Art. 3 – Les préparatifs avant le départ


Vue depuis le ponton avant - copie(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Nautigirl est à moi. Avant de m’y installer définitivement, je passe 3 jours à le nettoyer de fond en comble car l’avant-dernier propriétaire y a dispersé de la poudre anti-cafard dans tous les recoins possibles et Frédéric, le dernier acquéreur, ne s’en est jamais débarrassé. Du coup j’en trouve partout… A moins qu’il n’ait transféré de la cocaïne depuis Sainte-Lucie avec le bateau et qu’il ait fait une bataille de boules de coke à bord, ce dont je doute très sincèrement… En tout cas, le produit à l’air efficace car nul part, je ne trouve la trace d’un insecte. D’ailleurs, vu la quantité de poudre que je trouve dans les coffres, les équipets(*) et dans les coutures des coussins, je ne suis pas sûre que seuls les cafards y laissent leur peau. Après avoir aspiré le plus gros, je tente d’enlever délicatement le reste avec une éponge, les mains protégés par des gants, essayant de ne pas en respirer par inadvertance. Certains coins sont tout simplement inaccessibles et je finis par abandonner l’idée de faire disparaître toutes traces de ce produit. Il est là depuis trop longtemps et parfois il semble comme collé à la résine. Je fais de mon mieux et, ma foi, s’il en reste un peu, tant mieux, cela fera fuir les potentiels cafards qui voudraient tenter leur chance à bord.

Maintenant que j’ai fait le grand nettoyage de printemps sur le bateau… chose qui ne nécessite, a priori, pas de connaissances particulières… comment vais-je faire pour le déplacer ? La marina m’a autorisé à rester jusqu’à la fin du mois car même si Frédéric a vendu le bateau, elle ne compte pas lui rétrocéder une quote-part du loyer payé pour la place de port, et lui – bon prince – m’en fait bénéficier. Il faut donc que je bouge le bateau après-demain et pour le moment, je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre.

J’ai beau avoir passé récemment mon permis hauturier(*) (1 mois avant ma traversée de l’atlantique) pour justement en savoir plus sur la voile, hé bien, je n’ai rien appris sur la navigation elle-même, j’ai juste appris à tracer une route ou à faire un relèvement(*), et j’ai eu 20 sur 20 ! Ça, c’est encore mon côté « bonne élève » qui s’imagine qu’il y a un diplôme pour tout… Et bien en bateau, visiblement, rien ne remplace l’expérience… Et c’est une chose d’avoir transater(*) en équipage sur un gros voilier avec un skipper à bord (un Sun Odyssey 479), mais c’est autre chose d’être, toute seule, à bord de sa propre embarcation. Je n’ai jamais fait de manœuvres de port, je n’ai vu démarrer le moteur qu’une seule fois et il ne suffit pas de savoir tourner une clé pour le faire, je ne sais pas me servir du pilote automatique (*) que j’ai à bord et je n’ai aucune idée sur la manière dont je peux diriger le bateau et gérer les voiles en même temps en ayant aucun équipier sous la main…

Il me faut une notice d’utilisation… ou plutôt, comme je l’ai fait pour la voiture, je pense qu’il me faut un peu de « conduite assistée » pour prendre confiance en moi et « faire connaissance » avec mon bateau. Et justement je pense à une personne qui pourrait m’y aider car elle possède le jumeau de Nautigirl. C’est Pierre, le fameux pote qui m’a brutalement abandonnée sur le trajet de la marina alors que nous étions censés aller ensemble au rendez-vous fixé par Frédéric… Quelques jours se sont écoulés, il sera peut-être de meilleure humeur…

J’ai donc appelé Pierre pour lui demander son aide. Il semble qu’il n’ait pas un si mauvais fond finalement puisqu’il répond à ma demande. Je dois préciser que j’ai su lui donner une certaine motivation puisque je lui ai proposé de le payer pour le temps et les conseils qu’il me prodigue. Et comme il n’a pas encore trouvé de boulot pour le moment, ça l’arrange tout de même je pense, même s’il ne me l’avoue pas…

