna m’a raconté avoir passé sa nuit à courir entre sa chambre et la salle de bain car elle avait eu l’impression qu’un nouvel ouragan s’abattait sur elle. Les éclairs, les coups de tonnerre, tout était similaire à ce qu’elle avait vécu pour Maria. Elle avait donc passé la majorité de sa nuit, accroupie dans la salle de bain, la seule pièce assez rassurante pour elle avec ses murs tout autour sans fenêtre, son sac dans ses bras… Je vous laisse imaginer le traumatisme que ces personnes ont vécu… Elle est repartie pour la Dominique quelques jours après seulement pour rejoindre son père tombé malade d’une maladie respiratoire infectieuse. Elle n’avait pas le cœur à le laisser se débrouiller tout seul… Et depuis pas de nouvelles, la Dominique n’ayant toujours pas pu remettre son réseau de communication en était de marche…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Presse-étoupe : pièce garnie d’un joint assurant l’étanchéité de l’arbre de transmission. En gros (en très gros), l’hélice est fixé sur un tube (l’arbre) qui rentre dans la coque du bateau et c’est ce fameux presse-étoupe qui permet de ne pas couler par cet endroit.

Art. 11a – Un AR express en Dominique (première partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Le surlendemain du passage du cyclone Maria, les conditions météo s’améliorent nettement. La houle est moins forte et les premiers bateaux repartent en direction de la Martinique ou d’ailleurs.

Je m’apprête à les imiter. Le moteur de Nautigirl ronronne déjà. Je suis sur le point de quitter la bouée, une amarre dans les mains, lorsque je vois un zodiac(*) s’approcher. C’est « African » le propriétaire de la bouée qui passe me voir (ils sont nombreux ici à avoir un surnom par lequel ils préfèrent se faire appeler). C’est un géant qui pèse aisément son quintal ! Il est impressionnant à voir : aussi grand que large ou presque. Il me convainc de rester quelques jours de plus sur Bequia(*) pour me détendre un peu plutôt que de remonter aussi vite en Martinique sans même avoir pris le temps de poser un pied à terre. C’est vrai que c’est dommage. Je rattache l’amarre que je venais de libérer, éteins mon moteur et je le suis sur son dinghy(*) pour qu’il me dépose à terre (mon annexe est déjà gentiment sanglée et dégonflée sur le pont et je n’ai pas du tout envie de la remettre à flot de suite).

En chemin, nous stoppons un moment sur son catamaran à bord duquel il fait régulièrement du charter et il m’y offre un verre de jus frais. Ça faisait longtemps ! C’est délicieux ! Et ça me rappelle à quel point un frigo à bord, c’est parfois bien pratique… Nous repartons rapidement en direction de la terre ferme où African me dépose.

J’en profite pour faire ma clearance(*) et j’explore un peu les environs à la recherche d’une connexion internet. Je suis coupée du monde depuis déjà plusieurs jours et j’aimerai savoir ce qu’a donné Maria exactement…

C’est ainsi que j’aboutis au « Maria’s Café », oui, oui, du même nom que le cyclone ! En m’y connectant à internet pour la première fois depuis que j’ai quitté la Martinique à la hâte, je lis un message Facebook daté du jour de mon arrivée à Bequia par un pote qui m’annonce avoir un très bon ami sur place qui a réservé une bouée pour moi… Pffffff…. Dommage que je n’ai pas pu me connecter à internet avant… Ça m’aurait évité une nuit blanche comme celle que j’ai passé sur le mouillage avec mon ancre qui n’accrochait pas… Et ce très bon ami de mon pote, c’est John, le propriétaire du « Maria’s Café » justement. Celui-ci m’accueille comme si j’étais une de ses amies de longue date et me met tout de suite à l’aise.

Je suis à Bequia depuis maintenant quelques jours. Les gens d’ici sont accueillants et cet endroit me fait penser à la Polynésie qui me manque tant. Le contact est facile, les locaux sont souriants, le mouillage est sympa, bref, ça me fait du bien. Tous les jours, je squatte le wifi du bar-restaurant pour bosser en ligne la théorie du Yachtmaster, mon nouveau défi. Une fois les cours finis, je pourrais valider à distance cette formation et ne passer que la pratique dans une école affiliée à la RYA, comme celle de Grenade.

C’est ainsi que tous les matins, je suis la première à arriver au « Maria’s Café ». John m’y offre le petit déjeuner et nous faisons tous les jours plus ample connaissance autour de notre café matinal.

J’apprends ainsi qu’il s’apprête à prêter un voilier pour permettre à une église de rapatrier des vivres en Dominique(*) durement touchée par l’ouragan. Il me présente Mac, un ami à lui, pasteur, qui fera partie du convoi. Celui-ci n’a aucune expérience en tant que marin mais il est volontaire et bricoleur, ce qui peut s’avérer utile sur un bateau comme celui sur lequel il va partir.

Ce voilier, mis à disposition par John, c’est un bateau dont le propriétaire, trop endetté, ne s’occupe plus et dont ce dernier a convenu de lui laisser à disposition en échange des sommes engagées par John pour la maintenance, le mouillage et la surveillance du bateau.

John propose à Mac d’aller lui montrer le bateau en attendant l’arrivée du capitaine, un autre pasteur (!?!), qui fera la route jusqu’en Dominique. Je les accompagne, curieuse. Le bateau fait 40 pieds, il a l’air solide mais l’intérieur est sale : il y a de l’huile partout sur les planchers, les bouts(*) sont emmêlés, certains sont bien usés, trop même. Il y a du travail pour le mettre suffisamment en état pour la navigation prévue ! Mac s’y met de suite, aidé dans cette tâche par un homme à tout faire travaillant pour John.

