Art. 11b – Un AR express en Dominique (seconde partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Lorsque je me réveille deux heures plus tard et que je rejoins les autres dans le cockpit, c’est le « capitaine » qui est à la barre. John et Mac sont autour de lui. Edward lui est absent. Les garçons m’expliquent qu’il y a eu une fuite de diesel. Lors des manipulations du moteur d’il y a quelques heures pour le faire redémarrer, l’un des injecteurs a été abîmé… Un petit trou de la taille d’une tête d’épingle… Il est question de s’arrêter en Martinique pour tenter de faire faire une soudure si Mac n’arrive pas à trouver une solution alternative…

22196468_10154716956560810_628107477914432587_nEdward fait une apparition à 7 heures du matin. Il a dormi toute la nuit sans même s’inquiéter de nous donner un coup de main. Nous n’avons même pas le droit un simple sourire pour nous dire bonjour. Et le pire, c’est qu’il sort du bateau pour se rallonger immédiatement sur une banquette après avoir avaler un semblant de petit déjeuner ! Incroyable !!!

La journée s’écoule doucement. Nous passons les uns derrière les autres à la barre – sauf Edward, bien entendu, qui ne fait toujours rien à part dormir en prenant tout une banquette dans le cockpit… Il m’agace d’autant plus qu’avec le vent, son tee-shirt se soulève régulièrement exposant sa bonne bedaine aux regards de tous et que je me passerait bien de ce spectacle ! Dire qu’à moi, on m’a demandé de m’habiller « modestement » et qu’à lui, on le lui dit rien… Ben voyons…

Nouveau rebondissement ce dimanche à 14 heures ! Cette fois-ci, on a de l’eau plein la cale en plus du diesel. Mac est de nouveau sur le coup. Il est impressionnant, je trouve ! Et d’un, il est pasteur et je n’aurais jamais imaginé qu’un pasteur puisse ainsi mettre les mains dans la graisse, et de deux, il n’est pas navigateur à la base et depuis le départ, il a passé quelques heures le nez dans les effluves du moteur au ponton, comme en navigation, sans jamais se plaindre s’il avait quelques nausées ! On met la pompe de cale en route et pour aller plus vite, on rajoute la petite qui nous a servi à vider le réservoir de diesel précédemment… Je goûte l’eau à la sortie du tuyau qui se déverse dans la mer : c’est un mélange de gasoil et d’eau de mer… Je prends la barre et John et Mac partent à la recherche de l’origine de l’entrée de l’eau salée. Ils vérifient d’abord que ce n’est pas le presse-étoupe(*). S’il s’agit de cela, c’est une catastrophe, cela signifierait que de l’eau entre directement par là où l’arbre rentre dans la coque du bateau. Heureusement, ce n’est pas ça, c’est « juste » le tuyau d’arrivée d’eau de mer de l’évier de la cuisine qui a cassé, il a suffit de fermer la vanne pour régler le problème. Un petit coup de pompe (on commence à avoir l’habitude) et c’est reparti ! Pete n’a même pas eu le temps de réaliser ce qu’il était en train de se passer pendant qu’il se reposait dans le cockpit !

Edward est reparti se coucher dans la cabine arrière à la demande de John qui lui a fait comprendre que seules les personnes actives avaient le droit d’occuper le cockpit. Il libère donc enfin une banquette entière ! Tant mieux ! Qu’est-ce qu’il peut m’agacer celui-là ! Dire qu’il s’est fait passer pour un as et qu’il a menti ! Un pasteur ! Et en plus, dès qu’il peut étaler un peu de culture, il fait comme avec la confiture, il l’étale, il l’étale, il l’étale et tant pis s’il s’agit de conneries… A la limite, il reconnaitrait ne rien y savoir en navigation et il chercherait à nous aider en nous préparant à manger par exemple, ça le ferait, mais il est de tellement mauvaise fois que même lorsque je lui suggère très fortement qu’il serait extrêmement sympathique qu’il nous sorte du placard un bout de pain et quelques petits trucs à mettre dessus, il n’exécute que la moitié de la tâche sous prétexte « qu’il n’a pas trouvé le reste »… Hum, ce gars n’a pas l’air bien motivé dans la vie, heureusement pour lui qu’il a trouvé une « voie »…

La nuit tombe. Mac, à force de trifouiller dans le moteur, a trouvé une solution qui nous évitera un stop en Martinique donc on passe loin de sa côte. Les vagues sont hautes dans le canal entre la Martinique et la Dominique. Certaines déferlent et éclaboussent le pont. Je rentre un instant à l’intérieur, ma frontale sur le front. Je m’aperçois avec surprise que certains cartons sont mouillés et que mon téléphone que j’ai posé exprès dans un petit compartiment de la table nage dans un bon centimètre d’eau ! Mon nouveau téléphone qui a trois semaines à peine !!!! Celui-là même qui a remplacé mon défunt premier smartphone qui a fini sa vie au fond de la marina du Marin… Moi qui l’avait posé exprès là pour éviter qu’il tombe ou qu’il prenne l’eau, c’est raté !!! Et tout ça à cause de quelqu’un (personne n’a voulu se dénoncer) qui a mal fermé un des hublots du pont !!! Scrogneugneu !!!! Il va me coûter cher cet aller-retour en Dominique…

Le canal est traversé et nous approchons la côte sous le vent de la Dominique. Le moteur a accepté de redémarrer grâce à Mac surnommé « Mac Gyver » par John et heureusement car sinon le trajet nous demanderait quelques heures de plus vu le faible vent ressenti sous la côte…

Après m’être reposée un peu, je reprends la barre de minuit jusqu’à 3h45. Nous longeons doucement la côte et, autour de moi, tout le monde dort, épuisé. Nous sommes proches de la ville de Roseau, la capitale de la Dominique. Des rumeurs sur le net parlent de pirates qui détroussent les voiliers tentant d’apporter de l’aide. Je reste donc attentive à toute lumière ou bateau suspect autour de nous.

Pete prend ma relève à la barre et je m’endors dans le cockpit à côté de lui. A 5h30, il me réveille de nouveau pour le remplacer. Nous sommes devant Portsmouth, l’autre grande ville de la Dominique, et il faut qu’on attende le grand jour pour rentrer dans la baie. J’envoie Pete à moitié paître. Pourquoi moi encore ? Il n’a qu’à demander à Edward de surveiller un peu ce qu’il se passe ! Il y a peu de vent, le moteur tourne, il ne peut pas faire beaucoup de bêtises… Et je referme les yeux…

Je me réveille au son d’une bouteille en plastique qui tombe à côté de moi. John et Mac sont réveillés. C’est John qui m’a lancé la bouteille. Ils se moquent gentiment d’Edward qui fait faire des zigzag au voilier sur une eau plate pourtant comme un lac. Et celui-ci demande d’ailleurs rapidement à John de le remplacer car soit-disant « les vagues le poussent sur la côte » !?!? Quel navigateur vraiment, jusqu’au bout il aura joué le boulet…

Nous entamons enfin notre entrée dans la baie de Portsmouth. Le spectacle est impressionnant : les reliefs de l’île montrent des arbres nus comme s’il s’agissait de l’automne en France sauf qu’ici c’est le vent qui a arraché les feuilles et pas le froid qui les a fait tomber. De nombreuses habitations montrent des toits arrachés en partie ou totalement. Les tôles sont maintenant dans l’eau tout le long de la côte. Des bateaux sont échoués ici et là. D’autres, à flot, montrent des blessures flagrantes…

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Nous arrimons le bateau au quai et nous débarquons heureux de pouvoir se dégourdir les jambes et pressés de débarquer les marchandises. Edward, le boulet, arrive tout de même à trébucher en sortant du bateau ! J’ai même cru un instant qu’il allait finir entre le quai et la coque… Jusqu’au bout vraiment, il se sera montré en-dessous de tout…

22154716_10154716957905810_6365271551503893338_nLa première étape, c’est la douane afin de faire les formalités d’entrée. Leur entrepôt a été soufflé, il ne reste que les murs. Leur bureau n’a plus de toit. Les douaniers sont donc contraints de faire remplir les papiers dans leur 4×4. Ils nous autorisent à débarquer les vivres. Une camionnette conduite par des paroissiens appartenant aux églises en lien avec l’opération arrive. Et une chaîne humaine se forme pour y transférer les marchandises.

Des parents de la famille de John viennent nous retrouver sur le ponton, notamment Mike, un vrai rasta man ! Il a le physique d’un rugbyman avec des rasta. Il explique avoir tout perdu : sa maison et son bateau qu’il venait à peine de finir de retaper. Mais il garde le sourire car il est en vie et que sa famille va bien. Et d’ailleurs, il n’est pas le seul à réagir comme cela. En effet, les dominicains que je rencontre gardent le sourire malgré les circonstances. Ils ont tout perdu mais ils sont en vie et c’est cela qui compte à leurs yeux !!!

Je retrouve sur le ponton un autre rasta man d’un physique plus « classique » va-t-on dire. C’est Yellow. Il est sûre de m’avoir déjà croisée quelque part… En Martinique d’après lui… Et je me rappelle, oui !!! A la station à essence : il était venu discuter quelques minutes avec moi après m’avoir vu remplir des bidons de gasoil et d’essence et les transférer toute seule du ponton à mon petit dinghy. Il avait semblé surpris de savoir que j’étais seule à gérer mon voilier et m’avait fait un petit numéro de charme à l’effet, euh…, tout relatif dirons-nous !

John et moi, nous laissons les pasteurs et les paroissiens traiter leurs affaires et nous suivons Yellow qui nous promet de nous aider à trouver une bière quelque part. Je pars avec une bouteille d’eau encore fraîche grâce à l’énorme glacière remplie de glace que nous traînons sur le pont du bateau (le frigo du bord ne fonctionnant pas). On me fait rapidement comprendre que me balader avec cette belle eau glacée n’est pas une bonne idée ici… Il n’y a pas d’eau courante. L’électricité est coupée depuis presque deux semaines, la simple idée d’une gorgée d’eau glacée pourrait donner de mauvaises idées à certains paraît-ils… Je la laisse à des membres de la famille de John que nous croisons sur la route.

Les rues sont quasiment désertes. Elles sont jonchées de détritus divers dont les plus gros ont repoussés sur le côté. Nous enjambons des câbles électriques tombés à terre. Nous passons à côté de poteaux pouvant concourir avec la tour de Pise. Les magasins sont fermés forcément. La vie est loin d’avoir repris son cours normal en deux semaines.

Yellow nous emmène dans une petite gargote qui a encore des réserves de bières, dont le réfrigérateur fonctionne grâce à un générateur et qui pratique des prix normaux ! Nous dégustons avec délice quelques bières bien méritées debout à l’extérieur du bar bondé avec vue directe sur les dégâts aux alentours…

P1040466Yellow nous emmène ensuite dans un autre endroit qui est l’un des seuls en mesure de proposer un plat chaud. Attention, ce n’est pas un restaurant, ni un bar… non, non, une sorte de minuscule magasin, l’un des très rares déjà ouverts, avec un comptoir et qui vend également quelques produits de première nécessité. Pas le choix bien évidemment, aujourd’hui c’est coquillettes et ribs. John et moi partageons l’assiette en plastique. C’est bizarre, il me laisse la plus grosse partie des ribs… Et je me demande pourquoi il demande avec tant d’insistance à la vendeuse ce que c’est comme viande ? C’est vrai que ce sont de toutes petites ribs mais je m’en fous, j’ai faim et on a mangé essentiellement du pain avec de la confiture et du beurre de cacahuète depuis qu’on est parti (note pour plus tard : ne pas laisser les pasteurs s’occuper de la bouffe à bord !!!). Les os sont bien moins gros que d’habitude mais c’est bon, super bon même… La femme refuse de lui répondre, bizarre. Elle dit qu’elle ne sait pas… Nous sortons du magasin et c’est seulement à ce moment là que John m’avoue qu’il pense que c’est du chien… « Du chien ? Comment ça du chien ? » Il me regarde l’air étonné : « T’as pas remarqué la taille des os ? T’as déjà vu des ribs si petites ? Et comment tu crois qu’ils ont eu de la viande dans les conditions actuelles ? »… Décidément, je suis bien naïve… Alors si c’est du chien, euh…, ben j’ai quand même trouvé ça bon…

Yellow nous raccompagne près du ponton où est arrimé le bateau. Nous y rencontrons d’autres membres de la famille de John. Charles, l’un de ses cousins, et Deb sa fille. Cette dernière nous emmène faire un tour en voiture dans les environs après que nous ayons négocié un peu d’essence. A l’heure actuelle, ils limitent tous les déplacements car le carburant est vendu au compte-goutte à certains endroits seulement.

Avec Deb comme chauffeur, nous traversons la ville de Portsmouth et nous longeons ensuite la route en bord de mer en direction de l’autre principale ville, Roseau. C’est une succession de paysages de désolation. Dans les villes, ce sont des toitures manquantes, des poteaux électriques tombés à terre ou faisant concurrence à la tour de Pise, de nombreux câbles électriques ou téléphonique jonchant le sol. Tous les magasins sont fermés bien évidemment à part quelques très rares endroits où l’on croise un peu de vie…

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Roseau, au sud de l’île, a priori, a été plus durement touchée que Portsmouth, au nord. Les rues du centre-ville ont été désencombrées, on va dire, et de part et d’autre de chacune d’entre elles, il y a un monticule de terre et de débris divers montrant l’énorme quantité de boue qui s’est déversée dans la ville, la dévastant. Les murs sont encore marqués et on peut aisément voir jusqu’où l’eau est montée au cours du passage de l’ouragan. Les rares passants que l’on croise portent tous des masques pour protéger leurs voies respiratoires. J’apprendrais d’ailleurs, dans les jours suivants, que de nombreux Dominicains, souffrent de problèmes respiratoires sévères suite à tout ce qui a volé dans l’air durant et après le cyclone.

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Nous n’avions pas emmené d’eau potable pensant qu’avec les nombreuses sources de la Dominique, les gens ne manqueraient pas d’eau là bas. Hé bien, non… Impossible de boire l’eau juste après un cyclone en raison des animaux morts qui traînent dans les cours d’eau, des arbres qui sont tombés dedans, l’amoncellement de débris divers la rend impropre à la consommation, quand les canalisations n’ont pas été détruites bien évidemment ! Ce problème d’eau cause des problèmes de diarrhées en plus des problèmes respiratoires… L’eau des inondations favorisent la pullulation des moustiques et tout le lot de maladies qu’ils peuvent transmettre du genre dengue, zika ou chikungunya… L’eau stagnante et les débris qui ne peuvent pas être retirés de suite attire également les rats dont la pisse peut donner la leptospirose… Et la proximité des personnes qui ont trouvé refuge chez les uns ou les autres après que leur maison ait été détruite favorisent la transmission de ces maladies…

Dans ce contexte particulier, se rajoutent les faits que l’hôpital a été détruit, la fac de médecine a été vidée, les professeurs ayant fui l’île et les apprentis médecins étant partis finir leurs études dans une autre île… Pas le choix, ici, il n’y a plus rien. Je prends meilleure conscience de ce que signifie le passage d’un cyclone sur une île. C’est une chose de voir des photos ou des reportages, c’est autre chose de voir les faits par soi-même ! Les blessés et malades sont laissés à eux-mêmes… Je prends conscience de l’ampleur des dégâts et du temps qu’il faudra à la Dominique pour se relever. Ce n’est pas une question de semaines ou de mois, mais d’années véritablement… Si peu de temps après le passage du cyclone, ils manquent de tout : nourriture, produits d’hygiène de base, générateurs, dessalinisateurs mais aussi matériaux de reconstruction…

Nous rentrons doucement en direction de la baie de Portsmouth. Nous rejoignons les pasteurs sur le quai auquel le bateau est apponté. Il est question de ramener une famille à Saint Vincent. John s’en mêle. Il ne veut pas trop de monde à bord et il compte également ramener sa nièce à bord pour l’héberger à Bequia et l’aider à trouver du travail pour qu’elle puisse aider sa famille ici. La discussion s’enflamme un peu. John rumine… Il s’éloigne un instant. J’en profite pour lui soumettre l’idée que, s’il s’agit d’une question de nombre de personnes et de poids, euh… comment dire… pourquoi ne pas laisser sur place Edward qui s’était révélé un bon poids mort durant tout l’aller ? Je vois le visage de John s’éclairer. Visiblement, mon idée le réjouit ! Il retourne négocier. Quelques minutes plus tard, il revient tout sourire. Demain matin, nous embarquons deux femmes et deux enfants que nous déposerons à Saint-Vincent où ils ont de la famille ainsi que Donna, sa cousine. Edward reste à terre, il se débrouille de son côté… Nous ne posons aucune question. Ce soir là donc, nous ne sommes plus que quatre à dormir sur le bateau. Edward a préparé ses affaires et est parti rapidement.