Je vais donc le chercher en voiture aux Anses d’Arlets, à une heure de route de là, où il a mouillé(*) son bateau. Je le ramène à la marina Z’abricots. Il inspecte scrupuleusement ma nouvelle acquisition. Je me fais traiter de folle de l’avoir ainsi acheté sur un coup de tête sans rien y connaître et fais semblant de ne rien entendre quand je lui rappelle que j’avais pourtant prévu de venir bien accompagnée au fameux rendez-vous avec Frédéric. Je coupe court à la discussion : « Bref, c’est fait alors maintenant, il est comment mon bateau ? »

Il commente tout ce qui lui paraît suspect ou à surveiller. Il contrôle le gréement(*), s’assure que le mât est droit, que les haubans(*) sont en bon état. Il pose ensuite la main sur un winch(*) et tente de le faire tourner. Et là, rien… bloqué. Tout comme tous les autres winches d’ailleurs. Hé oui, c’est un point que je n’ai pas pensé à contrôler en faisant la visite. Frédéric m’avait dit qu’il naviguait régulièrement avec le bateau alors j’ai supposé que les winches fonctionnaient sinon comment faisait-il pour border(*) le génois(*) ou hisser la grand-voile(*) ? A la réflexion, on dirait qu’il n’a pas passé tant de temps à apprendre ou qu’il a cessé d’apprendre depuis un bon bout de temps… Pierre regarde ensuite l’état des drisses(*) et des écoutes (*). Il observe les pieds de chandeliers(*), le rail de fargue(*), l’état des filières(*).

Il descend dans le carré(*) et soulève la descente(*) masquant le moteur. Il l’observe silencieusement, contrôle le niveau d’huile et son aspect, le démarre un instant, écoute et l’éteint. Il soulève les planchers, encore une chose que je n’ai pas faite, et s’exclame alors: « Les boulons de quille(*) ! On ne les voit pas ! ». Effectivement, là où on devrait les voir, on ne devine que de grosses bosses recouvertes par de la résine peinte en blanc… Je m’étonne à voix haute : « Ha ? Et, c’est important ? » J’ai alors le droit à un véritable sermon disant que oui, bien sûr, c’est extrêmement important car ce sont eux qui maintiennent la quille attachée au bateau, qu’ils ne doivent jamais être masqués. Il pense que c’est sans doute une ruse du propriétaire pour masquer des boulons de quille en mauvais état… Je commence déjà à imaginer mon voilier perdre sa quille en pleine route. Ainsi, ce sont de simples vis qui tiennent la quille ? J’imaginais… je ne sais pas moi… que c’était soudé, vissé, collé mais pas que c’était simplement boulonné… Il commencerait presque à me faire penser que je me suis faite avoir ! J’appelle rapidement Frédéric pour lui demander pourquoi ces fameux boulons de quille sont recouverts de résine. Il me répond que la table qui occupe le centre du carré n’est pas d’origine et que c’est lorsqu’elle a été installée sur ses deux nouveaux pieds tous proches des boulons de quille qu’il a été décidé de résiner le fond du bateau et de le peindre pour faire plus propre et plus joli et que les boulons de quille sont en parfait état (enfin, c’est ce que j’ai compris de son explication). « Ah ? Ok… ». Je ne peux que le croire sur parole sinon il faut que j’enlève l’épaisse couche de résine pour faire apparaître le dessus des boulons. Pas facile de vérifier ses dires, hummm… Je verrais plus tard…

Je me retourne vers Pierre : « Et sinon ? Forcément, il y a des points à revoir mais , tout de même, je n’ai pas non plus acheté une ruine ? Si ? Non ? Ha, tant mieux !!! ». A sa grimace, je comprends qu’il considère que j’aurais pu plus mal tomber et que j’ai simplement eu de la chance mais que je ferais mieux de ne pas me vanter… Lui, il aurait tout de suite vu ce qu’il n’allait pas et il aurait négocier à mort le prix et fait céder le propriétaire… Je lui rétorque que, d’après moi, si j’avais tenté de négocier le prix, le prochain visiteur aurait payé cash le montant demandé et que Nautigirl me serait passée sous le nez. Visiblement, nous avons du mal à accorder nos points de vue respectifs… Ca promet pour plus tard…

Il finit son inspection du bateau, puis il commence à dresser la liste des choses à acheter pour pouvoir bricoler dessus. Pour le moment, en effet, je n’ai aucun outil en ma possession. Je viens d’arriver de transatlantique avec mon sac à dos et mon aile de kite. Point barre. La seule chose que j’ai trouvé à bord, c’est une visseuse fonctionnant sur le 12 volts.