Le lendemain, depuis la terrasse du café, d’où je vois le bateau en question, je vois Mac s’activer dessus accompagné par un autre homme, beaucoup plus petit, il arrive à peine à la hauteur de la bôme(*) ! C’est le capitaine censé mener ce bateau jusqu’en Dominique. Il vient d’arriver en ferry depuis Saint-Vincent(*) où il vit. C’est également un pasteur ! Ils gréent(*) les voiles, démêlent les drisses(*), mettent tranquillement les choses en place.

Je fais la connaissance du capitaine, Pete, un peu plus tard dans la journée. Il a 71 ans !!! Il me parle de ses expériences de navigation, de sa vie dans les îles Marshall… Je découvrirais rapidement que tous ces souvenirs datent du début des années 80 soit presque 40 ans auparavant et que depuis, il a peu navigué !

John discute avec les pasteurs. Il semble inquiet à l’idée de leur laisser la responsabilité du bateau en raison de l’âge du capitaine… Mac est une personne qu’il connaît depuis un bout de temps, ils s’entraident souvent et c’est pour cette raison qu’il décide de leur proposer de les accompagner. Par contre, l’idée de n’être entouré que de pasteurs au cours de longues heures de navigation ne l’enchante guère. Il me propose donc de faire partie du voyage. C’est l’occasion pour moi de donner un coup de main à une île sinistrée, je saisis ma chance !

Nous voilà bientôt tous réunis autour d’une table au café. John leur fait part de son idée. Ils sont enchantés de sa proposition de les assister au cours du voyage. Par contre, ma présence à bord les fait un peu grincer des dents. Pete précise qu’ils sont déjà cinq pasteurs à partir et qu’avec nous deux, nous serions sept. Trop de poids, moins de vivres à emmener. Ils ne sont pas d’accord. John discute, négocie, il ne voit pas l’intérêt d’avoir autant d’hommes d’église à bord, tous néophytes… Finalement, Pete décide de nous emmener tous les deux et de réduire le nombre de pasteurs à bord à trois : lui, Mac et un autre pasteur nommé Edward fraîchement débarqué de Saint-Vincent lui aussi.

Edward est un gros bébé tout rondouillard à la bedaine bien prononcé. Il se présente à moi heureux de m’annoncer qu’il parle français parfaitement et qu’il pourra m’aider à me faire comprendre à bord. Je réaliserai rapidement que sa soit-disant maîtrise du français est très largement surévaluée tout comme d’autres aspects de sa personnalité…

Pete me prend en aparté. Il m’explique qu’étant pasteurs, tout ce petit monde attend de moi que je m’habille « modestement ». Interloquée, je lui demande ce qu’il sous-entend par là. Il se contente de me répondre que comme je suis (short et tee-shirt), ça va… Sous-entendu, je pense, pas de haut de bikini à bord et ne pas se trimballer en maillot de bain devant eux…Ben, voyons… Vive la libération de la femme et l’absence de préjugés…

Samedi 30 septembre 2017, au matin, nous nous apprêtons à quitter Bequia à bord du voilier. Pete, le capitaine, nous réunit dans le cockpit. Il veut prier (?!?) avant de quitter le mouillage… Je les regarde faire, un peu à l’écart. Ce rite me paraît un peu étrange mais de la part de pasteurs, je ne devrais pas être étonnée. La prière cède la place à un petit discours… Pete précise que c’est lui le capitaine, que John est là en tant que propriétaire du voilier, qu’il attend de nous que nous obéissions lorsqu’on nous donne un ordre et que si conflit il doit y avoir, ça ne peut être qu’entre lui et John de part leur position respective : les autres doivent la fermer et obéir. Si quelqu’un est malade, il attend de lui de faire sa part des tâches…. Hé ben, ça promet pense-je !

Nous quittons le mouillage. Pete prend son rôle de capitaine très à coeur visiblement. Il est déjà à l’avant du bateau à – je pense – ranger les amarres(*) ou remonter les para-battages(*). Pas du tout en fait… Quand je passe à l’avant pour vérifier qu’aucun bout ne traîne sur le pont, qu’aucun pare-battage n’a été oublié, je me rends compte qu’il n’a rien fait, ça me surprend ! Je ne dis rien et je gère donc à moi seule l’ensemble des amarres et pare-battages. J’arrime(*) le tout solidement sur le balcon(*) arrière et rejoint tout le monde dans le cockpit. J’entends John demander à Pete d’aller attacher l’ancre à l’avant mais ce dernier lui répond qu’il préfère regarder comment John s’y prend. Surprenant pour un capitaine ! Il semble ne pas savoir comment sécuriser l’ancre ! John passe donc à l’avant pour s’en occuper suivi par Pete qui, décidément, me donne une confiance très moyenne en ses capacités de capitaine…Par contre, il adore donner des ordres et des instructions… La preuve, alors que j’essayais d’expliquer en anglais à Edward comment faire un nœud de chaise, il m’a vertement rabrouée en disant que ce n’était pas le moment… Hum hum… Je ne dis rien, je baisse la tête… Après tout, il ne faut pas contrarier les ancêtres !