Mac en profite pour se lâcher un peu sur son compte. Il nous raconte que la nuit précédente, alors qu’il dormait dans la cabine avant, après avoir assuré son quart, il a entendu Edward allait aux toilettes toute proches. Il n’a pas pu s’empêcher de se demander comment Edward pouvait se faufiler dedans et réussir à fermer la porte derrière lui (c’était déjà limite pour moi, alors lui….). Et après que celui-ci ait fini sa petite affaire, il n’a rien trouvé de mieux que d’aller s’allonger à côté de Mac dans la cabine avant au lieu de repartir à l’arrière et le laisser tranquille… Du coup Mac a été incapable de se rendormir et est parti nous rejoindre dans le cockpit plus rapidement qu’il ne l’escomptait…

Le lendemain matin, je fais une petite toilette de chat après avoir sauté dans l’eau pour me réveiller. Peu après, habillée, dans l’attente de voir arriver nos « invités », je me penche un instant au-dessus des filières pour observer une grosse branche qui est passée sous le ponton et qui me semble un peu trop proche de la coque et là, j’ai dû faire un faux mouvement… En un instant, je sens une forte douleur dans mon cou, et j’ai l’impression de ne plus pouvoir le maintenir en place, je m’accroupis comme je peux en me tenant la tête entre les mains… Il faut que les autres m’aident à m’allonger dans le cockpit tout en m’aidant à soutenir ma tête… Je me suis coincée un nerf ou je ne sais pas… Je réfléchis à toute allure : je suis sur une île qui vient d’être dévastée par un cyclone, il n’y a aucune structure médicale debout, aucun médecin, encore moins de chiropracteurs ou d’ostéopathes et je ne peux pas bouger. Ce n’est pas un torticolis, je n’ai pas juste mal quand je bouge, je ne peux pas soutenir ma tête !!! Dans trente minutes, les personnes que nous attendons vont arriver et je devrais soit débarquer du bateau, soit y rester si tout se remet en place. Je désespère… Charles, le père de Deb, passe nous voir au bateau. Il découvre mon état et fait un aller et retour chez lui pour me ramener un spray chauffant magique ! De toute manière, je n’ai pas le choix… A son retour, Pete m’aide à me relever et m’en enduit le cou et la base des épaules. J’ai même le droit à un rapide massage de sa part, un massage d’un pasteur ! Hahahah ! Je me rallonge. Le produit chauffe, je ne sens pas d’évolution particulière. J’attends… Les minutes passent… Mais doucement, les choses évoluent. Je finis, toujours avec de l’aide, par me redresser et j’arrive à maintenir ma tête sans utiliser mes mains. Cette fois-ci, ça n’a plus l’air que d’un vilain torticolis… Ça va être dur pour les manœuvres mais au moins, je peux bouger sur le bateau… Non mais, quelle histoire !!!

Peu de temps après, nos « invités » arrivent. Une maman et ses trois enfants, ainsi que leur grand-mère. Donna les suit de près. Tout le monde embarque, trouve sa place et nous mettons les voiles. Enfin, on essaye… Je vois avec surprise Mac et Pete tenter de lever la grand-voile alors que nous sommes vent arrière et pas face au vent… Que dire… Il semble que Pete ait oublié certains trucs élémentaires de son lourd passé de voileux… Bref, après ce petit couac, nous mettons les voiles en direction de Saint-Vincent où nous allons déposer la petite famille ainsi que Pete qui vit là bas.

En longeant la côte sous le vent de la Dominique, de plein jour cette fois-ci, nous réalisons que nous avons eu de la chance lors de notre arrivée de nuit. Nous croisons plusieurs fois de gros troncs d’arbres qui, en cas de collision, seraient susceptibles de faire pas mal de dégâts sur la coque…

Le retour se fait rapidement. Toute la petite famille est très cool et se fait discrète l’essentiel du voyage. Cette fois-ci, pas de couac. En tout cas, pas avant de rejoindre la petite marina au sud de l’île de Saint-Vincent. Nous y entrons au petit matin. Et là, à peine l’entrée dépassée, le bateau est stoppé par un banc de sable… Il s’avère que le chenal qui mène aux pontons un peu plus loin est relativement étroit et qu’il faut presque frôler les voiliers amarrés aux premières bouées près des balises signalant l’entrée du chenal… Bref, branle-bas le combat à bord ! John tente la marche arrière toute, sans succès… Le bateau ne bronche pas. Après 10 minutes de manœuvres variées au moteur, il invite toutes les personnes à bord à sortir et à se poster le plus à l’avant possible pour soulager l’arrière du bateau. Et nous voilà tous servant de contrepoids à l’avant sous le regard narquois de quelques spectateurs au mouillage. Enfin, le bateau accepte de bouger et nous atteignons enfin les pontons.

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Nous débarquons femmes et enfants ainsi que Pete qui vit également sur l’île. Après des au revoir chaleureux, le reste de la trouve, à savoir John, Mac, Donna et moi, rejoignons Bequia, cette fois-ci, sans aucune encombre…

Donna s’est par la suite installée dans la chambre d’ami de John quelques jours. Au cours de cette période, nous avons vécu un fort orage. Pour ma part, c’était les coups de tonnerre les plus violents que j’ai entendu de ma vie, c’est vous dire ! Et bien, Donna m’a raconté avoir passé sa nuit à courir entre sa chambre et la salle de bain car elle avait eu l’impression qu’un nouvel ouragan s’abattait sur elle. Les éclairs, les coups de tonnerre, tout était similaire à ce qu’elle avait vécu pour Maria. Elle avait donc passé la majorité de sa nuit, accroupie dans la salle de bain, la seule pièce assez rassurante pour elle avec ses murs tout autour sans fenêtre, son sac dans ses bras… Je vous laisse imaginer le traumatisme que ces personnes ont vécu… Elle est repartie pour la Dominique quelques jours après seulement pour rejoindre son père tombé malade d’une maladie respiratoire infectieuse. Elle n’avait pas le cœur à le laisser se débrouiller tout seul… Et depuis pas de nouvelles, la Dominique n’ayant toujours pas pu remettre son réseau de communication en était de marche…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Presse-étoupe : pièce garnie d’un joint assurant l’étanchéité de l’arbre de transmission. En gros (en très gros), l’hélice est fixé sur un tube (l’arbre) qui rentre dans la coque du bateau et c’est ce fameux presse-étoupe qui permet de ne pas couler par cet endroit.

Art. 11a – Un AR express en Dominique (première partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Le surlendemain du passage du cyclone Maria, les conditions météo s’améliorent nettement. La houle est moins forte et les premiers bateaux repartent en direction de la Martinique ou d’ailleurs.

Je m’apprête à les imiter. Le moteur de Nautigirl ronronne déjà. Je suis sur le point de quitter la bouée, une amarre dans les mains, lorsque je vois un zodiac(*) s’approcher. C’est « African » le propriétaire de la bouée qui passe me voir (ils sont nombreux ici à avoir un surnom par lequel ils préfèrent se faire appeler). C’est un géant qui pèse aisément son quintal ! Il est impressionnant à voir : aussi grand que large ou presque. Il me convainc de rester quelques jours de plus sur Bequia(*) pour me détendre un peu plutôt que de remonter aussi vite en Martinique sans même avoir pris le temps de poser un pied à terre. C’est vrai que c’est dommage. Je rattache l’amarre que je venais de libérer, éteins mon moteur et je le suis sur son dinghy(*) pour qu’il me dépose à terre (mon annexe est déjà gentiment sanglée et dégonflée sur le pont et je n’ai pas du tout envie de la remettre à flot de suite).

En chemin, nous stoppons un moment sur son catamaran à bord duquel il fait régulièrement du charter et il m’y offre un verre de jus frais. Ça faisait longtemps ! C’est délicieux ! Et ça me rappelle à quel point un frigo à bord, c’est parfois bien pratique… Nous repartons rapidement en direction de la terre ferme où African me dépose.

J’en profite pour faire ma clearance(*) et j’explore un peu les environs à la recherche d’une connexion internet. Je suis coupée du monde depuis déjà plusieurs jours et j’aimerai savoir ce qu’a donné Maria exactement…

C’est ainsi que j’aboutis au « Maria’s Café », oui, oui, du même nom que le cyclone ! En m’y connectant à internet pour la première fois depuis que j’ai quitté la Martinique à la hâte, je lis un message Facebook daté du jour de mon arrivée à Bequia par un pote qui m’annonce avoir un très bon ami sur place qui a réservé une bouée pour moi… Pffffff…. Dommage que je n’ai pas pu me connecter à internet avant… Ça m’aurait évité une nuit blanche comme celle que j’ai passé sur le mouillage avec mon ancre qui n’accrochait pas… Et ce très bon ami de mon pote, c’est John, le propriétaire du « Maria’s Café » justement. Celui-ci m’accueille comme si j’étais une de ses amies de longue date et me met tout de suite à l’aise.

Je suis à Bequia depuis maintenant quelques jours. Les gens d’ici sont accueillants et cet endroit me fait penser à la Polynésie qui me manque tant. Le contact est facile, les locaux sont souriants, le mouillage est sympa, bref, ça me fait du bien. Tous les jours, je squatte le wifi du bar-restaurant pour bosser en ligne la théorie du Yachtmaster, mon nouveau défi. Une fois les cours finis, je pourrais valider à distance cette formation et ne passer que la pratique dans une école affiliée à la RYA, comme celle de Grenade.

C’est ainsi que tous les matins, je suis la première à arriver au « Maria’s Café ». John m’y offre le petit déjeuner et nous faisons tous les jours plus ample connaissance autour de notre café matinal.

J’apprends ainsi qu’il s’apprête à prêter un voilier pour permettre à une église de rapatrier des vivres en Dominique(*) durement touchée par l’ouragan. Il me présente Mac, un ami à lui, pasteur, qui fera partie du convoi. Celui-ci n’a aucune expérience en tant que marin mais il est volontaire et bricoleur, ce qui peut s’avérer utile sur un bateau comme celui sur lequel il va partir.

Ce voilier, mis à disposition par John, c’est un bateau dont le propriétaire, trop endetté, ne s’occupe plus et dont ce dernier a convenu de lui laisser à disposition en échange des sommes engagées par John pour la maintenance, le mouillage et la surveillance du bateau.

John propose à Mac d’aller lui montrer le bateau en attendant l’arrivée du capitaine, un autre pasteur (!?!), qui fera la route jusqu’en Dominique. Je les accompagne, curieuse. Le bateau fait 40 pieds, il a l’air solide mais l’intérieur est sale : il y a de l’huile partout sur les planchers, les bouts(*) sont emmêlés, certains sont bien usés, trop même. Il y a du travail pour le mettre suffisamment en état pour la navigation prévue ! Mac s’y met de suite, aidé dans cette tâche par un homme à tout faire travaillant pour John.

Le lendemain, depuis la terrasse du café, d’où je vois le bateau en question, je vois Mac s’activer dessus accompagné par un autre homme, beaucoup plus petit, il arrive à peine à la hauteur de la bôme(*) ! C’est le capitaine censé mener ce bateau jusqu’en Dominique. Il vient d’arriver en ferry depuis Saint-Vincent(*) où il vit. C’est également un pasteur ! Ils gréent(*) les voiles, démêlent les drisses(*), mettent tranquillement les choses en place.

Je fais la connaissance du capitaine, Pete, un peu plus tard dans la journée. Il a 71 ans !!! Il me parle de ses expériences de navigation, de sa vie dans les îles Marshall… Je découvrirais rapidement que tous ces souvenirs datent du début des années 80 soit presque 40 ans auparavant et que depuis, il a peu navigué !

John discute avec les pasteurs. Il semble inquiet à l’idée de leur laisser la responsabilité du bateau en raison de l’âge du capitaine… Mac est une personne qu’il connaît depuis un bout de temps, ils s’entraident souvent et c’est pour cette raison qu’il décide de leur proposer de les accompagner. Par contre, l’idée de n’être entouré que de pasteurs au cours de longues heures de navigation ne l’enchante guère. Il me propose donc de faire partie du voyage. C’est l’occasion pour moi de donner un coup de main à une île sinistrée, je saisis ma chance !

Nous voilà bientôt tous réunis autour d’une table au café. John leur fait part de son idée. Ils sont enchantés de sa proposition de les assister au cours du voyage. Par contre, ma présence à bord les fait un peu grincer des dents. Pete précise qu’ils sont déjà cinq pasteurs à partir et qu’avec nous deux, nous serions sept. Trop de poids, moins de vivres à emmener. Ils ne sont pas d’accord. John discute, négocie, il ne voit pas l’intérêt d’avoir autant d’hommes d’église à bord, tous néophytes… Finalement, Pete décide de nous emmener tous les deux et de réduire le nombre de pasteurs à bord à trois : lui, Mac et un autre pasteur nommé Edward fraîchement débarqué de Saint-Vincent lui aussi.

Edward est un gros bébé tout rondouillard à la bedaine bien prononcé. Il se présente à moi heureux de m’annoncer qu’il parle français parfaitement et qu’il pourra m’aider à me faire comprendre à bord. Je réaliserai rapidement que sa soit-disant maîtrise du français est très largement surévaluée tout comme d’autres aspects de sa personnalité…

Pete me prend en aparté. Il m’explique qu’étant pasteurs, tout ce petit monde attend de moi que je m’habille « modestement ». Interloquée, je lui demande ce qu’il sous-entend par là. Il se contente de me répondre que comme je suis (short et tee-shirt), ça va… Sous-entendu, je pense, pas de haut de bikini à bord et ne pas se trimballer en maillot de bain devant eux…Ben, voyons… Vive la libération de la femme et l’absence de préjugés…

Samedi 30 septembre 2017, au matin, nous nous apprêtons à quitter Bequia à bord du voilier. Pete, le capitaine, nous réunit dans le cockpit. Il veut prier (?!?) avant de quitter le mouillage… Je les regarde faire, un peu à l’écart. Ce rite me paraît un peu étrange mais de la part de pasteurs, je ne devrais pas être étonnée. La prière cède la place à un petit discours… Pete précise que c’est lui le capitaine, que John est là en tant que propriétaire du voilier, qu’il attend de nous que nous obéissions lorsqu’on nous donne un ordre et que si conflit il doit y avoir, ça ne peut être qu’entre lui et John de part leur position respective : les autres doivent la fermer et obéir. Si quelqu’un est malade, il attend de lui de faire sa part des tâches…. Hé ben, ça promet pense-je !