Les plus chanceux, lorsqu’ils achètent un bateau récupèrent la trousse à outils du bord, d’autres, comme moi, doivent se la constituer. Nous partons donc pour faire le tour des magasins. Il me faut acheter des tournevis de tailles et d’empreintes variés, une scie à métaux, un cutter et des lames, des seaux (ça sert toujours des seaux sur un bateau), des clés plates, des clés à oeil, des clés Allen, une clé à cliquet, un coffret de mèches et d’empreintes diverses pour la visseuse, des pinces, un marteau etc… Bref, je dépense une fortune pour avoir un minimum d’outils à bord et devenir une bricoleuse en herbe. Ca aussi, c’est un détail auquel je n’avais pas prêté attention : lorsqu’on achète un bateau et qu’on vous laisse de l’outillage à bord, ça représente une économie considérable et à l’inverse, quand il n’y a rien…

Même raisonnement pour la vaisselle. Pour vivre à bord, il faut bien des couverts, des assiettes, des verres, des bols, des casseroles etc., et là encore, mon bateau était vide de chez vide… Nouveau coup dur à mon porte-monnaie… Ah non, j’oubliais… J’a trouvé à bord 4 gobelets violets en plastique épais et un set de petites assiettes jaunes poussin jetables… Et un gros paquet de chips et une bouteille d’eau ! Youhou !!! Bref, ce n’était pas Byzance, loin de là et j’ai fini cette journée « explosion de ma carte bancaire » au rayon « Vaisselle » et « Alimentation » d’un supermarché histoire de pouvoir me faire à manger à bord.

Le lendemain, je retourne au bateau avec Pierre. J’ai déjà pris le temps d’y ranger tous les outils. Je suis impatiente de commencer ma formation « Maintenance du bateau ».

Première étape, démonter les winches qui sont tous bloqués, sans exception. Pierre me montre comment faire sur le premier. Il le désosse complètement devant moi en prenant soin de mettre toutes les pièces dans une petite bassine trouvée dans un des coffres du bateau. L’essentiel, m’explique-t-il, c’est de faire attention à ne perdre aucune pièce. Et il m’apprends qu’il faut toujours utiliser un récipient pour stocker les pièces lorsqu’on démonte quelque chose sur un voilier. Sinon, on a vite fait de perdre quelque chose et lorsque ça tombe dans l’eau, c’est perdu à jamais généralement… Je le regarde faire et répète ses mouvements sur un autre winch. Finalement, c’est presque comme le jeu de construction Meccano, il suffit de savoir quelle pièce va où. Quand tout est démonté, on nettoie les pièces avec un peu de gasoil, il paraît que ça décape pas mal. On brosse, on frotte pour faire disparaître le mélange de saletés et de graisse qui s’est accumulé un peu partout et qui empêche le winch de fonctionner. Un peu de WD 40(*), ce produit magique…, un peu de graisse et hop ! on remonte le tout et ô miracle, le winch tourne ! Quelques heures après, ils fonctionnent tous. Un premier point de réglé ! J’ai réussi à ne rien perdre en route même si j’ai eu une petite frayeur j’avoue, quand un petit ressort a jailli de son emplacement pour tomber à l’intérieur du bateau et non dans l’eau. La chance était avec moi ce jour là car la boîte qui fabriquait ce type de winches n’existe plus et pas moyen de trouver des pièces de rechange.