Un peu après, il m’explique avec tout le sérieux du monde que la meilleure cabine est celle de l’arrière mais qu’il la destine à accueillir des vivres, que lui se réserve la banquette bâbord dans le cockpit(*)… Genre, il va veiller toute la nuit et nous, les autres, on n’a qu’à s’arranger ensemble… Après cela, il me confie son téléphone pour que je le pose à côté de la descente(*), ce que je fais. Cinq minutes après, il descend dans le carré(*) faire je ne sais pas quoi et soudain je l’entends m’interpeller sèchement : « Diane ! Qu’est ce que tu as fait de mon téléphone ? ». Je lui désigne du doigt l’endroit exact où il m’a vu poser son téléphone quelques minutes à peine avant. Il paraît étonné mais ne murmure pas même une excuse ou un merci en s’en emparant… Bon sang ! Ça promet ce voyage !!! Le temps d’atteindre l’île de Saint-Vincent où l’on doit récupérer les vivres, je l’entends raconter à qui veut l’entendre toutes ses aventures vécues en bateau… le plus grand bateau sur lequel il a navigué, le plus haut mât sur lequel il a grimpé, le trajet le plus « rout’s » qu’il ait vécu sans électricité sur le voilier, sans coussin, sans éclairage, sans rien… Tout ces souvenirs datent des années 80 tout de même !!! Il remue beaucoup, beaucoup de souvenirs qui datent…

John, qui barrait jusqu’à présent, laisse à Edward le soin de diriger le bateau. Ce dernier lui a dit qu’il savait faire du bateau et qu’il avait même participé à des régates. John lui confie donc la barre du bateau en tout confiance. Rapidement, le voilier commence à zigzaguer à gauche et à droite… Visiblement il ne sait pas barrer si bien que ça, et ce, malgré la présence de Pete à ses côté qui tente de lui prodiguer des conseils… Il semblerait qu’un pasteur puisse mentir éhontément ! Je me répète mais ça promet vraiment, d’autant plus que le pilote automatique refuse de fonctionner, il faudra donc barrer tout du long… Et il y a environ 25 heures de trajet.

En aparté, John me fait comprendre que nous serons sûrement les deux seuls à assurer les quarts(*) de nuit. Il voit mal les autres faire. Mac est volontaire mais n’a pas d’expérience. Edward a visiblement menti sur son expérience de navigateur. Pete est dans un rêve éveillé où il se voit capitaine alors qu’il n’en a pas les compétences et il n’a pas la force physique nécessaire pour agir comme il le faudrait sur le bateau. Il n’arrive pas à border seul l’écoute(*) de grand-voile par exemple.

A 12h30, après un peu plus d’une heure de navigation, nous arrivons à la pointe sud de Saint-Vincent dans une petite marina dans laquelle nous devons récupérer les vivres collectés par les paroisses auxquelles appartiennent ces pasteurs.

Je connais un peu Saint-Vincent mais pas cette marina. Je découvre une minuscule enclave entourée d’un récif et à laquelle on accède pour une toute petite passe définie par deux balises(*) classiques rouge et verte. John, qui a repris la barre, faufile le voilier à travers cette petite entrée. On pourrait presque (si j’étais marseillaise) toucher depuis le pont du bateau les balises qui la délimitent. Je suis impressionnée. Je regarde le logiciel de navigation Navionics sur l’Ipad qui montre la carte détaillée de l’endroit et notamment les profondeurs. Pour accéder aux pontons, il faut veiller à ne pas s’écarter du chenal de navigation qui n’est pas marqué en surface (aucune bouée pour le baliser), il faut donc garder un œil constant sur l’Ipad.

Nous arrivons enfin au ponton d’où les vivres vont être chargés. Certains volontaires de la paroisse nous attendent, prêts à faire monter les vivres à bord. Je pars avec la femme de Pete – qui nous attendait de pied ferme – récupérer les aliments pour nourrir l’équipage durant le trajet. Je reviens les déposer au bateau et je commence à organiser le coin cuisine. Pendant ce temps là, John gère les pleins d’eau et de gasoil, et Mac commence à descendre dans le bateau des sacs de riz, de farine et des cartons de conserves pour la Dominique. Il suit les instructions de John qui souhaite que tout soit centré non loin du mât pour répartir uniformément le poids.

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A la demande de John, Mac vérifie que les réservoirs d’eau se remplissent tranquillement. Il ouvre la trappe d’accès mais ne voient que des réservoirs vides… Pourtant, les employés de la marina ont bien mis un tuyau dans l’un des nables(*) sur le pont et de l’eau s’écoule du tuyau alors où va-t-elle ? Je monte sur le pont et je m’aperçois que le tuyau est enfoncé dans un nable intitulé « waste » (déchets en anglais) et non « water » (eau en anglais). Résultat, l’eau s’est déversé directement dans le réservoir de gasoil auquel ce tuyau « waste » a sans doute été raccordé par l’ancien propriétaire… Le moteur qui tournait encore a calé…

On passe l’après-midi entière à tenter de siphonner le réservoir pour se débarrasser de l’eau et pouvoir redémarrer le moteur. Bien évidemment, on est samedi, tout est fermé et nous n’avons qu’une minuscule pompe qui génère un tout petit débit. C’est mieux que rien mais ce n’est pas terrible… Au fur et à mesure qu’on vide le réservoir, on remplit des seaux de ce mélange de gasoil et d’eau qu’on doit ensuite aller porter jusqu’à un récipient plus loin dans la marina qui autorise le déversement de gasoil. Ce sont des va et vient constants durant plusieurs heures. Le réservoir semble sans fin. Dans le doute, Mac décide de vérifier la profondeur du réservoir et ne trouve rien de mieux que d’y glisser un bout de canne à pêche qu’il laisse tomber à l’intérieur par inadvertance par une ouverture à peine plus grande que mon poing… Décidément, pas de chance… Le bout de canne a disparu à l’intérieur. Impossible de le récupérer…

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Au bout de plusieurs heures d’effort, on arrive finalement au bout : canne à pêche toujours coincée mais réservoir vidé, moteur purgé et filtres changés par les bons soins de Mac. Nous redémarrons enfin le moteur dans la soirée. Il fait nuit noire quand nous quittons enfin le ponton ! Le bateau est chargé à bloc. Nous avons préservé la cabine avant et la cabine arrière pour l’équipage et l’ensemble des vivres est entassé dans le carré. Nous marchons sur les sacs de riz et de farine pour atteindre les seules toilettes qui fonctionnent et la cabine à l’avant.