Nous quittons le mouillage. Pete prend son rôle de capitaine très à coeur visiblement. Il est déjà à l’avant du bateau à – je pense – ranger les amarres(*) ou remonter les para-battages(*). Pas du tout en fait… Quand je passe à l’avant pour vérifier qu’aucun bout ne traîne sur le pont, qu’aucun pare-battage n’a été oublié, je me rends compte qu’il n’a rien fait, ça me surprend ! Je ne dis rien et je gère donc à moi seule l’ensemble des amarres et pare-battages. J’arrime(*) le tout solidement sur le balcon(*) arrière et rejoint tout le monde dans le cockpit. J’entends John demander à Pete d’aller attacher l’ancre à l’avant mais ce dernier lui répond qu’il préfère regarder comment John s’y prend. Surprenant pour un capitaine ! Il semble ne pas savoir comment sécuriser l’ancre ! John passe donc à l’avant pour s’en occuper suivi par Pete qui, décidément, me donne une confiance très moyenne en ses capacités de capitaine…Par contre, il adore donner des ordres et des instructions… La preuve, alors que j’essayais d’expliquer en anglais à Edward comment faire un nœud de chaise, il m’a vertement rabrouée en disant que ce n’était pas le moment… Hum hum… Je ne dis rien, je baisse la tête… Après tout, il ne faut pas contrarier les ancêtres !

Un peu après, il m’explique avec tout le sérieux du monde que la meilleure cabine est celle de l’arrière mais qu’il la destine à accueillir des vivres, que lui se réserve la banquette bâbord dans le cockpit(*)… Genre, il va veiller toute la nuit et nous, les autres, on n’a qu’à s’arranger ensemble… Après cela, il me confie son téléphone pour que je le pose à côté de la descente(*), ce que je fais. Cinq minutes après, il descend dans le carré(*) faire je ne sais pas quoi et soudain je l’entends m’interpeller sèchement : « Diane ! Qu’est ce que tu as fait de mon téléphone ? ». Je lui désigne du doigt l’endroit exact où il m’a vu poser son téléphone quelques minutes à peine avant. Il paraît étonné mais ne murmure pas même une excuse ou un merci en s’en emparant… Bon sang ! Ça promet ce voyage !!! Le temps d’atteindre l’île de Saint-Vincent où l’on doit récupérer les vivres, je l’entends raconter à qui veut l’entendre toutes ses aventures vécues en bateau… le plus grand bateau sur lequel il a navigué, le plus haut mât sur lequel il a grimpé, le trajet le plus « rout’s » qu’il ait vécu sans électricité sur le voilier, sans coussin, sans éclairage, sans rien… Tout ces souvenirs datent des années 80 tout de même !!! Il remue beaucoup, beaucoup de souvenirs qui datent…

John, qui barrait jusqu’à présent, laisse à Edward le soin de diriger le bateau. Ce dernier lui a dit qu’il savait faire du bateau et qu’il avait même participé à des régates. John lui confie donc la barre du bateau en tout confiance. Rapidement, le voilier commence à zigzaguer à gauche et à droite… Visiblement il ne sait pas barrer si bien que ça, et ce, malgré la présence de Pete à ses côté qui tente de lui prodiguer des conseils… Il semblerait qu’un pasteur puisse mentir éhontément ! Je me répète mais ça promet vraiment, d’autant plus que le pilote automatique refuse de fonctionner, il faudra donc barrer tout du long… Et il y a environ 25 heures de trajet.

En aparté, John me fait comprendre que nous serons sûrement les deux seuls à assurer les quarts(*) de nuit. Il voit mal les autres faire. Mac est volontaire mais n’a pas d’expérience. Edward a visiblement menti sur son expérience de navigateur. Pete est dans un rêve éveillé où il se voit capitaine alors qu’il n’en a pas les compétences et il n’a pas la force physique nécessaire pour agir comme il le faudrait sur le bateau. Il n’arrive pas à border seul l’écoute(*) de grand-voile par exemple.

A 12h30, après un peu plus d’une heure de navigation, nous arrivons à la pointe sud de Saint-Vincent dans une petite marina dans laquelle nous devons récupérer les vivres collectés par les paroisses auxquelles appartiennent ces pasteurs.

Je connais un peu Saint-Vincent mais pas cette marina. Je découvre une minuscule enclave entourée d’un récif et à laquelle on accède pour une toute petite passe définie par deux balises(*) classiques rouge et verte. John, qui a repris la barre, faufile le voilier à travers cette petite entrée. On pourrait presque (si j’étais marseillaise) toucher depuis le pont du bateau les balises qui la délimitent. Je suis impressionnée. Je regarde le logiciel de navigation Navionics sur l’Ipad qui montre la carte détaillée de l’endroit et notamment les profondeurs. Pour accéder aux pontons, il faut veiller à ne pas s’écarter du chenal de navigation qui n’est pas marqué en surface (aucune bouée pour le baliser), il faut donc garder un œil constant sur l’Ipad.

Nous arrivons enfin au ponton d’où les vivres vont être chargés. Certains volontaires de la paroisse nous attendent, prêts à faire monter les vivres à bord. Je pars avec la femme de Pete – qui nous attendait de pied ferme – récupérer les aliments pour nourrir l’équipage durant le trajet. Je reviens les déposer au bateau et je commence à organiser le coin cuisine. Pendant ce temps là, John gère les pleins d’eau et de gasoil, et Mac commence à descendre dans le bateau des sacs de riz, de farine et des cartons de conserves pour la Dominique. Il suit les instructions de John qui souhaite que tout soit centré non loin du mât pour répartir uniformément le poids.

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A la demande de John, Mac vérifie que les réservoirs d’eau se remplissent tranquillement. Il ouvre la trappe d’accès mais ne voient que des réservoirs vides… Pourtant, les employés de la marina ont bien mis un tuyau dans l’un des nables(*) sur le pont et de l’eau s’écoule du tuyau alors où va-t-elle ? Je monte sur le pont et je m’aperçois que le tuyau est enfoncé dans un nable intitulé « waste » (déchets en anglais) et non « water » (eau en anglais). Résultat, l’eau s’est déversé directement dans le réservoir de gasoil auquel ce tuyau « waste » a sans doute été raccordé par l’ancien propriétaire… Le moteur qui tournait encore a calé…

On passe l’après-midi entière à tenter de siphonner le réservoir pour se débarrasser de l’eau et pouvoir redémarrer le moteur. Bien évidemment, on est samedi, tout est fermé et nous n’avons qu’une minuscule pompe qui génère un tout petit débit. C’est mieux que rien mais ce n’est pas terrible… Au fur et à mesure qu’on vide le réservoir, on remplit des seaux de ce mélange de gasoil et d’eau qu’on doit ensuite aller porter jusqu’à un récipient plus loin dans la marina qui autorise le déversement de gasoil. Ce sont des va et vient constants durant plusieurs heures. Le réservoir semble sans fin. Dans le doute, Mac décide de vérifier la profondeur du réservoir et ne trouve rien de mieux que d’y glisser un bout de canne à pêche qu’il laisse tomber à l’intérieur par inadvertance par une ouverture à peine plus grande que mon poing… Décidément, pas de chance… Le bout de canne a disparu à l’intérieur. Impossible de le récupérer…

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Au bout de plusieurs heures d’effort, on arrive finalement au bout : canne à pêche toujours coincée mais réservoir vidé, moteur purgé et filtres changés par les bons soins de Mac. Nous redémarrons enfin le moteur dans la soirée. Il fait nuit noire quand nous quittons enfin le ponton ! Le bateau est chargé à bloc. Nous avons préservé la cabine avant et la cabine arrière pour l’équipage et l’ensemble des vivres est entassé dans le carré. Nous marchons sur les sacs de riz et de farine pour atteindre les seules toilettes qui fonctionnent et la cabine à l’avant.

Je suis de nouveau la seule à me charger des amarres et des pare-battages. John est à la barre, Mac est auprès de lui, Edward est assis dans le cockpit près d’eux et Pete est à l’avant avec sa lampe torche étanche dont il ne cesse de clamer les qualités pour assister John dans la sortie étroite de la marina. On n’y voit rien avec sa lampe ! Je finis de ranger les pare-battages et je demande à Mac de me donner le projecteur que j’ai emprunté à Nautigirl pour le trajet. Il me le tend et j’éclaire un instant vers l’avant pour voir où l’on en est et aider Pete dans sa recherche des bouées de signalisation. Au moment où je braque mon projecteur vers l’avant, je me rends compte que l’on s’apprête à dépasser les deux balises par leur droite !!! On est complètement à côté du chenal qu’on aurait dû emprunter et on s’apprête à finir sur un banc de sable ou pire un récif ! Je crie pour attirer leur attention dans le cockpit. Ils prennent enfin conscience de leur erreur ! Marche arrière toute, demi-tour et repassage au bon endroit du chenal pour franchir cette foutue porte !!!! Heureusement que j’avais pensé à emmener ce foutu projecteur de pont, sans cela, on arrêtait le voyage là… sur le récif… A quelques milles seulement de notre point de départ…

Après nous être un peu éloignés, je prends la barre pour commencer mon quart de nuit. Pete est sur mon dos. Il est assis devant la capote(*) sur le radeau de survie et observe les flots noirs… Et il commente en me donnant des ordres : « Fais +10° sur ta route pour éviter un courant »… Comme si il pouvait voir la moindre indication d’un courant par cette nuit sombre… 10 minutes après, il se retourne vers moi pour me dire de reprendre ma route normale… Comme s’il avait pu observer un « micro-courant » sur quelques centaines de mètres et qu’il avait su – de par sa précision – nous éviter de nous dévier de notre route… Ralahaha !!! Cette manière d’essayer d’imposer son statut de capitaine me court fortement sur le système…

Edward, quant à lui, en rajoute une couche en se permettant de faire des réflexions dès qu’il voit sur l’Ipad ma route réelle s’écarter de la route théorique… C’est qu’il commence à me gonfler aussi celui-là ! En plus, il ne fout rien… Quand il n’est pas allongé de tout son long dans le cockpit immobilisant une banquette entière, il est assis. Quand il faut border(*) le génois(*), il faut lui indiquer sur quelle « corde » il faut tirer vu qu’il n’en a aucune idée visiblement… Et quand enfin on lui met l’écoute dans la main, il faut encore l’enrouler pour lui autour du winch(*) sinon il ne la mettrait pas dans le bon sens… Et quand il ne lui reste plus qu’à activer le winch, il fait un semblant de démonstration de force en faisant tourner la manivelle de winch sans même prendre la peine de regarder l’impact de son action sur la voile d’avant… Soi-disant qu’il ne peut pas regarder vers l’avant à cause de  ça… Ben mon p’tit, tu fais comme tout le monde, tu te mets à genoux sur la banquette et tu tends la tête vers l’extérieur pour regarder le génois en même temps que tu le bordes, purée !!!! Heureusement, il part tôt se coucher dans la cabine arrière.

Le vent est quasi-inexistant sous le vent de Saint-Vincent. Nous devons rapidement soutenir les voiles au moteur. A 2 heures du matin, je pars remplacer John dans la cabine avant. Je viens à peine de me trouver une position confortable pour tenter de trouver le sommeil que j’entends le moteur s’éteindre. C’est le branle-bas de combat sur le pont, j’ai l’impression. Des éclats de voix… Il semble y avoir un problème avec le moteur de nouveau… Je n’ai même pas la force de me lever pour aller me renseigner… De toute manière, ils sont déjà assez nombreux sur le pont. J’entends les voiles claquer…

A SUIVRE !


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Amarre : grosse “corde” utilisée par les bateaux pour se “garer” le long d’un quai ou d’un autre bateau ou pour s’attacher à un corps-mort.

Amarrer : comme dirait le dictionnaire Larousse, c’est attacher un navire au moyen d’amarres.

Arrimer : Fixer solidement le chargement d’un navire.

Balcon : structure métallique à l’avant (et parfois à l’arrière) du bateau.

Balise : marque latérale fixe ou flottante indiquant un chenal ou un danger par exemple. Elles ont toutes une couleur bien déterminée fonction des rôles qu’elles jouent.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Bôme : barre rigide à la perpendiculaire du mât d’un voilier sur laquelle est fixée la partie inférieure de la grand-voile et qui permet de l’orienter.

Border : sur un voilier, border signifie ramener une voile plus près du bordé, c’est-à-dire la coque du bateau. On se sert pour cela de l’écoute de la voile concerné (le cordage attaché au bout de la voile) sur laquelle on tire pour rapprocher la voile.

Bout : (se prononce « boute ») cela désigne, de façon générale, un cordage sur le navire car le mot « cordage » n’est jamais utilisé par les navigateurs.

Carré : pièce intérieure du bateau où l’on peut se réunir.

Capote : couverture amovible qui protège des vagues et de la pluie l’entrée du bateau.

Clearance : faire sa clearance, c’est faire les démarches douanières nécessaires pour entrer ou sortir d’un pays.

Cockpit : emplacement situé à l’arrière d’un bateau de plaisance, où se tient le barreur.

Descente : petit ensemble de marches qui mène à l’intérieur du voilier.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

Dominique (Dominica en anglais) : pays et île de l’archipel des Caraïbes, située entre les îles françaises des Saintes et de Marie-Galante (deux dépendances de la Guadeloupe) au nord et l’île de la Martinique au sud. La population est d’environ 73.000 habitants.

Drisse : “corde” que l’on voit courir le long du mat et qui sert à hisser ou affaler une voile.

Ecoute : “corde” fixée au coin de la voile et qui sert à régler l’angle de la voile par rapport au vent (en la tendant plus ou moins fort).

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Gréer : équiper un voilier de tout ce dont il a besoin pour être en état de naviguer.

Nable : trou dans le pont – fermant grâce à un couvercle qu’on visse hermétiquement – reliant un réservoir avec l’extérieur grâce à un tuyau qui court le long de la coque d’un voilier et généralement masqué de la vue.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Quart (de nuit) : tour de veille à la barre la nuit (tranche allant de 2 à 4 heures généralement).

Saint-Vincent : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. C’est l’île principale. La population est d’environ 110.000 habitants.

Winch : avec sa manivelle, sorte de gros moulin à café sur lequel vient s’enrouler la “corde” qu’on cherche à tendre. Il permet de démultiplier les efforts.

Zodiac : il s’agit d’une marque déposée qui désigne un canot pneumatique généralement à moteur (voir aussi la définition d’une annexe).

Art. 10b – Maria (seconde partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

En attendant que Pierre arrive, je tente de commencer à remonter l’ancre. C’est peine perdue ! Entre les vagues qui semblent sur le point de déferler, le vent et la coque qui ne prend pas la houle de face, même avec le pilote automatique en place et l’appui du moteur, je n’y arrive pas. Trop de tension dans la chaîne ! Je manque même m’y coincer les doigts à un moment et un pied ensuite… Ne manquerait plus que ça que je me blesse…

Heureusement, Pierre arrive rapidement. Il monte à bord tant bien que mal et pilote le bateau en suivant les instructions que je lui donne. Il faut qu’il fasse avancer le bateau à vitesse réduite en suivant la direction de la chaîne afin d’en diminuer la tension. Petit à petit, j’arrive à la remonter malgré les creux et les rafales de vent… Je sens enfin l’ancre qui se libère. Il ne reste plus qu’à tirer un bon coup sec pour faire monter l’ancre dans le davier(*)

Merde !! J’ai dû y aller avec un peu trop d’entrain et la houle aidant, la chaîne a sauté hors du davier et s’est coincée entre le bas de l’enrouleur(*) du génois et le davier lui-même… J’ai beau tirer dessus de toutes mes forces, rien n’y fait ! Il faut pourtant que j’y arrive si je veux ancrer ailleurs ! De plus, avec les creux que nous subissons dans le mouillage, la tête de l’ancre n’arrête pas de cogner sur la coque, d’y rebondir, pour mieux cogner une nouvelle fois dessus… Maudite chaîne ! Putain !!! C’est pas le moment de faire chier !!!