Deuxième étape, faire l’entretien courant du moteur. Je n’ai aucune idée de la date de la dernière vidange et des changements de filtre. Tout ce que je sais, c’est que Frédéric, en 6 mois, n’a rien fait et que ça doit commencer à dater. Pierre me montre donc comment faire la vidange d’huile et il me donne ses petits trucs et astuces pour travailler proprement sans s’en mettre partout. Par exemple, découper dans sa longueur une bouteille d’eau en plastique qui s’insérera sous la vis de purge afin de récupérer la vieille huile. Il me parle de l’utilité des couches pour bébé hyper absorbantes et parfaites pour nettoyer les éventuelles coulures d’huile. Original… Je n’aurais jamais pensé qu’une couche pour bébé puisse trouver son utilité à bord d’un bateau hormis si… on a un bébé… Je filme tout ce qu’il me montre au cas où, plus tard au moment où je devrais le refaire, j’oublierai un détail. Après avoir retiré le filtre à huile, il s’attaque au circuit de gasoil et démonte le filtre et le préfiltre. Le lendemain matin, je file acheter des éléments neufs chez un shipchandler(*) et je rejoins Pierre les bras chargés de mes achats. Il commence le remontage tout en continuant ses explications. Nous vérifions ensuite les niveaux : huile, gasoil et liquide de refroidissement. Il me rappelle tout en les suivant les étapes à respecter avant de démarrer le moteur : vanne d’eau de mer ouverte, manette des gaz au point mort, interrupteur n°1 sur « on », interrupteur n°2 sur « préchauffage » pendant quelques secondes et ensuite « start ». Le moteur tousse et démarre. Tout va bien, il ronronne comme un vieux pépère et à l’arrière, je cours le vérifier, il crache bien de l’eau, signe qu’il est bien refroidi par l’eau de mer.

Tout est ok pour le départ prévu demain matin !


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Carré : pièce intérieure du bateau où l’on peut se réunir.

Chandeliers : barres métalliques verticales fixées tout autour du pont et dans lesquelles passent les filières, rien à voir avec une bougie même si ça peut vaguement y ressembler.

Corde : terme proscrit du vocabulaire maritime, chaque “corde” ayant un nom particulier comme un bout, une drisse, une écoute ou une amarre par exemple.

Descente : c’est le petit ensemble de marches qui mène à l’intérieur du voilier.

Drisse : “corde” que l’on voit courir le long du mat et qui sert à hisser ou
affaler une voile.

Ecoute : “corde” fixée au coin de la voile et qui sert à régler l’angle de la voile par rapport au vent (en la tendant plus ou moins fort).

Equipet : c’est un terme marin qui désigne un petit rangement qu’on trouve dans les cloisons des voiliers.

Filières : câbles, généralement métalliques, courant tout autour du pont à travers les chandeliers afin de servir de garde-corps ou de bastingage.

Génois : c’est une voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Grand-voile : c’est la voile principale du navire, hissée sur le mât.

Gréement : ensemble de la voilure et de tout ce qui sert à l’établir : mât, bôme, haubans etc.

Haubans : câbles qui soutiennent latéralement le mât, reliant les hauts du mât au pont du bateau.

Mouiller un bateau : c’est un terme de marin qui signifie poser l’ancre quelque part afin de « stationner » son bateau.

Permis hauturier : ce permis permet de conduire des bateaux – à moteur – sans limitation de puissance, de taille ou d’éloignement par rapport à un abri à la différence du permis côtier (navigation jusqu’à maximum 6 milles d’un abri). Pour information, aucun permis n’est nécessaire pour un voilier.

Pilote automatique : comme son nom l’indique, c’est un dispositif qui permet de piloter le bateau sans intervention humaine. Très pratique lorsqu’on a pas envie de barrer soi-même !

Quille : sorte de “nageoire ventrale” qu’on distingue sous la coque du voilier servant de plan anti-dérive. Étant également lestée, elle permet d’abaisser le centre de gravité du bateau et d’en assurer ainsi la stabilité latérale.

Rail de fargue : pourtour, généralement métallique, qui dépasse de quelques centimètres tout autour du pont, telle une couronne et ayant pour rôle, par exemple, d’empêcher un pied par exemple de glisser à l’extérieur du bateau.

Relèvement : faire un relèvement, c’est mesurer l’angle sous lequel on voit quelque chose (un phare, un autre bateau etc.) par rapport à une direction de référence qui est le Nord.

Shipchandler : c’est un magasin spécialisé dans les fournitures de pièces de bateau.

Transater : traverser l’Océan Atlantique en voilier.Gréement : ensemble de la voilure et de tout ce qui sert à l’établir : mât, bôme, haubans etc.

WD40 : produit magique que tout le monde ou presque a à bord d’un bateau. Il protège le métal de la rouille et de la corrosion, il décoince des pièces coincées, il repousse l’humidité et il lubrifie quasiment tout. Il élimine même la graisse, la saleté de la plupart des surfaces. Magique, je vous dis !!!

Winch : avec sa manivelle, sorte de gros moulin à café sur lequel vient s’enrouler la “corde” qu’on cherche à tendre. Il permet de démultiplier les efforts.

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