Je suis de nouveau la seule à me charger des amarres et des pare-battages. John est à la barre, Mac est auprès de lui, Edward est assis dans le cockpit près d’eux et Pete est à l’avant avec sa lampe torche étanche dont il ne cesse de clamer les qualités pour assister John dans la sortie étroite de la marina. On n’y voit rien avec sa lampe ! Je finis de ranger les pare-battages et je demande à Mac de me donner le projecteur que j’ai emprunté à Nautigirl pour le trajet. Il me le tend et j’éclaire un instant vers l’avant pour voir où l’on en est et aider Pete dans sa recherche des bouées de signalisation. Au moment où je braque mon projecteur vers l’avant, je me rends compte que l’on s’apprête à dépasser les deux balises par leur droite !!! On est complètement à côté du chenal qu’on aurait dû emprunter et on s’apprête à finir sur un banc de sable ou pire un récif ! Je crie pour attirer leur attention dans le cockpit. Ils prennent enfin conscience de leur erreur ! Marche arrière toute, demi-tour et repassage au bon endroit du chenal pour franchir cette foutue porte !!!! Heureusement que j’avais pensé à emmener ce foutu projecteur de pont, sans cela, on arrêtait le voyage là… sur le récif… A quelques milles seulement de notre point de départ…

Après nous être un peu éloignés, je prends la barre pour commencer mon quart de nuit. Pete est sur mon dos. Il est assis devant la capote(*) sur le radeau de survie et observe les flots noirs… Et il commente en me donnant des ordres : « Fais +10° sur ta route pour éviter un courant »… Comme si il pouvait voir la moindre indication d’un courant par cette nuit sombre… 10 minutes après, il se retourne vers moi pour me dire de reprendre ma route normale… Comme s’il avait pu observer un « micro-courant » sur quelques centaines de mètres et qu’il avait su – de par sa précision – nous éviter de nous dévier de notre route… Ralahaha !!! Cette manière d’essayer d’imposer son statut de capitaine me court fortement sur le système…

Edward, quant à lui, en rajoute une couche en se permettant de faire des réflexions dès qu’il voit sur l’Ipad ma route réelle s’écarter de la route théorique… C’est qu’il commence à me gonfler aussi celui-là ! En plus, il ne fout rien… Quand il n’est pas allongé de tout son long dans le cockpit immobilisant une banquette entière, il est assis. Quand il faut border(*) le génois(*), il faut lui indiquer sur quelle « corde » il faut tirer vu qu’il n’en a aucune idée visiblement… Et quand enfin on lui met l’écoute dans la main, il faut encore l’enrouler pour lui autour du winch(*) sinon il ne la mettrait pas dans le bon sens… Et quand il ne lui reste plus qu’à activer le winch, il fait un semblant de démonstration de force en faisant tourner la manivelle de winch sans même prendre la peine de regarder l’impact de son action sur la voile d’avant… Soi-disant qu’il ne peut pas regarder vers l’avant à cause de  ça… Ben mon p’tit, tu fais comme tout le monde, tu te mets à genoux sur la banquette et tu tends la tête vers l’extérieur pour regarder le génois en même temps que tu le bordes, purée !!!! Heureusement, il part tôt se coucher dans la cabine arrière.

Le vent est quasi-inexistant sous le vent de Saint-Vincent. Nous devons rapidement soutenir les voiles au moteur. A 2 heures du matin, je pars remplacer John dans la cabine avant. Je viens à peine de me trouver une position confortable pour tenter de trouver le sommeil que j’entends le moteur s’éteindre. C’est le branle-bas de combat sur le pont, j’ai l’impression. Des éclats de voix… Il semble y avoir un problème avec le moteur de nouveau… Je n’ai même pas la force de me lever pour aller me renseigner… De toute manière, ils sont déjà assez nombreux sur le pont. J’entends les voiles claquer…

A SUIVRE !


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Amarre : grosse “corde” utilisée par les bateaux pour se “garer” le long d’un quai ou d’un autre bateau ou pour s’attacher à un corps-mort.

Amarrer : comme dirait le dictionnaire Larousse, c’est attacher un navire au moyen d’amarres.

Arrimer : Fixer solidement le chargement d’un navire.

Balcon : structure métallique à l’avant (et parfois à l’arrière) du bateau.

Balise : marque latérale fixe ou flottante indiquant un chenal ou un danger par exemple. Elles ont toutes une couleur bien déterminée fonction des rôles qu’elles jouent.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Bôme : barre rigide à la perpendiculaire du mât d’un voilier sur laquelle est fixée la partie inférieure de la grand-voile et qui permet de l’orienter.

Border : sur un voilier, border signifie ramener une voile plus près du bordé, c’est-à-dire la coque du bateau. On se sert pour cela de l’écoute de la voile concerné (le cordage attaché au bout de la voile) sur laquelle on tire pour rapprocher la voile.