Je remplace Pierre à la barre qui tente sa chance pour débloquer la chaîne. Sans succès… Il me suggère d’utiliser un gros tournevis pour m’en servir de levier et il récupère la barre. Je fonce à l’intérieur, me saisit d’un outil de bonne taille et retourne à l’avant tout en me cramponnant où je peux. Après quelques essais infructueux, j’arrive à dégager la chaine du tunnel étroit dans lequel elle s’est fichée. Je termine de remonter l’ancre et la fixe solidement de manière à l’empêcher de taper la coque.

Nous faisons un grand tour dans le mouillage pour que j’arrive à décider où je peux m’installer. Ici, trop près des cailloux. Là, trop près d’autres bateaux, si je dérape… Là ! J’aperçois une grosse bouée rose et bleue dont l’enveloppe extérieure semble en mauvais état mais vu sa taille, dans mon esprit, ça signifie « gros corps mort ». Pierre fait la manoeuvre d’approche, je me saisis de la bouée et attache à son anneau deux amarres. Dans la foulée, je plonge avec un masque pour voir si je peux fixer une autre amarre directement sur la chaine qui doit la lier au corps mort. Il y a 10 mètres de fond, en apnée, je n’y arriverais pas mais je peux atteindre 5 à 7 mètres sans trop de souci. Je longe la corde à laquelle la bouée est attachée. Je sonde mais je ne vois aucune chaine, juste de la corde. L’eau est sombre, je ne peux pas voir le corps mort en lui même. Le bout en tout cas est très épais et à l’air en bon état. Je décide de lui faire confiance. Je remonte sur Nautigirl, finis d’ajuster la longueur de mes amarres et laisse Pierre s’éloigner dans son annexe.

Je suis heureuse d’avoir trouvé ce nouveau spot. J’ai bien un bateau pas très loin du mien qu’il va falloir que je surveille. Si le vent tourne dans une certaine direction, j’ai peur que le cul de Nautigirl frôle son avant mais bon, normalement, ça devrait bien se passer.

Je profite du reste de la journée pour rattraper un peu de sommeil perdu. Je vois les autres voiliers jouer aux montagnes russes un peu plus loin. Décidément, comparé à eux, c’est bien plus raisonnable ici la taille de la houle… Dans l’après-midi, je tente une escapade à terre pour faire mes formalités d’entrée. Mais je réalise que les accès à terre sont impraticables tellement la houle est forte ! Je fais donc demi-tour et remonte sur le bateau. Le calme relatif de mon mouillage me permet de m’octroyer le plaisir de me mettre un petit film sans craindre de faire tomber l’ordinateur de la table à la prochaine vague…

La nuit est tombée. Tout en regardant mon film, je jette parfois un coup d’œil dehors et je vois le nez de mon annexe être régulièrement propulsé en l’air par la houle. Si je laisse les choses ainsi, j’ai peur de retrouver l’annexe cul par dessus tête, moteur noyé. Je décide alors de l’attacher à couple(*) avec Nautigirl. J’attache un premier pare-battage(*) à la filière de manière à ce qu’il soit à la hauteur du boudin de l’annexe. Je fais mon noeud de cabestan habituel… enfin, je le crois. J’ai le second en main et je suis sur le point de l’attacher lorsque je réalise que le premier s’est fait la malle ?!? Je le vois passer au cul de Nautigirl, puis commencer à prendre la poudre d’escampette. « Ha, non !!! ». Je saisis le bout par lequel l’annexe est attaché à l’arrière du voilier, la rapproche, saute dedans, me casse la figure, me relève et m’étend tout de mon long sur le boudin pour atteindre le fuyard !!! Juste à temps !!! Et sans tomber dans l’eau !!! Je remonte dans le cockpit du bateau et je rattache le pare-battage en veillant à ce que le noeud tienne… Je n’ai aucune idée de ce que j’ai mal fait dans le précédent noeud… J’attache deux autres pare-battages puis rapproche l’annexe de manière à la mettre parallèle au bateau, les pare-battages comme remparts. Un bout à l’avant attaché à un chandelier(*) et un bout à l’arrière attaché au taquet(*). Mais ça ne suffit pas à stabiliser l’embarcation. J’ai alors l’idée d’attacher le moteur à mon portique(*) pour soulager un peu de poids sur l’arrière et éviter ces bonds intempestifs… Je teste… Mauvaise idée, je vais finir par arracher le moteur du tableau arrière et le noyer… Ou arracher tout simplement le tableau arrière… Pas le choix, il va falloir que je remonte le hors bord sur Nautigirl si je veux dormir sereinement…

Je donne un peu de mou au dinghy pour que l’arrière se rapproche de l’échelle de bain de Nautigirl au-dessus de laquelle pend le palan fait maison. J’accroche celui-ci à la tête du hors-bord et je saute dans l’annexe pour dévisser les attaches du moteur. Je remonte sur le voilier et commence à hisser le moteur. Bien évidemment, les mouvements du bateau ne rendent pas la tâche facile. Du coup, je hisse en une seule fois et à bout de bras le hors-bord pour l’accrocher d’un unique geste à sa chaise(*) qui l’attend sagement sur le balcon(*). Mais en le saisissant, je fais une fausse manœuvre et fait pivoter les mâchoires censées se fixer sur la chaise. Purée !!! c’est pas le moment ! Avec un équilibre précaire, j’ai peur de glisser dans l’eau et d’entrainer le moteur ou de me blesser dans la manoeuvre. J’arrive néanmoins à changer de position et à réaligner les mâchoires pour qu’elles s’encastrent sur la chaise. Vite, je visse les attaches pour le sécuriser… Un problème de réglé !!! Tant pis si l’annexe se retourne maintenant qu’elle traîne de nouveau derrière le bateau. Au moins, le moteur sera sain et sauf !

Je finis mon film. Les VHF fixe et portable sont toujours allumées. J’entends parfois quelques commentaires sur la météo sur le canal VHF 69 que je partage avec Pierre et d’autres navigateurs que je ne connais pas. Il paraît que MARIA est passée catégorie 4 à 18h et que son centre toucherait plutôt la zone Guadeloupe/Saintes… Moi qui en était restée à catégorie 1 ou 2 sur la Martinique, ça a bien évolué… J’entends d’ailleurs des plaintes sur les ancres qui ne tiennent pas, sur la houle énorme que nous subissons tous. Certains comptent d’ores et déjà ne pas fermer l’œil de la nuit… Je n’arrive pas à capter le Wifi de la Marina et je ne suis pas la seule dans le cas. Et hors de question d’utiliser ma 3G, à 18 EUR le méga-octet à l’étranger, je vais faire exploser le compteur… Du coup, je tends l’oreille à chaque information utilise. D’ailleurs, quelqu’un qui a réussi à chopper du Wifi nous fait généreusement part sur la VHF du dernier point météo dont il a pris connaissance.

Je me couche ultra tôt… J’entrouvre un œil vers minuit et plus par hasard que par acquis de conscience, je jette un coup d’œil dehors. Et là, à ma grande surprise, je vois que Nautigirl et le petit bateau que j’avais repéré bien plus tôt sont presque à couple… Encore un mètre et je pourrais quasiment grimper dessus !!! J’essaie de réfléchir rapidement tout en mettant des pare-battages par sécurité sur le bord côté collision… Le vent a tourné ? Oui mais c’est pas ça… Son ancre s’est décroché et le bateau a glissé ? Impossible vu la position initiale des deux bateaux. Seule conclusion possible : Nautigirl est trop lourde pour le corps mort actuel et vues les conditions actuelles de houle et de vent, ça a tiré tellement fort sur la bouée que c’est moi qui est glissé sur mon voisin !!!
Je bondis à l’intérieur pour démarrer le moteur. Je choppe au passage un gros projecteur et je fonce à l’avant pour me libérer de la bouée. Les amarres me résistent. Je tire comme une folle sur elles pour qu’elles coulissent dans l’anneau de la bouée et que je puisse les récupérer. Sitôt que c’est fait, je fonce à l’arrière prendre la barre et je jette les amarres en vrac dans le cockpit. Merde !!! J’ai oublié que j’avais attaché la barre avec une corde pour éviter qu’elle bouge avec la houle. Dans le stress du moment, je perds encore quelques précieuses secondes à défaire le noeud. Enfin, je peux lancer la marche avant et m’éloigner du voisin avant même de l’effleurer ! Oufff ! Je vérifie que mon annexe me suit bien attachée à l’arrière de Nautigirl.

Résumé de la situation… Il est minuit, c’est la nuit du lundi 18 au mardi 19 septembre, au moment où le cyclone est censé passer sur les îles un peu plus au nord, donc houle maximale et bonnes rafales de vent entre 30 et 35 nœuds… Il fait nuit noire. Je n’y vois pas grand chose. Et il faut que je trouve d’urgence un autre endroit où mouiller ou une autre bouée… J’ai le projecteur au bout d’une main, la barre dans l’autre, je gère la puissance du moteur avec le pied sur la manette et j’essaie de garder mon équilibre avec des creux importants… J’ai des bateaux tout autour de moi, certains avec leur feux de mouillage et d’autre non…Bref, je suis dans la merde !!!

Je tente un appel à l’aide en français sur la VHF canal 16. Si quelqu’un est dans le coin et peut venir m’aider, j’apprécierai car j’ai du mal à tout gérer toute seule !!! Pas une seule réponse… Soit ils dorment, soit ils ont eux même leur propre bateau à gérer et mettre une annexe à l’eau dans ces conditions là, ça paraît relever d’un numéro de cirque, soit ils ont éteint leur VHF… M’enfin… le résultat est le même : il va falloir que je me débrouille toute seule…

Je commence mon petit tour d’inspection du mouillage. Je balaye la zone avec le projecteur à la recherche d’un endroit protégé. Je cherche un espace assez grand pour tenter de m’ancrer sans craindre que le vent ou la houle me pousse vers un autre bateau. J’en repère un avec une profondeur réduite… Je me place face au vent, réduit la puissance du moteur au maximum et file à l’avant en abandonnant la barre. Je jette presque le projecteur sur le pont en faisant attention à ce qu’il ne passe pas par dessus bord pour m’occuper de l’ancre. Vite je la balance à l’eau et laisse glisser 20 mètres de chaîne. Je fais le tour du taquet pour la sécuriser un moment le temps de la voir se tendre. Et puis je rebalance 10 mètres de plus. Je reprends le projecteur et file à l’arrière. Je mets le moteur en marche arrière pour tenter de planter l’ancre définitivement. Malheur ! Le bateau ne cesse de reculer. Elle n’a rien accroché du tout l’ancre !! Je vois le catamaran derrière moi se rapprocher. J’ai peur de le heurter si je me rapproche encore… Je ne réfléchis pas et décide de remonter l’ancre avant qu’il ne soit trop tard. Le pilote automatique maintient la barre à peu près droite. Moteur en puissance réduire en marche avant. Et retour à l’avant. Je remonte péniblement l’ancre. J’ai les bras en feu mais le stress m’aide à lutter contre les éléments. Coûte que coûte, il faut que je la remonte cette satanée ancre ! 20m… encore 10m… là il faut aller vite car le bateau est poussé par le vent et la houle vers mon voisin de derrière. Enfin je vois la tête de l’ancre sortir de l’eau que je laisse pendre au ras de l’eau pour gagner un peu de temps au prochain essai. Je bondis à l’arrière. Marche avant toute ! Un regard en arrière pour vérifier que mon annexe ne s’est pas faite la malle… Et je m’éloigne…

J’entends l’ancre taper sur la coque à l’avant. Merde ! J’espère que ça ne va pas percer la coque ! Mauvaise idée… Mais c’est trop tard… Je suis au milieu des bateaux, c’est pas le moment de lâcher la barre… J’y vois pas grand chose en plus…

Finalement, une bouée, c’est peut être plus sécurisant. J’en repère une avec des autocollants fluo. Un peu étrange cette bouée… Je tente de m’approcher une première fois. Ma lampe l’éclaire. Je vois une sorte d’énorme masse de cordes formant une sorte de boule informe juste à côté de la bouée mais pas de boucle à saisir pour pouvoir passer une amarre. Je refais un tour à côté… Je tente à l’aveugle de la saisir par en dessous avec ma gaffe…. Gaffe de merde !!! C’est une gaffe télescopique dont je pensais avoir bloqué le manche à une longueur déterminée… mais sous la pression du bateau et de la bouée tirant dans deux directions opposées, elle s’allonge sans m’autoriser à saisir quoi que ce soit… Je la balance sur le pont et file de nouveau à la barre… Nouveau tour et nouvel essai… J’essaie de me rapprocher le plus près possible de la bouée mais je reste sous son vent… En théorie, ce n’est pas la chose à faire mais j’ai peur en passer au vent de la bouée d’être poussée dessus et que quelque chose passe dans mon hélice et s’y coince ou que la bouée passe entre Nautigirl et mon annexe et ne brise le lien qui les réunit…

Et là… Catastrophe ! Je crois que si j’avais voulu le faire, je n’aurais pas réussi volontairement… La pointe de mon ancre est passée sous la bouée et l’a accrochée ! Je vois la bouée faire des tours sur elle-même entraînant mon ancre dans le même mouvement… Un instant, je me dis que cela va peut être m’aider à saisir la bouée mais je ne vois rien dont je pourrais me saisir… Aucune boucle, aucune accroche possible sur et autour de la bouée… Ou il faudrait que je me jette à l’eau avec masque et lampe étanche pour chopper ce à quoi je pourrais accrocher une amarre. Or, je suis seule à bord… Et si jamais je saute à l’eau et que l’ancre se décroche, ça va être une partie de bowling dans le mouillage et je risque un bon score… Je panique un instant. Je suis fatiguée… Stressée… J’ai juste envie de pouvoir me reposer. Dire « pouce » pour avoir un moment de calme… Un instant je me dis que si ça se trouve ça va tenir comme ça toute la nuit. J’aimerai… Mais à voir la bouée danser sur elle-même comme une toupie, j’y crois peu… Je décide de relâcher un peu de chaîne espérant ainsi qu’en atténuant la tension, ça permettra à l’ancre de glisser sous la bouée. Miracle ! On vient de se détacher !!! J’en profite pour bloquer l’ancre correctement dans le davier pour éviter une nouvelle mésaventure de cet ordre.

Et je recommence à tourner dans la baie… Un grand tour pour tenter de repérer un bon spot… Je commence à désespérer… Si je pouvais au moins voir clairement ce qu’il se passe ! Un instant la scène s’éclaire. Un éclair… Mais je tournais la tête du mauvais côté à ce moment là. J’espère qu’un autre suivra. Et c’est le cas. Et encore un autre… Mais je n’ai pas le temps d’observer la position des bateaux les uns par rapport aux autres dans la fraction de seconde durant laquelle la lumière apparaît. La pluie s’installe maintenant. Cool… Ne manquait plus que ça… Heureusement, elle est intense mais courte…

Je continue à inspecter le mouillage… Je trace des ronds dans l’eau, le regard fixé sur le sondeur. Normalement, je ne mouille jamais dans plus de 5 ou 6 mètres d’eau, c’est trop de force à déployer lorsqu’on veut remonter le mouillage sinon… Hé bien, pas le choix aujourd’hui, je ne vais pas jouer la difficile…

Je repère un endroit pas loin de bateaux de plongée attachés à des bouées. Les chanceux !!! Dans les parages, il y a 10 mètres d’eau. Acceptable va t-on dire… Et pas trop de voisins. Je fais filer mon ancre… 10m, 20m, 30m… Marche arrière… Merde… je suis en plein dans le chenal emprunté par les ferrys qui font les trajets inter-îles. Je ne peux pas rester là. J’ai pas envie de le faire mais je remonte mon ancre. J’ai mal aux bras… Je n’en peux plus… Mais je veux pouvoir dormir un peu sereine… Je relance le moteur pour faire un nouveau tour… Je vise à nouveau le même spot mais en faisant attention à balancer mon ancre un petit peu plus tôt. Je lâche 40 mètres pour être sûre… Merde ! De nouveau je suis trop dans le passage des ferries. Je regarde ma montre. Il est 2 heures du matin. Je n’en peux plus…. Tant pis… Je décide de laisser Nautigirl où elle est. La VHF est sur le canal 16. Mon AIS(*) est allumée. Si je gêne le passage, ils pourront m’appeler. Et de toute manière, cela m’étonnerait qu’ils commencent à bouger avant que le jour se lève.