Bout : (se prononce « boute ») cela désigne, de façon générale, un cordage sur le navire car le mot « cordage » n’est jamais utilisé par les navigateurs.

Carré : pièce intérieure du bateau où l’on peut se réunir.

Capote : couverture amovible qui protège des vagues et de la pluie l’entrée du bateau.

Clearance : faire sa clearance, c’est faire les démarches douanières nécessaires pour entrer ou sortir d’un pays.

Cockpit : emplacement situé à l’arrière d’un bateau de plaisance, où se tient le barreur.

Descente : petit ensemble de marches qui mène à l’intérieur du voilier.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

Dominique (Dominica en anglais) : pays et île de l’archipel des Caraïbes, située entre les îles françaises des Saintes et de Marie-Galante (deux dépendances de la Guadeloupe) au nord et l’île de la Martinique au sud. La population est d’environ 73.000 habitants.

Drisse : “corde” que l’on voit courir le long du mat et qui sert à hisser ou affaler une voile.

Ecoute : “corde” fixée au coin de la voile et qui sert à régler l’angle de la voile par rapport au vent (en la tendant plus ou moins fort).

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Gréer : équiper un voilier de tout ce dont il a besoin pour être en état de naviguer.

Nable : trou dans le pont – fermant grâce à un couvercle qu’on visse hermétiquement – reliant un réservoir avec l’extérieur grâce à un tuyau qui court le long de la coque d’un voilier et généralement masqué de la vue.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Quart (de nuit) : tour de veille à la barre la nuit (tranche allant de 2 à 4 heures généralement).

Saint-Vincent : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. C’est l’île principale. La population est d’environ 110.000 habitants.

Winch : avec sa manivelle, sorte de gros moulin à café sur lequel vient s’enrouler la “corde” qu’on cherche à tendre. Il permet de démultiplier les efforts.

Zodiac : il s’agit d’une marque déposée qui désigne un canot pneumatique généralement à moteur (voir aussi la définition d’une annexe).

Art. 10a – Maria (première partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Au départ, elle n’avait pas de nom… IRMA(*) et JOSE(*) à sa suite venaient de passer au nord de l’arc antillais. J’avais encore cette boule au ventre que j’ai conservé pendant une semaine à voir les dégâts provoqués par la première, un cyclone majeur classé catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson qui ne compte que 5 graduations quand celui-ci aurait mérité de se voir affecter une catégorie supérieure d’après les dires de certains. Encore que… passé le stade 5, de toute manière, le résultat est le même : une dévastation totale des zones traversées par ce phénomène… Alors que les vents fassent 250 km/heure (seuil bas du classement en catégorie 5) ou 360 km/heure (rafales mesurées à St-Martin(*)), ça ne fait plus réellement de différence…

En Martinique, nous venions d’être avertis de l’apparition de deux nouvelles perturbations sorties d’Afrique. « Perturbations », c’est le nom qu’on donne à ces phénomènes météorologiques qui entraînent une dégradation du temps pouvant engendrer du très mauvais temps. Rapidement, l’une d’elle s’est transformée en tempête tropicale et s’est vue affecter un nom et des trajectoires possibles ont été calculées par les différents modèles existants (GFS(*), ECMWF(*) et Arpège(*)). Aucun danger pour l’arc antillais. L’autre, par contre, continuait à avancer vers nous sans se « transformer » et semblait viser la Martinique. Tous, anxieux, nous avons suivi tous les jours la mise à jour des informations la concernant. Trois jours avant de toucher l’arc antillais, aucun modèle n’était encore en accord avec l’autre. La « perturbation » semblait ne pas vouloir afficher clairement ses intentions…

Je m’étais déjà faite une petite frayeur avec le passage de l’ouragan IRMA pour lequel tous les modèles prévoyaient une trajectoire d’abord en ligne droite sur la Martinique avec un infléchissement marqué plus au nord quelques jours seulement avant qu’elle ne touche les îles des Caraïbes. Jusqu’à ce que je vois cet infléchissement prévu se refléter sur les images satellites, j’avais eu le temps de me dire que si j’avais choisi la mauvaise option – celle de rester dans la Marina du Marin en Martinique – au lieu de me déplacer plus au sud, il était maintenant trop tard pour faire quoi que ce soit. Houle trop forte, rafales de vent, je n’aurais plus eu qu’à accepter les conséquences de mon choix… Heureusement, tout s’était bien passé pour nous en Martinique au contraire des îles plus au nord comme celles notamment de Saint-Martin(*) ou de Barbuda(*). Et à la vue des monstrueux dégâts engendrés par le monstre IRMA, je me suis dis que jamais plus, si je pouvais l’éviter, je ne resterai dans une zone menacée. C’est ainsi qu’à peine une semaine après le passage d’IRMA et de JOSE, j’étais, de nouveau, à suivre fébrilement l’évolution d’un nouveau phénomène potentiellement cyclonique…

J-4… Chacun à la Marina y va de son pronostic : « Elle va monter au Nord, t’inquiète pas », « Va à la marina de Ste Lucie(*), ça suffit » (c’est l’île au sud de la Martinique à environ 20 milles nautiques), « Ne bouge pas de ton corps mort(*) au Marin, il est solide », « Met ton bateau dans la mangrove(*) » (l’attacher aux palétuviers qui bordent les « trous à cyclone »(*) du Marin)… Certains de mes amis toutefois se préparent à bouger plus au sud avec leur bateau. Le mien est prêt. Il ne me reste qu’à me décider.