Par précaution, je décide de dormir à la belle étoile dans le cockpit(*). C’est une sorte de semi-sommeil car à chaque bruit suspect, j’ouvre l’œil et je vérifie sur l’Ipad que je n’ai pas bougé. Pour se faire, j’ai laissé mon logiciel de navigation ouvert avec la trace de ma route dans le mouillage. Depuis que j’ai ancré, je vois une sorte de gribouillis digne d’un enfant de 5 ans se dessiner autour de mon point d’ancrage… Tant que je ne vois pas une ligne droite partir de cet amas jaune, c’est que je tourne autour de l’ancre, sinon c’est qu’elle chasse…

A 5h30, je me lève et décide, à regret, de quitter ce mouillage. Il a tenu, c’est signe que l’ancre avait accroché cette fois ci ! Mais je ne peux pas gêner le passage des ferrys dont les rotations ne devraient pas tarder à reprendre. Moteur allumé, en marche avant, pilote automatique branché, je reprends ma place à l’avant pour mon premier exercice physique de la journée. Je remonte mon mouillage avec toute l’énergie disponible. Je fais attention à ne pas me coincer un doigt dans le taquet à chaque fois que j’y maintiens un instant la chaîne pour me reposer. C’est dur après la sale nuit que j’ai passé. Mais j’y arrive enfin…

Nouveau tour dans la baie. Un grand tour encore… C’est impressionnant cette houle qui présente de grandes barres parfois. On dirait presque un spot de longboard ! Je veille à ne pas prendre les vagues de côté pour ne pas giter trop fort. Décidément, pas beaucoup de protection, nulle part. Je vois les mâts des bateaux, petits ou grands, jouer les métronomes mal accordés… Je décide de retourner non loin du corps mort de la veille, celui qui s’est déplacé à cause du poids de mon bateau… C’était là où la houle se faisait moins ressentir finalement.

Je repère un endroit, non loin du chenal encore une fois. Juste à côté d’une énorme bouée rouge, plutôt style « barrique » que bouée classique. Elle est faite pour de très gros bateaux. Je regarde le sondeur(*) : 4,5 mètres de profondeur, c’est parfait. De nouveau, j’ancre… 30 mètres, cette fois-ci. Petite marche arrière. Parfait, ça n’a pas l’air de bouger… Je file à l’intérieur me reposer.

10 minutes après, j’entrouvre un œil car j’entends un bruit de chaîne qui me semble anormal. C’est presque devenu un réflexe. Je regarde l’Ipad. Bordel ! C’est quoi ce truc !!! Je vois un long trait jaune dessiné sur l’écran. Je fonce dehors. Effectivement, j’ai dérapé… Alors que la bouée rouge qui me servait de repère était derrière moi tout à l’heure, je la vois plusieurs mètres devant le bateau maintenant… Et ce n’est pas le vent qui a tourné…

Désespérée, j’appelle Pierre à l’aide à la VHF. A cette heure là, il devrait l’avoir rallumé. C’est le cas. Il me répond. Je lui adresse quelques mots rapides : « Aide-moi STP, j’ai changé 3 fois de mouillage, ça tient pas… J’en peux plus… ».

Re-belotte… Moteur en route, marche avant légère, remonter l’ancre puis marche avant toute… Je m’éloigne de l’autre côté du chenal vers le bateau de Pierre que je vois arriver peu de temps après en dinghy. Il a eu du mal à le mettre à l’eau avec la houle… Mais il est là pour m’aider. Il monte à bord et nous laissons son annexe traîner derrière Nautigirl, côte à côte avec la mienne. Lui est en meilleure forme que moi : il repère une bouée non loin de l’endroit où j’ai mouillé durant la nuit. Elle a l’air solide. Nous nous approchons et je m’y amarre après avoir pris soin de ranger mon ancre dans la baille(*) à mouillage. Je suis rassurée : je vais pouvoir dormir sereinement j’espère malgré la houle…

Pierre veut rapidement rejoindre son bord car il y a laissé son fils et sa copine qui ne sont pas navigateurs. Si jamais son mouillage pète, il est seul à pouvoir réagir. Je suis encore en train d’ajuster la longueur de mes amarres quand j’entends un gros PLOUF !!! Mal réveillé et les vagues aidant, il a glissé entre mon échelle et son annexe et vient de prendre un bain matinal. Heureusement, ni téléphone, ni clé perdus dans la bataille. Il le prend avec philosophie. Il remonte dans son annexe et s’éloigne tranquillement.

Moi, je pars me coucher. Enfin… il est 8 heures…. Nous sommes mardi 19 septembre 2017. MARIA est passée dans la nuit non loin de la Martinique mais je n’en sais pas plus en l’absence de réseau internet.

J’apprendrais plus tard qu’effectivement l’ouragan MARIA était passé en catégorie 4 durant la soirée du 18 septembre selon le bulletin de 21 heures UTC(*) du NHC(*), soit 17 heures locales. Ses vents atteignaient alors 215 km/h et son œil était à 75 km à l’est de la Dominique (l’île au nord de la Martinique et au Sud de la Guadeloupe). Sa course a été ralentie lors de son passage sur cette île. L’ouragan s’est ensuite intensifié et il a été réévalué en catégorie 5 avant de frapper le sud-ouest de la Basse-Terre en Guadeloupe vers 2h du matin le 19 septembre. Il a ensuite continué sa route vers le Nord-Ouest touchant de plein fouet Porto-Rico… La Martinique l’a échappé belle… Quelques dommages bien évidemment mais rien de bien méchant en comparaison de la dévastation qu’ont connu certaines îles comme la Dominique ou Porto-Rico… On a eu de la chance, beaucoup de chance… Et moi, j’ai fait le bon choix en décidant de prendre un peu de distance par rapport à MARIA par contre, je ne suis pas sûre d’avoir sélectionné la meilleure option quant au mouillage vu l’orientation de la houle attendue. C’est le métier qui rentre…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

AIS (Automatic Identification System) : système d’identification automatique et d’anti-collision qui va envoyer des informations sur la position, le cap et la vitesse d’un bateau équipé de l’appareil.

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Arpège : modèle mathématique de prévision de Météo France.

Baille à mouillage : soute à l’avant du bateau dans laquelle on range la chaîne et parfois l’ancre elle-même.

Barbuda (se dit aussi « Barbude » en français, à ne pas confondre avec « La Barbade ») : île du Nord des Petites Antilles faisant partie du pays Antigua-et-Barbuda. Barbuda se situe au nord de l’île d’Antigua. La population est d’environ 1.600 habitants.

Balcon : structure métallique à l’avant (et parfois à l’arrière) du bateau.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Canal : portion de mer entre deux îles.

Chaise (de moteur) : support sur lequel se fixe l’étrier (l’espèce de mâchoire) d’un moteur hors-bord. Il peut être en bois ou en plastique et permet d’entreposer le moteur verticalement, souvent au niveau du balcon arrière d’un voilier.

Chandelier : rien à voir avec une bougie même si ça peut vaguement y ressembler. Ce sont les barres métalliques verticales fixées tout autour du pont et dans lesquelles passent les filières.

Cockpit : emplacement situé à l’arrière d’un bateau de plaisance, où se tient le barreur.

Couple (à) : mettre à couple deux bateaux, cela veut dire les mettre côte à côte.

Corps-mort : objet pesant, comme une dalle de béton par exemple, posé au fond de l’eau et qui est relié par un filin ou une chaîne à une bouée, afin que les bateaux puissent s’y amarrer.

Davier : pièce métallique fixée à l’étrave (l’avant du bateau) et équipée d’un réa (partie mobile qui tourne sur elle-même comme l’intérieur d’une poulie) afin de guider la chaîne du mouillage. L’ancre elle-même vient s’y encastrer une fois remontée.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

ECMWF (European Centre for Medium-Range Weather Forecasts) : modèle mathématique de prévision météorologique européen.

Enrouleur : dispositif permettant d’enrouler une voile, soit pour en réduire la surface afin de l’adapter à la force du vent, soit pour la ranger complètement enroulée. L’enrouleur de génois ressemble à un long tube allant du pont quasiment au sommet de mat avec une sorte de bobine de corde à sa base (c’est cette corde qui permet d’enrouler ou de dérouler la voile).

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

GFS (Global Forecast System) : Modèle mathématique de prévision météorologique américain.

Giter : action de s’incliner sur un bord lorsqu’on parle d’un bateau.

Irma : L’ouragan Irma s’est développé du 29 août au 12 septembre 2017. Il est le dixième système tropical de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord et le deuxième ouragan majeur, catégorie 5, sur l’échelle de Saffir-Simpson, après l’ouragan Harvey, catégorie 4, survenu une semaine auparavant. Il est un des ouragans les plus puissants enregistré dans l’Atlantique nord depuis Hugo en 1989 et par la vitesse de ses vents soutenus (295 km/h) depuis Allen en 1980. Il est aussi le premier ouragan à rester classé en catégorie 5 pendant une aussi longue période continue. Il a causé des dégâts catastrophiques dans les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla et les Iles Vierges, a éprouvé sévèrement la côte nord de Cuba et a obligé la Floride à mettre en place une évacuation de plus de six millions d’habitants.

José : L’ouragan Jose est le onzième système tropical et le troisième ouragan majeur de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord. Formé dans la traîné de l’ouragan Irma, à partir d’une onde tropicale sortie de la côte africaine, il s’est intensifié rapidement en arrivant près des Petites Antilles. Menaçant de se propager le long de la même trajectoire que son prédécesseur, Jose a soudainement viré vers le nord et a erré plusieurs jours entre les Bahamas et les Bermudes avant de remonter lentement vers le nord en faisant une courbe entre la côte est des États-Unis et les Bermudes.

Mangrove : écosystème de marais maritime.

NHC (National Hurricane Center) : service américain de suivi de la formation et de l’évolution des ouragans.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Portique : structure en inox à l’arrière du voilier permettant de supporter des panneaux solaires par exemple.

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Sondeur : appareil servant à mesure la profondeur. de l’eau sous le bateau.

Taquet : pièce fixée au navire pour y amarrer les aussières (dites également amarres).

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

UTC (Universal Time Coordinated) : « Temps Universel Coordonné » en français. C’est l’heure de référence internationale.

 

Art. 10a – Maria (première partie)

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Au départ, elle n’avait pas de nom… IRMA(*) et JOSE(*) à sa suite venaient de passer au nord de l’arc antillais. J’avais encore cette boule au ventre que j’ai conservé pendant une semaine à voir les dégâts provoqués par la première, un cyclone majeur classé catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson qui ne compte que 5 graduations quand celui-ci aurait mérité de se voir affecter une catégorie supérieure d’après les dires de certains. Encore que… passé le stade 5, de toute manière, le résultat est le même : une dévastation totale des zones traversées par ce phénomène… Alors que les vents fassent 250 km/heure (seuil bas du classement en catégorie 5) ou 360 km/heure (rafales mesurées à St-Martin(*)), ça ne fait plus réellement de différence…

En Martinique, nous venions d’être avertis de l’apparition de deux nouvelles perturbations sorties d’Afrique. « Perturbations », c’est le nom qu’on donne à ces phénomènes météorologiques qui entraînent une dégradation du temps pouvant engendrer du très mauvais temps. Rapidement, l’une d’elle s’est transformée en tempête tropicale et s’est vue affecter un nom et des trajectoires possibles ont été calculées par les différents modèles existants (GFS(*), ECMWF(*) et Arpège(*)). Aucun danger pour l’arc antillais. L’autre, par contre, continuait à avancer vers nous sans se « transformer » et semblait viser la Martinique. Tous, anxieux, nous avons suivi tous les jours la mise à jour des informations la concernant. Trois jours avant de toucher l’arc antillais, aucun modèle n’était encore en accord avec l’autre. La « perturbation » semblait ne pas vouloir afficher clairement ses intentions…

Je m’étais déjà faite une petite frayeur avec le passage de l’ouragan IRMA pour lequel tous les modèles prévoyaient une trajectoire d’abord en ligne droite sur la Martinique avec un infléchissement marqué plus au nord quelques jours seulement avant qu’elle ne touche les îles des Caraïbes. Jusqu’à ce que je vois cet infléchissement prévu se refléter sur les images satellites, j’avais eu le temps de me dire que si j’avais choisi la mauvaise option – celle de rester dans la Marina du Marin en Martinique – au lieu de me déplacer plus au sud, il était maintenant trop tard pour faire quoi que ce soit. Houle trop forte, rafales de vent, je n’aurais plus eu qu’à accepter les conséquences de mon choix… Heureusement, tout s’était bien passé pour nous en Martinique au contraire des îles plus au nord comme celles notamment de Saint-Martin(*) ou de Barbuda(*). Et à la vue des monstrueux dégâts engendrés par le monstre IRMA, je me suis dis que jamais plus, si je pouvais l’éviter, je ne resterai dans une zone menacée. C’est ainsi qu’à peine une semaine après le passage d’IRMA et de JOSE, j’étais, de nouveau, à suivre fébrilement l’évolution d’un nouveau phénomène potentiellement cyclonique…

J-4… Chacun à la Marina y va de son pronostic : « Elle va monter au Nord, t’inquiète pas », « Va à la marina de Ste Lucie(*), ça suffit » (c’est l’île au sud de la Martinique à environ 20 milles nautiques), « Ne bouge pas de ton corps mort(*) au Marin, il est solide », « Met ton bateau dans la mangrove(*) » (l’attacher aux palétuviers qui bordent les « trous à cyclone »(*) du Marin)… Certains de mes amis toutefois se préparent à bouger plus au sud avec leur bateau. Le mien est prêt. Il ne me reste qu’à me décider.

J-3… Nous sommes samedi 16 septembre 2017. J’ai deux amis qui déplacent leur bateau. Pierre a décidé de partir mettre son catamaran à l’abri à Bequia(*) à environ 100 milles d’ici. Jean-Phi, lui, part également au sud. Son voilier est à l’heure actuelle dans la baie de Saint-Anne à la sortie du Marin. Son moteur ne fonctionne pas et il sait que son mouillage risque de ne pas résister à la forte houle attendue… Il est 10h du matin et j’hésite encore. J’y vais, j’y vais pas ? J’y vais ? Allez, je fonce ! Après tout, ça me fera naviguer, ce n’est pas plus mal.

Pierre et son équipage prévoient de s’arrêter à l’« Anse Cochon » sur l’île de Ste Lucie le samedi soir et de rejoindre Bequia le dimanche. Pourquoi ne pas suivre leur trajet et faire la même étape ? Je ne connais pas cette anse, ce sera l’occasion. J’appelle Jean-Phi pour connaître son plan. J’apprends à l’occasion qu’il est à terre à la marina du Marin, pas loin de moi, et qu’il cherche le moyen de rejoindre son bateau. Ni une, ni deux, je lui propose de le déposer. Il me rejoint et m’aide à finir de préparer le bateau. Et hop, on remonte le moteur de l’annexe, puis l’annexe elle-même qui est dégonflée et stockée devant le mat, sanglée comme il le faut. Ça va quand même nettement plus vite à deux ! Je vérifie les niveaux et allume le moteur. Ça y est, c’est parti !!! Il est 13h30.