J-3… Nous sommes samedi 16 septembre 2017. J’ai deux amis qui déplacent leur bateau. Pierre a décidé de partir mettre son catamaran à l’abri à Bequia(*) à environ 100 milles d’ici. Jean-Phi, lui, part également au sud. Son voilier est à l’heure actuelle dans la baie de Saint-Anne à la sortie du Marin. Son moteur ne fonctionne pas et il sait que son mouillage risque de ne pas résister à la forte houle attendue… Il est 10h du matin et j’hésite encore. J’y vais, j’y vais pas ? J’y vais ? Allez, je fonce ! Après tout, ça me fera naviguer, ce n’est pas plus mal.

Pierre et son équipage prévoient de s’arrêter à l’« Anse Cochon » sur l’île de Ste Lucie le samedi soir et de rejoindre Bequia le dimanche. Pourquoi ne pas suivre leur trajet et faire la même étape ? Je ne connais pas cette anse, ce sera l’occasion. J’appelle Jean-Phi pour connaître son plan. J’apprends à l’occasion qu’il est à terre à la marina du Marin, pas loin de moi, et qu’il cherche le moyen de rejoindre son bateau. Ni une, ni deux, je lui propose de le déposer. Il me rejoint et m’aide à finir de préparer le bateau. Et hop, on remonte le moteur de l’annexe, puis l’annexe elle-même qui est dégonflée et stockée devant le mat, sanglée comme il le faut. Ça va quand même nettement plus vite à deux ! Je vérifie les niveaux et allume le moteur. Ça y est, c’est parti !!! Il est 13h30.

Premier arrêt, le bateau de Jean-phi à St Anne. Mon voilier est un nain à côté de celui-ci qui est deux fois plus grand ! Le vent qui souffle en rafales fait tourner son acier. Il me faut deux essais pour réussir à rapprocher suffisamment mon voilier du sien et lui permettre d’enjamber les filières pour monter à bord sans se mouiller. Me voici seule à mon bord.

Prochaine étape : Sainte-Lucie ! Je hisse rapidement la grand-voile et déploie mon génois(*). La traversée du canal(*) se déroule sans accroc. Je réalise toutefois en m’approchant de l’île que je suis partie un peu trop tard. Je vais arriver à l’Anse Cochon bien après la nuit et ça m’ennuie car je ne connais pas les lieux. En plus, la cartographie indique qu’il y a une épave à l’entrée. C’est chaud quand même d’y entrer sans avoir repérer les lieux avant. Et, en plus, il n’y a pas de lune aujourd’hui. Les conditions ne sont pas au top quand même…

Je réfléchis un instant à m’arrêter à la première baie facilement accessible à Ste Lucie, Marigot Bay que je connais bien, bien avant l’Anse Cochon, mais la distance que je n’aurais pas parcourue ce soir, c’est autant à parcourir demain et la route est encore longue. MARIA – la perturbation a enfin un nom car elle s’est transformée en tempête tropicale – arrive lundi soir sur l’arc et je ne peux pas me permettre de traîner en route. D’autant plus qu’il s’agirait alors d’un cyclone de catégorie 1 voire 2…

Je dépasse donc Marigot Bay. La nuit tombe. Je passe à distance de l’Anse Cochon vers 21h. Je tente un timide appel VHF à destination de Pierre qui devrait déjà y être depuis longtemps. Pas de réponse. Mon téléphone, quant à lui, ne capte aucun réseau… Je me sens un peu esseulée subitement, toute seule là dans le noir… Jean-Phi est censé n’être pas très loin derrière moi – il m’a envoyé un SMS me disant qu’il était parti environ 1 heure après que je l’ai déposé – mais je n’arrive pas non plus à le contacter. Et j’ai beau tenter de repérer ses feux de route au loin, je ne vois rien…

Je m’interroge… Un marin averti n’hésiterait pas et continuerait à naviguer de nuit. Moi, je n’ai encore jamais enchaîné 24h de navigation non stop. Ma plus longue traversée en solo, c’est 17 heures jusqu’à présent. J’étais partie très tôt le matin, avant la levée du jour et j’étais arrivée à la nuit tombée. Mais je n’ai encore jamais navigué seule une nuit complète… En équipage, ça passe… Mais seule, c’est une idée qui m’angoisse un peu, j’avoue. La nuit, tout me semble plus menaçant. Privée d’une vision parfaite, mon imagination s’emballe. Un peu comme les gosses qui ont peur du monstre caché sous leur lit. J’avoue me sentir un peu démunie là toute seule dans le noir. Pas un bateau « ami » visible à l’horizon… Malgré l’absence de lune, je vois toutefois un ciel dégagé, décoré d’étoiles. Je décide de me lancer. Après tout, pourquoi ça se passerait mal ?

Je continue donc ma route. Le vent diminue. Tant mieux car j’aimerais traverser le canal séparant Ste Lucie de St Vincent de jour si possible et une réduction de mon allure va dans le bon sens sinon je vais entamer le canal dans l’obscurité la plus complète. Il semble que ma prière ait été entendue… un peu trop d’ailleurs… Plus de vent ou à peine… Les voiles claquent… Mais un petit courant favorable me permet tout de même de faire du 1 noeud, 1,5 noeud…

Je fais des micro-siestes de 5 ou 10 minutes. Dès que j’ouvre les yeux, je vérifie ma position car je ne suis pas si loin de la côte, je reste à l’affût de potentiels obstacles ou de bateaux que je pourrais croiser sur ma route. Je ferme à nouveau les yeux quand j’entends un gros souffle non loin de moi, une sorte de forte expiration qui me fait sursauter. Il fait trop sombre pour voir quoi que ce soit. Je brandis une lampe sur les eaux noires, sans succès. Encore un souffle, sur l’autre bord cette fois, ci. Je devine sans les voir que ce sont des dauphins qui doivent chasser tout près. Ce petit manège dure 2 ou 3 minutes et ensuite, c’est de nouveau le seul bruit des voiles et du bateau qui avance doucement sur l’eau.

A 2 heures du matin, je craque et je mets le moteur pour atteindre une vitesse d’environ 4 noeuds. J’atteins le canal de St Vincent et là, surprise, toujours pas de vent… Sous le vent de l’île, ça ne me paraît pas étonnant mais dans le canal ?!!! Étonnée, je traverse ainsi au moteur ce canal réputé pour être habituellement plus coriace que celui de Ste Lucie…

La levée du jour est magnifique à voir. Je longe maintenant l’île de St Vincent. Le vent est monté un peu pour retomber plus loin. J’essaie de jouer avec les voiles mais le vent est réellement capricieux. De nouveau, j’utilise le moteur pour traverser le canal entre St Vincent et Bequia. Et c’est seulement à 1 ou 2 milles de l’arrivée que le vent se remet à souffler. Trop tard, j’ai déjà rangé ma grand-voile et roulé le génois… Ce sera moteur jusqu’à la fin.

J’entre enfin dans la baie qui m’offrira sa protection pour le passage du cyclone MARIA. Elle est très ouverte et donc, forcément, on ne pourra pas échapper à la houle d’ouest qui est attendu. Pas vraiment idéale l’orientation de cette baie. Je tente de trouver un coin « confortable ». J’analyse tant bien que mal la situation et je décide de me rapprocher du bord pour pouvoir mouiller l’ancre dans 5 mètres maximum (ce sera 25 à 30 mètres de chaîne à remonter à la main déjà… si je vais dans du plus profond, c’est encore plus de chaine à lâcher) et je choisis l’extrémité de la baie la plus éloignée du mouillage principal et des pontons. J’espère être légèrement protégée par le relief de l’île et avoir fait le bon choix. Il est 13h00. Je pose l’ancre et je me glisse dans ma couchette pour faire une longue sieste.

A 17h00, je suis réveillée par des coups frappés sur ma coque. C’est Pierre qui est arrivé entre-temps sur le mouillage. Il a eu le temps de faire une bonne nuit lors de son étape et il est ancré à une centaine de mètres de là, pas loin d’un de ses amis également en catamaran. Il passait juste me faire un coucou et repart rapidement.

J’ai quelques nouvelles de Jean-Phi, il est loin derrière sans moteur pour soutenir son allure. Il prévoit d’arriver au milieu de la nuit. Avant que la nuit tombe, je décide de gonfler mon annexe et de la mettre à l’eau au cas où il aurait besoin d’un coup de main à son arrivée. Poser le moteur dessus n’est pas une mince affaire, ça commence déjà à rouler là où je suis. Je peste, je râle, j’utilise les pieds et les mains pour descendre le moteur à l’aide de mon palan fait maison. Le dinghy(*) saute, bouge, se coince sous le cul de Nautigirl, et moi j’essaie de viser le tableau arrière avec les mâchoires étroites du moteur hors bord qui pèse quand même dans les 30 kilos. Pas facile toute seule ! Mais je finis par remporter la bataille sans rien casser ! J’amarre l’annexe à l’arrière de Nautigirl. Je me fais un peu de souci car je la vois bondir quand même pas mal. J’espère qu’une vague ne viendra pas la renverser. De toute manière, il est trop tard pour y changer quoi que ce soit. J’ai déjà eu du mal à mettre en place l’ensemble, tout désassembler, ça va être la misère toute seule. Et la nuit tombe… On verra bien…

Décidément, ce mouillage est bien pourri… On subit quelques bonnes rafales durant la nuit qui me font sortir d’urgence de la couchette dans laquelle je dors toute habillée pour être prête au cas où, frontale sur le front… Je vérifie que l’ancre tient toujours et que le rivage est toujours à distance. Je ne suis pas rassurée par le bruit de quelques vagues que j’entends déferler… Pas bon, pas bon ! Qu’est ce qu’on voit mal même avec une lampe quand il n’y a pas de lune ! Si ça monte encore, ça va rapidement craindre là où je suis. J’ai du mal à conserver mon équilibre. Je vois que plusieurs de mes voisins sont soucieux eux-aussi, les lumières qui balayent leur pont et l’eau environnante en témoignent.

A 2 heures du matin, Jean-Phi m’envoie un SMS. Il est sous grain, non loin de Bequia et il préfère continuer sa route. La mer lui paraît un meilleur abri qu’un mouillage mal orienté. Et je le comprends, maintenant que je suis dedans… Jamais je n’avais connu de mouillage si agité. Ma seule expérience, c’était le passage d’IRMA bien plus au Nord quand j’étais au corps mort dans la marina du Marin. Je trouvais déjà que Nautigirl jouait au « poney », mais là ce n’est plus du saut d’obstacles, ce sont les montagnes russes !!!

Et la pluie se met de la partie… J’arrive tout de même à dormir un peu entre deux escalades (c’est le bon terme !) sur le dinghy pour le vider entre deux bonnes averses. C’est fou ce qu’un grain peut libérer comme litres d’eau ! Quelques minutes de pluie intense et c’est 10 ou 20 litres d’eau au fond de l’annexe…

Au petit matin, j’escalade une nouvelle fois le dinghy et je m’invite à bord du catamaran de Pierre qui m’offre gentiment le thé. J’apprécie ce petit moment plus au calme. J’ai beau préférer les monocoques, j’avoue qu’un catamaran, c’est pas mal non plus… Là au moins, je peux poser ma tasse sans craindre qu’elle se renverse dans la seconde. Nous nous mettons d’accord pour aller à terre ensemble un peu plus tard pour faire les formalités d’entrée et ensuite, nous déplacerons ensemble mon bateau pour trouver un endroit plus protégé de la houle. Cool !