Premier arrêt, le bateau de Jean-phi à St Anne. Mon voilier est un nain à côté de celui-ci qui est deux fois plus grand ! Le vent qui souffle en rafales fait tourner son acier. Il me faut deux essais pour réussir à rapprocher suffisamment mon voilier du sien et lui permettre d’enjamber les filières pour monter à bord sans se mouiller. Me voici seule à mon bord.

Prochaine étape : Sainte-Lucie ! Je hisse rapidement la grand-voile et déploie mon génois(*). La traversée du canal(*) se déroule sans accroc. Je réalise toutefois en m’approchant de l’île que je suis partie un peu trop tard. Je vais arriver à l’Anse Cochon bien après la nuit et ça m’ennuie car je ne connais pas les lieux. En plus, la cartographie indique qu’il y a une épave à l’entrée. C’est chaud quand même d’y entrer sans avoir repérer les lieux avant. Et, en plus, il n’y a pas de lune aujourd’hui. Les conditions ne sont pas au top quand même…

Je réfléchis un instant à m’arrêter à la première baie facilement accessible à Ste Lucie, Marigot Bay que je connais bien, bien avant l’Anse Cochon, mais la distance que je n’aurais pas parcourue ce soir, c’est autant à parcourir demain et la route est encore longue. MARIA – la perturbation a enfin un nom car elle s’est transformée en tempête tropicale – arrive lundi soir sur l’arc et je ne peux pas me permettre de traîner en route. D’autant plus qu’il s’agirait alors d’un cyclone de catégorie 1 voire 2…

Je dépasse donc Marigot Bay. La nuit tombe. Je passe à distance de l’Anse Cochon vers 21h. Je tente un timide appel VHF à destination de Pierre qui devrait déjà y être depuis longtemps. Pas de réponse. Mon téléphone, quant à lui, ne capte aucun réseau… Je me sens un peu esseulée subitement, toute seule là dans le noir… Jean-Phi est censé n’être pas très loin derrière moi – il m’a envoyé un SMS me disant qu’il était parti environ 1 heure après que je l’ai déposé – mais je n’arrive pas non plus à le contacter. Et j’ai beau tenter de repérer ses feux de route au loin, je ne vois rien…

Je m’interroge… Un marin averti n’hésiterait pas et continuerait à naviguer de nuit. Moi, je n’ai encore jamais enchaîné 24h de navigation non stop. Ma plus longue traversée en solo, c’est 17 heures jusqu’à présent. J’étais partie très tôt le matin, avant la levée du jour et j’étais arrivée à la nuit tombée. Mais je n’ai encore jamais navigué seule une nuit complète… En équipage, ça passe… Mais seule, c’est une idée qui m’angoisse un peu, j’avoue. La nuit, tout me semble plus menaçant. Privée d’une vision parfaite, mon imagination s’emballe. Un peu comme les gosses qui ont peur du monstre caché sous leur lit. J’avoue me sentir un peu démunie là toute seule dans le noir. Pas un bateau « ami » visible à l’horizon… Malgré l’absence de lune, je vois toutefois un ciel dégagé, décoré d’étoiles. Je décide de me lancer. Après tout, pourquoi ça se passerait mal ?

Je continue donc ma route. Le vent diminue. Tant mieux car j’aimerais traverser le canal séparant Ste Lucie de St Vincent de jour si possible et une réduction de mon allure va dans le bon sens sinon je vais entamer le canal dans l’obscurité la plus complète. Il semble que ma prière ait été entendue… un peu trop d’ailleurs… Plus de vent ou à peine… Les voiles claquent… Mais un petit courant favorable me permet tout de même de faire du 1 noeud, 1,5 noeud…

Je fais des micro-siestes de 5 ou 10 minutes. Dès que j’ouvre les yeux, je vérifie ma position car je ne suis pas si loin de la côte, je reste à l’affût de potentiels obstacles ou de bateaux que je pourrais croiser sur ma route. Je ferme à nouveau les yeux quand j’entends un gros souffle non loin de moi, une sorte de forte expiration qui me fait sursauter. Il fait trop sombre pour voir quoi que ce soit. Je brandis une lampe sur les eaux noires, sans succès. Encore un souffle, sur l’autre bord cette fois, ci. Je devine sans les voir que ce sont des dauphins qui doivent chasser tout près. Ce petit manège dure 2 ou 3 minutes et ensuite, c’est de nouveau le seul bruit des voiles et du bateau qui avance doucement sur l’eau.

A 2 heures du matin, je craque et je mets le moteur pour atteindre une vitesse d’environ 4 noeuds. J’atteins le canal de St Vincent et là, surprise, toujours pas de vent… Sous le vent de l’île, ça ne me paraît pas étonnant mais dans le canal ?!!! Étonnée, je traverse ainsi au moteur ce canal réputé pour être habituellement plus coriace que celui de Ste Lucie…

La levée du jour est magnifique à voir. Je longe maintenant l’île de St Vincent. Le vent est monté un peu pour retomber plus loin. J’essaie de jouer avec les voiles mais le vent est réellement capricieux. De nouveau, j’utilise le moteur pour traverser le canal entre St Vincent et Bequia. Et c’est seulement à 1 ou 2 milles de l’arrivée que le vent se remet à souffler. Trop tard, j’ai déjà rangé ma grand-voile et roulé le génois… Ce sera moteur jusqu’à la fin.

J’entre enfin dans la baie qui m’offrira sa protection pour le passage du cyclone MARIA. Elle est très ouverte et donc, forcément, on ne pourra pas échapper à la houle d’ouest qui est attendu. Pas vraiment idéale l’orientation de cette baie. Je tente de trouver un coin « confortable ». J’analyse tant bien que mal la situation et je décide de me rapprocher du bord pour pouvoir mouiller l’ancre dans 5 mètres maximum (ce sera 25 à 30 mètres de chaîne à remonter à la main déjà… si je vais dans du plus profond, c’est encore plus de chaine à lâcher) et je choisis l’extrémité de la baie la plus éloignée du mouillage principal et des pontons. J’espère être légèrement protégée par le relief de l’île et avoir fait le bon choix. Il est 13h00. Je pose l’ancre et je me glisse dans ma couchette pour faire une longue sieste.

A 17h00, je suis réveillée par des coups frappés sur ma coque. C’est Pierre qui est arrivé entre-temps sur le mouillage. Il a eu le temps de faire une bonne nuit lors de son étape et il est ancré à une centaine de mètres de là, pas loin d’un de ses amis également en catamaran. Il passait juste me faire un coucou et repart rapidement.

J’ai quelques nouvelles de Jean-Phi, il est loin derrière sans moteur pour soutenir son allure. Il prévoit d’arriver au milieu de la nuit. Avant que la nuit tombe, je décide de gonfler mon annexe et de la mettre à l’eau au cas où il aurait besoin d’un coup de main à son arrivée. Poser le moteur dessus n’est pas une mince affaire, ça commence déjà à rouler là où je suis. Je peste, je râle, j’utilise les pieds et les mains pour descendre le moteur à l’aide de mon palan fait maison. Le dinghy(*) saute, bouge, se coince sous le cul de Nautigirl, et moi j’essaie de viser le tableau arrière avec les mâchoires étroites du moteur hors bord qui pèse quand même dans les 30 kilos. Pas facile toute seule ! Mais je finis par remporter la bataille sans rien casser ! J’amarre l’annexe à l’arrière de Nautigirl. Je me fais un peu de souci car je la vois bondir quand même pas mal. J’espère qu’une vague ne viendra pas la renverser. De toute manière, il est trop tard pour y changer quoi que ce soit. J’ai déjà eu du mal à mettre en place l’ensemble, tout désassembler, ça va être la misère toute seule. Et la nuit tombe… On verra bien…

Décidément, ce mouillage est bien pourri… On subit quelques bonnes rafales durant la nuit qui me font sortir d’urgence de la couchette dans laquelle je dors toute habillée pour être prête au cas où, frontale sur le front… Je vérifie que l’ancre tient toujours et que le rivage est toujours à distance. Je ne suis pas rassurée par le bruit de quelques vagues que j’entends déferler… Pas bon, pas bon ! Qu’est ce qu’on voit mal même avec une lampe quand il n’y a pas de lune ! Si ça monte encore, ça va rapidement craindre là où je suis. J’ai du mal à conserver mon équilibre. Je vois que plusieurs de mes voisins sont soucieux eux-aussi, les lumières qui balayent leur pont et l’eau environnante en témoignent.

A 2 heures du matin, Jean-Phi m’envoie un SMS. Il est sous grain, non loin de Bequia et il préfère continuer sa route. La mer lui paraît un meilleur abri qu’un mouillage mal orienté. Et je le comprends, maintenant que je suis dedans… Jamais je n’avais connu de mouillage si agité. Ma seule expérience, c’était le passage d’IRMA bien plus au Nord quand j’étais au corps mort dans la marina du Marin. Je trouvais déjà que Nautigirl jouait au « poney », mais là ce n’est plus du saut d’obstacles, ce sont les montagnes russes !!!

Et la pluie se met de la partie… J’arrive tout de même à dormir un peu entre deux escalades (c’est le bon terme !) sur le dinghy pour le vider entre deux bonnes averses. C’est fou ce qu’un grain peut libérer comme litres d’eau ! Quelques minutes de pluie intense et c’est 10 ou 20 litres d’eau au fond de l’annexe…

Au petit matin, j’escalade une nouvelle fois le dinghy et je m’invite à bord du catamaran de Pierre qui m’offre gentiment le thé. J’apprécie ce petit moment plus au calme. J’ai beau préférer les monocoques, j’avoue qu’un catamaran, c’est pas mal non plus… Là au moins, je peux poser ma tasse sans craindre qu’elle se renverse dans la seconde. Nous nous mettons d’accord pour aller à terre ensemble un peu plus tard pour faire les formalités d’entrée et ensuite, nous déplacerons ensemble mon bateau pour trouver un endroit plus protégé de la houle. Cool !

Je retourne rapidement à mon voilier pour prendre deux ou trois affaires mais ce que je vois me fait changer d’avis. La houle semble encore plus forte là où je suis… ou c’est le fait de sortir d’un catamaran ultra stable qui me donne cette impression… La houle surprend Nautigirl de travers parfois et je la vois giter(*) très très fortement… C’est sûr, la houle a bien forci ! J’ai peur de tomber de l’annexe avant de réussir à monter à bord ou de voir la coque de Nautigirl lui tomber dessus à cause des ruades que je lui vois faire ! J’ai énormément de mal à monter à bord et une fois que c’est fait, j’attache l’annexe à l’arrière, je démarre le moteur et j’appelle Pierre à l’aide.

A SUIVRE…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

AIS (Automatic Identification System) : système d’identification automatique et d’anti-collision qui va envoyer des informations sur la position, le cap et la vitesse d’un bateau équipé de l’appareil.

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Arpège : modèle mathématique de prévision de Météo France.

Baille à mouillage : soute à l’avant du bateau dans laquelle on range la chaîne et parfois l’ancre elle-même.

Barbuda (se dit aussi « Barbude » en français, à ne pas confondre avec « La Barbade ») : île du Nord des Petites Antilles faisant partie du pays Antigua-et-Barbuda. Barbuda se situe au nord de l’île d’Antigua. La population est d’environ 1.600 habitants.

Balcon : structure métallique à l’avant (et parfois à l’arrière) du bateau.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Canal : portion de mer entre deux îles.

Chaise (de moteur) : support sur lequel se fixe l’étrier (l’espèce de mâchoire) d’un moteur hors-bord. Il peut être en bois ou en plastique et permet d’entreposer le moteur verticalement, souvent au niveau du balcon arrière d’un voilier.

Chandelier : rien à voir avec une bougie même si ça peut vaguement y ressembler. Ce sont les barres métalliques verticales fixées tout autour du pont et dans lesquelles passent les filières.

Cockpit : emplacement situé à l’arrière d’un bateau de plaisance, où se tient le barreur.

Couple (à) : mettre à couple deux bateaux, cela veut dire les mettre côte à côte.

Corps-mort : objet pesant, comme une dalle de béton par exemple, posé au fond de l’eau et qui est relié par un filin ou une chaîne à une bouée, afin que les bateaux puissent s’y amarrer.

Davier : pièce métallique fixée à l’étrave (l’avant du bateau) et équipée d’un réa (partie mobile qui tourne sur elle-même comme l’intérieur d’une poulie) afin de guider la chaîne du mouillage. L’ancre elle-même vient s’y encastrer une fois remontée.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

ECMWF (European Centre for Medium-Range Weather Forecasts) : modèle mathématique de prévision météorologique européen.

Enrouleur : dispositif permettant d’enrouler une voile, soit pour en réduire la surface afin de l’adapter à la force du vent, soit pour la ranger complètement enroulée. L’enrouleur de génois ressemble à un long tube allant du pont quasiment au sommet de mat avec une sorte de bobine de corde à sa base (c’est cette corde qui permet d’enrouler ou de dérouler la voile).

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

GFS (Global Forecast System) : Modèle mathématique de prévision météorologique américain.

Giter : action de s’incliner sur un bord lorsqu’on parle d’un bateau.

Irma : L’ouragan Irma s’est développé du 29 août au 12 septembre 2017. Il est le dixième système tropical de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord et le deuxième ouragan majeur, catégorie 5, sur l’échelle de Saffir-Simpson, après l’ouragan Harvey, catégorie 4, survenu une semaine auparavant. Il est un des ouragans les plus puissants enregistré dans l’Atlantique nord depuis Hugo en 1989 et par la vitesse de ses vents soutenus (295 km/h) depuis Allen en 1980. Il est aussi le premier ouragan à rester classé en catégorie 5 pendant une aussi longue période continue. Il a causé des dégâts catastrophiques dans les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla et les Iles Vierges, a éprouvé sévèrement la côte nord de Cuba et a obligé la Floride à mettre en place une évacuation de plus de six millions d’habitants.

José : L’ouragan Jose est le onzième système tropical et le troisième ouragan majeur de la saison cyclonique 2017 dans l’océan Atlantique nord. Formé dans la traîné de l’ouragan Irma, à partir d’une onde tropicale sortie de la côte africaine, il s’est intensifié rapidement en arrivant près des Petites Antilles. Menaçant de se propager le long de la même trajectoire que son prédécesseur, Jose a soudainement viré vers le nord et a erré plusieurs jours entre les Bahamas et les Bermudes avant de remonter lentement vers le nord en faisant une courbe entre la côte est des États-Unis et les Bermudes.

Mangrove : écosystème de marais maritime.

NHC (National Hurricane Center) : service américain de suivi de la formation et de l’évolution des ouragans.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Portique : structure en inox à l’arrière du voilier permettant de supporter des panneaux solaires par exemple.

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Sondeur : appareil servant à mesure la profondeur. de l’eau sous le bateau.

Taquet : pièce fixée au navire pour y amarrer les aussières (dites également amarres).

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

UTC (Universal Time Coordinated) : « Temps Universel Coordonné » en français. C’est l’heure de référence internationale.

 

Art. 9 – Attaque à main armée !

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Cela fait quelques jours que je suis rentrée de Carriacou(*). Je profite de nouveau de l’eau claire de ma zone de mouillage préférée près du troisième trou à cyclone(*) bien à l’écart du mouillage principal de la baie du Marin, non loin du Club Med, en compagnie d’une dizaine d’autres bateaux.

Ce début d’après-midi, alors que je bricole à l’intérieur de mon bateau, j’entends quelqu’un m’interpeler depuis l’extérieur. Je sors la tête dehors et je reconnais André, un jobber(*) à qui j’ai eu affaire il y a quelques temps. J’avais bu un verre à bord de son bateau d’ailleurs à l’époque. Il souffrait de sa séparation d’avec son ex même si ça faisait quelques mois déjà et la discussion avait principalement portée sur ça. Je le connaissais donc un petit peu mais sans plus.