Je retourne rapidement à mon voilier pour prendre deux ou trois affaires mais ce que je vois me fait changer d’avis. La houle semble encore plus forte là où je suis… ou c’est le fait de sortir d’un catamaran ultra stable qui me donne cette impression… La houle surprend Nautigirl de travers parfois et je la vois giter(*) très très fortement… C’est sûr, la houle a bien forci ! J’ai peur de tomber de l’annexe avant de réussir à monter à bord ou de voir la coque de Nautigirl lui tomber dessus à cause des ruades que je lui vois faire ! J’ai énormément de mal à monter à bord et une fois que c’est fait, j’attache l’annexe à l’arrière, je démarre le moteur et j’appelle Pierre à l’aide.

A SUIVRE…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

AIS (Automatic Identification System) : système d’identification automatique et d’anti-collision qui va envoyer des informations sur la position, le cap et la vitesse d’un bateau équipé de l’appareil.

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Arpège : modèle mathématique de prévision de Météo France.

Baille à mouillage : soute à l’avant du bateau dans laquelle on range la chaîne et parfois l’ancre elle-même.

Barbuda (se dit aussi « Barbude » en français, à ne pas confondre avec « La Barbade ») : île du Nord des Petites Antilles faisant partie du pays Antigua-et-Barbuda. Barbuda se situe au nord de l’île d’Antigua. La population est d’environ 1.600 habitants.

Balcon : structure métallique à l’avant (et parfois à l’arrière) du bateau.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Canal : portion de mer entre deux îles.

Chaise (de moteur) : support sur lequel se fixe l’étrier (l’espèce de mâchoire) d’un moteur hors-bord. Il peut être en bois ou en plastique et permet d’entreposer le moteur verticalement, souvent au niveau du balcon arrière d’un voilier.

Chandelier : rien à voir avec une bougie même si ça peut vaguement y ressembler. Ce sont les barres métalliques verticales fixées tout autour du pont et dans lesquelles passent les filières.

Cockpit : emplacement situé à l’arrière d’un bateau de plaisance, où se tient le barreur.

Couple (à) : mettre à couple deux bateaux, cela veut dire les mettre côte à côte.

Corps-mort : objet pesant, comme une dalle de béton par exemple, posé au fond de l’eau et qui est relié par un filin ou une chaîne à une bouée, afin que les bateaux puissent s’y amarrer.

Davier : pièce métallique fixée à l’étrave (l’avant du bateau) et équipée d’un réa (partie mobile qui tourne sur elle-même comme l’intérieur d’une poulie) afin de guider la chaîne du mouillage. L’ancre elle-même vient s’y encastrer une fois remontée.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

ECMWF (European Centre for Medium-Range Weather Forecasts) : modèle mathématique de prévision météorologique européen.

Enrouleur : dispositif permettant d’enrouler une voile, soit pour en réduire la surface afin de l’adapter à la force du vent, soit pour la ranger complètement enroulée. L’enrouleur de génois ressemble à un long tube allant du pont quasiment au sommet de mat avec une sorte de bobine de corde à sa base (c’est cette corde qui permet d’enrouler ou de dérouler la voile).

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

GFS (Global Forecast System) : Modèle mathématique de prévision météorologique américain.

Giter : action de s’incliner sur un bord lorsqu’on parle d’un bateau.

Irma : L’ouragan Irma s’est développé du 29 août au 12 septembre 2017. Il est le dixième système tropical de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord et le deuxième ouragan majeur, catégorie 5, sur l’échelle de Saffir-Simpson, après l’ouragan Harvey, catégorie 4, survenu une semaine auparavant. Il est un des ouragans les plus puissants enregistré dans l’Atlantique nord depuis Hugo en 1989 et par la vitesse de ses vents soutenus (295 km/h) depuis Allen en 1980. Il est aussi le premier ouragan à rester classé en catégorie 5 pendant une aussi longue période continue. Il a causé des dégâts catastrophiques dans les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla et les Iles Vierges, a éprouvé sévèrement la côte nord de Cuba et a obligé la Floride à mettre en place une évacuation de plus de six millions d’habitants.

José : L’ouragan Jose est le onzième système tropical et le troisième ouragan majeur de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord. Formé dans la traîné de l’ouragan Irma, à partir d’une onde tropicale sortie de la côte africaine, il s’est intensifié rapidement en arrivant près des Petites Antilles. Menaçant de se propager le long de la même trajectoire que son prédécesseur, Jose a soudainement viré vers le nord et a erré plusieurs jours entre les Bahamas et les Bermudes avant de remonter lentement vers le nord en faisant une courbe entre la côte est des États-Unis et les Bermudes.

Mangrove : écosystème de marais maritime.

NHC (National Hurricane Center) : service américain de suivi de la formation et de l’évolution des ouragans.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Portique : structure en inox à l’arrière du voilier permettant de supporter des panneaux solaires par exemple.

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Sondeur : appareil servant à mesure la profondeur. de l’eau sous le bateau.

Taquet : pièce fixée au navire pour y amarrer les aussières (dites également amarres).

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

UTC (Universal Time Coordinated) : « Temps Universel Coordonné » en français. C’est l’heure de référence internationale.