Il est à bord de son voilier en acier. L’ancre pend à l’avant comme s’il s’apprêtait à mouiller dans la zone, sauf qu’à l’allure vive à laquelle il se déplace, cela me semble difficile. Le moteur est lancé à plein régime et semble souffrir : une énorme fumée noire se dégage de l’échappement. Et son annexe traîne à l’arrière de son voilier tractée par son bout(*) comme un chien étranglé au bout de sa laisse.

M’apercevant, André me crie alors : « Regarde Diane ! C’est pas tous les jours que tu verras ça ! ». Interloquée, je le regarde debout dans le cockpit de mon bateau sans comprendre de quoi il me parle. Il contourne Nautigirl et soudain je le vois éperonner(*) le bateau juste devant le mien ! C’est le voilier d’Yves, mon pote, celui qui m’a accompagné jusqu’à Carriacou où nous avons fait notre carénage(*) ensemble. C’est un combat inégal ! L’agresseur a une coque en acier et l’agressé, Archangels, est un bateau en fibre.

Yves n’est pas à bord. Je l’ai vu s’éloigner un peu plus tôt en annexe. Je reste un court instant interloquée avant de bondir sur mon téléphone afin de le contacter. Je tombe sur sa messagerie qui semble prendre un temps infini avant de m’autoriser à lui laisser un message lui disant de rappliquer au plus vite. Mon second coup de téléphone est pour les gendarmes au 17. Je tente de répondre calmement aux questions de mon interlocutrice qui semble prendre un malin plaisir à enchaîner les questions que je juge inopportunes au lieu d’envoyer immédiatement les autorités. Pendue au téléphone, je suis la spectatrice impuissante des assauts répétés du monstre d’acier sur sa fragile proie.

André sait parfaitement ce qu’il fait visiblement car il vise les points stratégiques de la structure, au niveau des haubans(*) bâbord(*) et tribord(*), ainsi qu’à l’arrière. Il cherche à faire le plus de dégâts possibles espérant certainement faire démâter(*) le bateau et le couler. Il semble décidé et déterminé.

Je sais à quel point Yves tient à son bateau, tout comme je tiens au mien d’ailleurs, sauf qu’on ne parle pas du même budget et puis moi, j’ai une autre maison qui m’attend loin dans le Pacifique, lui il n’a que son voilier comme seule bien et seule habitation… Alors je tente d’agir comme j’aimerai qu’on agisse pour moi. Je saute sur ma petite annexe pour rejoindre le bord d’Archangels. Je me dis qu’avec une femme à bord de sa cible, André fléchira sans doute et hésitera avant de charger une nouvelle fois de peur de me blesser. Je me tiens maintenant debout sur la plage arrière et je tente d’apostropher André pour le raisonner. Sans succès…Ma stratégie n’est pas la bonne… Je vois l’avant de son bateau et son ancre menaçante se rapprocher de moi et je dois descendre au dernier moment de la plage arrière pour me protéger derrière la roue et éviter ainsi le nouvel impact. J’entends le bruit de la fibre qui craque.

Capture d_écran 2017-10-24 à 13.46.30Le monstre d’acier érafle le flanc d’Archangels. Un instant, les deux coques sont l’une contre l’autre. Alors, sans réfléchir, je franchis l’espace séparant les deux bateaux pour me retrouver sur le pont de l’agresseur. J’ai dû regarder trop de films avec Bruce Willis… Je suis tellement certaine qu’André va reprendre l’attitude d’une personne saine d’esprit que je m’avance sans hésitation vers lui. Mon élan est très rapidement refroidi par le pistolet qu’il me braque dessus depuis son poste de pilotage, partiellement masqué par la capote. Je ne cherche pas à comprendre, je ne fais qu’obéir à son ordre sec « Sors de mon bateau ! ». Ni une, ni deux, je fais marche arrière et je ressaute sur le pont d’Archangels. Je suis abasourdie. C’est la première fois que j’ai le canon d’une arme braqué sur moi… Et croyez-moi, on ne voit que la bouche du canon, noire et ronde, rien d’autre… Je ne saurais même pas dire s’il est gaucher ou droitier, ou comment il le tenait, je n’ai vu que ce tube épais et noir pointé sur moi, c’est tout. Je décide alors de me mettre en sécurité. Après tout, je ne suis pas John McClane. Lui, il aurait pété le nez du gars et ça aurait été réglé en deux-deux… Mais les films et la vraie vie sont deux réalités différentes….

Je remonte dans mon annexe et rejoins d’autres amis sur leur voilier tout proche de la scène. Je les entends crier à André d’arrêter, que la police est en route, qu’il pense à ses enfants ! Mais rien n’y fait, il continue le carnage. Tout le monde est horrifié.

André menace dans la foulée un couple de danois sur leur catamaran ancré tout prêt d’Archangels. Ils le gênent dans ses manœuvres pour tourner autour de sa cible et ça l’agace. Mais eux aussi ont une arme à bord… en plastique… mais cela André n’en sait rien… Il baisse la tête et s’éloigne. Les danois ont alors la présence d’esprit de filmer le reste de la scène.

Capture d_écran 2017-10-24 à 13.47.12Au total, le monstre d’acier éperonne 9 fois Archangels. Et pas une fois les yeux que celui-ci a à l’avant de sa coque n’auront cillé, tout comme ceux d’André qui quitte enfin la scène sans avoir réussi à couler sa victime mais avec la satisfaction de l’avoir suffisamment massacré à son goût. Il sait que désormais Yves ne pourra plus s’en servir. Les dégâts sont trop importants. Les points névralgiques ont été touchés. Il faudra une fortune pour tout réparer et Yves n’a pas d’assurance. Celle d’André ne couvrira rien puisqu’il s’agit d’un acte volontaire de dégradation. Il a la sensation d’avoir gagné sa bataille.

Toute cette action n’aura pris qu’une grosse demi-heure… C’est fou ce que cela m’a paru long néanmoins. Tous les témoins de la scène attendent les gendarmes qui semblent retenu près du mouillage principal du Marin. Aux jumelles, nous voyons le bateau de l’agresseur ancré à la limite du chenal. L’annexe traîne toujours derrière. Les gendarmes sont non loin. Ils prennent leurs précautions avant d’approcher. Il est 15 heures.

Pendant ce temps, nous sommes deux à monter à bord d’Archangels pour contrôler qu’il ne coule pas. Nous inspectons brièvement l’intérieur, nous démarrons le moteur et nous mettons en marche les pompes de cale(*) au cas où.

Yves arrive enfin une quinzaine de minutes plus tard. Il ne peut que constater les dégâts. Il est choqué et reste silencieux. Nous le laissons seul à bord à sa demande. C’est à ce moment-là, me racontera-t-il plus tard qu’il lit les sms menaçants qu’André lui a envoyé avant, pendant et après l’assaut.

Nous voyons une vedette de la gendarmerie s’approcher de nous environ 2 heures après, vers 17 heures. Ils sont 8 à bord de l’embarcation. Un instant, nous croyons qu’ils vont s’arrêter et prendre nos dépositions mais non. Ils ne font que nous avertir qu’un médiateur est attendu pour raisonner André qui est toujours à bord de son bateau.

Yves nous rejoint à la tombée de la nuit sur le bateau de ses amis les plus proches avec lesquels je suis depuis le milieu de l’après-midi. Peu de temps après, nous voyons l’hélicoptère de la gendarmerie tourner au-dessus de la marina(*). Son puissant projecteur balaye la zone. Nous apprenons alors avec stupeur que André a réussi à quitter son bord malgré la surveillance des gendarmes ! Ceux-ci reviennent nous voir sur leur hors-bord vers 19h30. Yves, inquiet pour sa sécurité, la notre et celle de son bateau, leur demande s’il n’est pas important qu’il s’éloigne de la zone de recherche. Nous sommes tous persuadés que André n’aurait pas hésité à tirer sur Yves s’il avait été à bord. Sinon pourquoi venir armé ? Et nous pensons qu’il est susceptible de revenir finir le travail. Avec l’accord des gendarmes, Yves décide de quitter le mouillage vers 19h45. Ces derniers lui assurent qu’ils veilleront à sa sécurité pendant la manœuvre et lui donne le canal de VHF(*) sur lequel il peut les contacter si besoin.

Le moteur d’Archangels ronronne et nous le voyons, inquiets, s’éloigner vers le chenal principal. Nous ne sommes pas tranquilles de laisser partir Yves seul mais il préfère ne mettre en danger personne d’autre. Il n’a que son feu de mouillage(*) pour se signaler, tout autre instrument électrique étant hors d’état de fonctionner.

Ce qui suit m’a été raconté par Yves lui-même. Je retranscris ci-dessous ce qu’il a vécu seul à bord.

A peine entré dans le chenal(*), il aperçoit une annexe(*) qui le suit avec deux personnes à bord. L’une d’entre-elles porte une frontale qui éclaire un instant son coéquipier. Yves reconnaît André ! Cette fois-ci, il est accompagné et cherche à se rapprocher ! Visiblement, celui-ci devait être en planque à côté du mouillage pour l’avoir rejoint si vite ! Preuve en est qu’Yves a bien fait de se méfier.

Il prend peur et accélère le régime du moteur de son voilier pour prendre la fuite. En même temps, il se précipite à l’intérieur de son bateau pour pouvoir contacter la gendarmerie sur la VHF. Nous entendons ses appels mais pas la gendarmerie ! Elle ne répond pas !!! C’est nous, sur le bateau « New Moon » qui sommes tenu de les appeler par téléphone pour leur faire part de la poursuite en cours ! Ce qui est curieux toutefois c’est que André semble faire demi-tour au moment où Yves tente de contacter les gendarmes sur la VHF. Comme si celui-ci avait une VHF branchée sur le bon canal… En tous les cas, celui-ci s’éloigne et bientôt Yves, toujours en direction de la sortie du chenal voit l’hélicoptère, le bateau des douanes ainsi que celui de la gendarmerie arriver vers lui. Il tente de les informer du demi-tour opéré par André et d’orienter l’hélicoptère dans la direction prise par ce dernier sans grand succès, leur VHF semble ne pas fonctionner et les instructions criées à haute voix à peine entendues. Le temps que tout ce petit monde fasse demi-tour dans la bonne direction, André s’est à nouveau échappé !

Yves est nerveux. Il s’inquiète que André puisse le retrouver et il préfère trouver un refuge autre que celui qu’il avait indiqué aux gendarmes. Il parcourt alors près de 5 kilomètres, tous feux éteints pour s’abriter dans un lieu difficilement accessible en annexe. Il est tellement stressé toutefois qu’il ne s’autorise que 5 mètres de chaîne pour mouiller(*) ce qui lui permettrait de quitter les lieux très rapidement s’il était menacé, mais ce qui signifie également que le bateau peut à tout moment déraper.

Vers 22h30, il appelle la gendarmerie au téléphone pour savoir si André a été appréhendé. Il apprend alors par son interlocuteur que les recherches ont été abandonnées, ce qui accroit encore son stress ! Ce dernier lui demande sa position et Yves préfère lui donner une position bidon au cas où André écouterait.

La nuit s’écoule doucement. Vers 6h15, Yves ne tient plus et rappelle la gendarmerie pour avoir des nouvelles et des conseils sur la conduite à tenir pour cette nouvelle journée. Son interlocuteur l’informe que quelqu’un le rappellera vers 7h00. Il n’aura finalement de réponse de la gendarmerie que vers 8h00 qui lui annonce qu’André a été intercepté. Il peut enfin rentrer au mouillage nous rejoindre…

Il apprendra plus tard que non content de l’avoir harcelé et menacé par sms, André avait également grandement partagé ses intentions sur sa page Facebook annonçant quelques minutes avant le drame qu’il allait faire « le buzz » et quelques minutes après qu’il avait « défoncé le bateau de cet enculé ».

J’apprendrais que la cause de tout cela c’est que mon ami, Yves, venait de commencer une histoire avec l’ex-femme d’André (ils étaient en cours de séparation) et celui-ci, possessif et jaloux, a voulu se venger lorsqu’il l’a appris. Il a alors décidé de s’en prendre au bien le plus cher de mon ami. Son bateau. Son unique bien.

André a été jugé en comparution immédiate. Il a écopé de 18 mois de prison avec sursis avec une interdiction de détenir une arme pendant 5 ans… Peu de chance qu’il arrive à rembourser un jour les dégâts qu’il aura occasionné…

Pour visionner une partie de la scène capturée par le couple de Danois, c’est ici :

Sombre histoire dans laquelle il n’y a eu aucun gagnant…


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PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Bâbord : en bateau, on ne dit pas gauche, on dit « bâbord », c’est la gauche du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Bout : (se prononce « boute ») cela désigne, de façon générale, un cordage sur le navire car le mot « cordage » n’est jamais utilisé par les navigateurs.

Carénage : lieu où l’on carène (nettoie) les coques des bateaux.

Carriacou : île du sud des Antilles faisant parti de l’Etat de Grenade. C’est l’île la plus septentrionale des îles de l’État de Grenade. La population est d’environ 8.000 habitants.

Chenal : c’est la voie d’accès à un port ou à une zone de mouillage dans lequel un navire disposera de la plus grande profondeur d’eau sous la quille, lui permettant de progresser en toute sécurité.

Démâter : abattre ou rompre violemment un mât.

Éperonner : percuter à l’aide de l’éperon dans le but d’endommager, voire de le couler, en parlant d’un navire.

Feu de mouillage : feu diffusant une lumière blanche sur 360° et être disposé à l’endroit le plus visible d’un navire. La nuit, il doit être allumé lorsque le bateau est au mouillage.

Haubans : câbles qui soutiennent latéralement le mât, reliant les hauts du mât au pont du bateau.

Jobber : quelqu’un qui vit de divers petits travaux qu’il réalise à son compte.

Marina : complexe résidentiel incluant un port de plaisance utilisé en partie par les résidents.

Mouiller / Mouillage : terme désignant plusieurs choses selon le contexte. Le bateau est au mouillage, lorsqu’il est accroché à son ancre, ou à son corps mort, il ne navigue pas. Le mouillage c’est aussi la chaîne et l’ancre. Un bon mouillage est un lieu où l’on peut s’arrêter en sécurité.

Pompe de cale : c’est une pompe qui permet d’évacuer l’eau de l’intérieur du bateau depuis l’un des points les plus bas de la coque.

Tribord : en bateau, on ne dit pas droite, on dit « tribord », c’est la droite du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

VHF : radio à très haute fréquence (bande de fréquences comprises entre 30 MHz et 300 MHz).

Art. 8 – Premier carénage à Carriacou

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Quelques heures après mon arrivée sur l’île de Carriacou(*), Nautigirl est sortie de l’eau. Je vois mon beau petit voilier, bien sanglé par en dessous s’élever doucement dans les airs à la demande de l’employé chargé de la manipulation de la grue. Il est debout sur la terre ferme et la commande à distance à l’aide d’une énorme manette qui rappelle un peu celle d’une console de jeu.

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Doucement, la grue emmène Nautigirl vers la terre ferme où les ouvriers du carénage l’attendent de pied ferme avec leur kärsher. Première opération : gros décrassage de la coque. L’eau sous pression décolle algues et coquillages et laisse apparaître le vieil antifouling(*). Effectivement, une petite remise en beauté ne lui fera pas de mal…

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Deuxième opération : placer le bateau à l’endroit qu’il occupera durant les quelques jours que durera le chantier. Nautigirl est ainsi guidée dans l’espace libre entre Archangels d’un côté et New Moon de l’autre. La grue relâche progressivement sa prise et bientôt Nautigirl tient en équilibre sur les béquilles prévues à cet effet. Je peux enfin l’observer sous toutes ses coutures !

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Ce sont les employés du carénage qui vont gérer toute la partie antifouling. Cela consiste à poncer le dessous du bateau afin de faire disparaître la vieille peinture, avant de passer un primaire d’accroche et un nouvel antifouling en trois couches. Moi, je vais pouvoir les regarder faire pour savoir comment procéder une prochaine fois !

P1020763En attendant que le ponçage de la coque commence, je me charge de démonter l’hélice afin de pouvoir rendre au bronze son brillant d’origine. J’apprends à l’occasion à me servir d’un démonte-hélice que me prête le chantier car, contrairement à ce que je croyais, ça ne se démonte pas aussi facilement. Une fois les différents éléments démontés, un petit bain dans du Corobrill(*) fait des miracles : j’ai à peine à gratter pour faire disparaître toute trace d’organisme vivant. J’en passe aussi sur l’arbre de l’hélice avec un gros pinceau. Bientôt l’ensemble retrouve presque son brillant et son aspect lisse d’origine.

P1020772J’en profite pour démonter la bague hydrolube(*). Je sais qu’il en existe différentes sortes. La mienne est une sorte de petit tube creux en caoutchouc qui est inséré dans la chaise d’arbre(*) assurant ainsi le centrage de l’arbre d’hélice. Elle pourrait encore faire l’affaire mais tant qu’à faire, autant en profiter pour en mettre une neuve ! Je cours au magasin tout proche pour en acheter une nouvelle mais j’ai une mauvaise surprise. Celui-ci est minuscule. Ils ont quelques articles en stock mais rien pour moi. Professionnels, ils tentent de contacter le magasin de l’île la plus proche, Grenade(*) mais sans succès… Je tente ma chance en appelant un magasin de Martinique. Ils ont ce qu’il faut mais ils ne peuvent pas le faire livrer… Je ne me laisse pas démonter. Je poste aussitôt un message sur une page Facebook qui rassemble toute une communauté de martiniquais « JAH Familia ». J’y explique que je recherche quelqu’un qui pourrait me descendre la pièce en question vers Carriacou. Rapidement, j’ai une réponse d’une boite de charter, Piwi Croisières. Ils sont prêts à me descendre la pièce à Union(*) dans quelques jours. C’est super gentil ça ! Parfait, je n’ai plus qu’à attendre la livraison !!!

En attendant, j’ai un autre travail qui m’attend… En rangeant les affaires que j’avais placé un peu en vrac à l’avant, je me suis rendue compte que les parois de la pointe avant du bateau sont humides… Il semblerait que la baille à mouillage(*) ne soit pas étanche… J’y plonge, la tête en avant… Un long et gros cordon, ou plutôt un pâté, de sikaflex(*) a été posé le long des angles en contact avec la paroi de la cabine avant. Je tire légèrement dessus et étonnamment, il cède très facilement. Je mets ainsi à jour ce qu’il y a en dessous : une sorte de mastic tout poreux qui visiblement a perdu toutes ses propriétés (en supposant qu’il ait été étanche à un moment donné). Lorsque je passe le doigt dessus, c’est comme mou, ça me ferait presque penser à de la pâte à modeler. Je sors mes outils et je commence à nettoyer la zone afin de repartir sur une base saine.

Après en avoir discuté avec Yves, je décide de poser fibre et résine sur la zone pour la rendre parfaitement étanche. J’ai tout le matériel nécessaire pour le faire mais encore aucune pratique. C’est mon premier challenge résine ! 2 doses de résine pour 1 dose de durcisseur… Un premier mélange me sert à reboucher les fentes apparentes avec du micro-ballon(*) chargé dedans. Ça fait une sorte de mastic facile à utiliser. Un deuxième mélange est appliqué tel que sur la fibre de verre que j’ai préalablement découpée. J’ai un pinceau pour appliquer la résine sur la fibre mais j’ai du mal à ne pas faire de coulures un peu partout. Ça coule par terre, j’en mets plein mes gants qui collent au pinceau mais tant pis, j’apprends ! Je laisse sécher plusieurs heures avant de poncer et de passer une deuxième couche et enfin une troisième. Une fois la réparation terminée et la dernière couche poncée, je n’ai plus qu’à remplir la baille à mouillage à ras bord après avoir bouché le trou d’évacuation pour voir si de l’humidité rentre à l’intérieur de la pointe avant du bateau. Après une nuit d’attente, bonne nouvelle, tout est bien resté sec à l’avant. Problème résolu !

Entre chaque temps de séchage, je m’occupe à d’autres petites tâches sous la supervision d’Yves qui joue le coach avec moi. Grâce à lui, j’apprends ainsi à faire la vidange de l’huile d’inverseur(*), tâche que Pierre n’avait pas eu le temps de me montrer. Mes hublots montrant de nouveau des zones de faiblesse qui laissent passer quelques gouttes d’eau, il m’encourage à creuser le joint de sika tout autour pour en reposer un tout beau tout neuf, ce que je m’applique à faire consciencieusement espérant que c’est la dernière fois qu’il fuit (ce ne sera hélas pas le cas d’ici quelques mois…).

Les jours passent vite et bientôt tous les bateaux sont prêts à être remis à l’eau. Enfin, tous, sauf le mien, vu qu’il me manque ma bague hydrolube et que sans elle, je ne peux pas remettre mon hélice. Du coup, nous négocions de remettre le bateau d’Yves en premier à l’eau afin qu’il puisse m’emmener à Union où je dois récupérer ma pièce.

Archangels fend les flots en direction de l’île d’Union toute proche. Yves contrôle l’ensemble des passes-coques(*) qu’il a posé durant le chantier car, comme il me l’explique, c’est la première chose à vérifier  lorsqu’on remet un bateau à l’eau. Je suis dehors dans le cockpit quand je l’entends pousser un juron. L’un des passes-coques laissent s’infiltrer de l’eau. On ne risque pas de couler à cause de ça car la fuite n’est pas si importante, néanmoins, il va falloir ressortir le bateau très vite. Impossible de résoudre ça la coque dans l’eau. Il met la pompe de cale(*) en marche. Désormais, il a juste envie de rejoindre rapidement Union pour que je récupère ma pièce et repartir aussi sec à Carriacou pour ressortir le bateau.

Nous atteignons l’île de Union. J’ai eu des nouvelles du skipper en charge du catamaran de Piwi Croisières qui transporte ma bague hydrolube. Il est tout proche. Et effectivement, une heure après avoir accosté au ponton principal du port de Clifton, nous le voyons arriver à notre rencontre à bord de son annexe(*). Ça y est ! J’ai ma bague ! Nous filons de nouveau vers Carriacou.

Dès notre arrivée au carénage, Yves négocie un bon prix pour une sortie expresse de son voilier (chaque sortie de l’eau avec la grue est facturée). Avant la nuit, son voilier est donc de nouveau suspendu sous la grue au dessus de la terre ferme ce qui lui permet de faire le nécessaire pour régler son problème de passe-coque. Pendant ce temps-là, je mets en place ma nouvelle bague hydrolube et je remonte enfin mon hélice tout propre.

Le lendemain matin, Archangels est remis à l’eau suivi de Nautigirl. Direction le Marin en Martinique ! De nouveau, Yves joue mon ange-gardien et m’accompagne tout au long du trajet. Tous les soirs, nous stoppons sur l’une des îles que nous longeons. Lorsqu’enfin nous arrivons au niveau de l’île de Sainte-Lucie(*), Yves met toutes les voiles et rejoint la Martinique me laissant faire la dernière partie du trajet toute seule. Je pense qu’il en avait assez de freiner son cheval de course depuis aussi longtemps et je le comprends !

De retour au Marin, je décide de régler ce problème de VHF(*) qui semble ne pas fonctionner correctement à une distance même modérée. Un professionnel passe à bord pour tester le matériel. Il semble que tout soit ok. Il ne comprend pas les difficultés que je peux rencontrer. Il manipule les boutons de la VHF tout en parlant à haute voix. Il me parle de la fonction « HIGH » (haute) et « LOW » (basse). Hein ? Késako ? Et là, je réalise que pendant tout le voyage, j’ai laissé la VHF sur la puissance minimale qui ne permet d’émettre que sur une distance d’un mille(*) nautique environ au lieu des 20 à 25 milles autorisés avec la puissance la plus forte… Alors, tous ces problèmes de communication à distance avec Yves sur l’aller/retour qui m’ont valu un beau hors forfait téléphonique (vu que lorsque j’avais besoin de le contacter, j’utilisais mon téléphone quand j’arrivais à avoir du réseau), c’était ça ???? Effectivement, je me rappelle avoir vaguement entendu parler de cette notion de « High » et « Low » lorsque j’ai passé mon CRR(*) (le certificat m’autorisant à utiliser une VHF) mais visiblement je n’avais pas saisi l’importance de celle-ci…

Vive la blonde attitude !


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PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Antifouling : peinture couvrant la partie immergée de la coque et contenant des produits toxiques destinés à empêcher le développement des mollusques et des algues.

Bague hydrolube : pièce en caoutchouc rainurée a l’intérieur, elle assure le centrage de l’arbre d’hélice et sert de pallier, elle est lubrifiée par l’eau. C’est une pièce d’usure à changer régulièrement.

Baille à mouillage : soute à l’avant du bateau dans laquelle on range la chaîne et parfois l’ancre elle-même.

Carriacou : île du sud des Antilles faisant parti de l’État de Grenade. C’est l’île la plus septentrionale des îles de l’État de Grenade. La population est d’environ 8.000 habitants.

Chaise d’arbre : appendice sur la coque d’un navire supportant l’arbre d’hélice.

Corobrill : mélange d’acide phosphorique et de détergents.

CRR : Certificat Restreint de Radiotéléphoniste.

Grenade : principale île de l’État de Grenade dans le sud des Antilles. La population est d’environ 100.000 habitants.La Grenade est surnommée « l’île aux épices » (Island of Spice) pour sa cannelle, ses clous de girofle, son curcuma et surtout le macis et la noix de muscade.

Inverseur : c’est ce qui permet de gérer la marche avant et la marche arrière.

Micro-ballons : ce sont de minuscules sphères de verre se présentant sous la forme d’une poudre blanche extrêmement légère. Mélangées à la résine, les microballons permettent de « charger » celle-ci sans l’alourdir et de remplir des cavités sans rajouter trop de poids.

Mille marin ou mille nautique :  1.852 mètres environ ce qui correspond au calcul d’une minute d’angle à l’équateur.

Passe-coque : tube à collerette et traversant la coque. Il est destiné à y connecter un tuyau d’évacuation ou de prise d’eau généralement.

Pompe de cale : c’est une pompe qui permet d’évacuer l’eau de l’intérieur du bateau depuis l’un des points les plus bas de la coque.

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Sika : abréviation de « Sikaflex » qui est une marque de colles et de mastics d’étanchéité très réputée dans le monde marin.

Union : une des îles de l’archipel des Grenadines, archipel situé dans les petites Antilles, entre l’île de Saint-Vincent au nord et Grenade au sud. Elle fait partie de l’État de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, dont c’est l’une des îles les plus méridionales.

VHF : radio à très haute fréquence (bande de fréquences comprises entre 30 MHz et 300 MHz).

Art. 7 – Ma première fois en solo !

Archangels(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

J’aime ce mouillage à l’entrée du troisième trou à cyclone non loin de la pointe Marin qui abrite le club Med. Je peux enfin me baigner dans une eau claire. Ce n’est pas aussi limpide qu’en Polynésie mais c’est bien mieux que les autres endroits où j’ai pu mouiller jusqu’à présent.

Je continue à améliorer doucement mon intérieur. La scie d’élagage que m’a offerte Ben est devenue ma meilleure amie depuis quelques temps. D’une chute de bois, je fabrique une petite étagère pour épices, c’est encore un peu de place gagnée. Je ne jette rien, je garde et je tente de réutiliser au maximum. Economie, économie ! C’est que tout coûte cher sur un bateau…

En inspectant l’un des placards que j’ai aménagé dernièrement, je réalise que l’étagère du dessus présente des traces d’humidité. C’est même un peu humide lorsque je passe ma main dessus. Une des règles primordiales en bateau est la suivante : si vous avez de l’eau quelque part, cherchez-en la cause après l’avoir goûtée pour déterminer si c’est salé ou pas (ça élimine très vite certaines options dans le doute). Il a bien plu ce matin mais cela ne peut pas provenir des hublots, ça ne serait pas logique vu la position de la trace… Je tâtonne essayant de comprendre d’où provient cette eau. Soudain, je sens une goutte sur mon doigt. Je glisse ma tête dans le placard : c’est la cadène(*) qui retient un haubans(*) qui suinte et ça coule le long de la contre-plaque(*) avant de finir sur l’étagère. C’est pas bon signe ça ! Je sors pour tâter le pont tout autour de la zone d’infiltration. J’ai peur que le sandwich(*) ne soit infiltré d’eau mais a priori la surface semble saine. Rien ne s’enfonce sous la pression exercée par mon doigt. Tant mieux mais je vais devoir rapidement faire quelque chose.

Je suis interrompue dans mes pensées par l’arrivée d’un inconnu. C’est Yves, un voisin de mouillage qui passe se présenter. Il me voit m’affairer sur mon voilier depuis la veille et il vient me proposer un coup de main si j’ai besoin. Ca tombe bien car moi j’ai plein de questions pour lui qui semble s’y connaître. Je lui explique mon problème de cadène qui fuit. Effectivement, il me conseille d’y remédier rapidement et il m’explique la procédure. Ne jamais desserrer seul un haubans, toujours par paire ! Un tour sur le ridoir(*) d’un des haubans, un tour sur son jumeau sur l’autre bord. Veiller à compter le nombre de tours afin de pouvoir retendre ses haubans comme ils l’étaient initialement à la fin de la procédure. Au besoin, mettre un scotch sur le pas de vis pour repérer jusqu’à où les ridoirs étaient vissés avant…

J’avoue que je n’ai pas tout compris sur le moment mais ça ne me paraît pas trop difficile. Après avoir discuté un moment, Yves s’éclipse et retourne sur son bateau « Archangels » en me laissant seule face à mes haubans. Je lutte un bon moment avec ceux-ci. Ils me valent même la perte d’une clé de 8 dans la mer qui s’envole littéralement dans les airs afin de faire un gros plouf alors que je m’escrime à desserrer le premier haubans. Je plonge immédiatement à sa suite mais sans succès. Nouvelle leçon de la journée : toujours avoir plusieurs clés de la même taille ! Heureusement Yves me dépanne gentiment. Je réussis enfin à vaincre ces foutus haubans ainsi que les cadènes et les contre-plaques. Après avoir bien nettoyé la zone, l’avoir asséchée plusieurs heures et l’avoir bourrée de sika(*), je remonte le tout avec encore une fois l’intervention d’Yves pour contrôler la tension des haubans une fois ceux-ci remontés.

Il me présente à ses meilleurs amis au mouillage, un couple très sympa vivant sur leur bateau « New Moon ». Nous passons plusieurs soirées ensemble. Ils projettent de partir bientôt sur l’île de Cariacou(*) au sud de l’arc antillais pour faire l’antifouling(*) de leur bateau et ils m’encouragent à les suivre.

Sur le moment, je ne suis pas véritablement partante pour cette idée… C’est sûr, l’antifouling est à faire… La somme demandée au Marin par le carénage(*) pour l’entrée et la sortie d’eau de Nautigirl avec quatre jours inclus à terre me semble faramineuse : 600 EUR environ et ça c’est sans avoir acheté ni fait l’antifouling. J’avais dans l’idée de monter en Guadeloupe qui m’a proposé un devis moitié moins cher mais ce qui m’a freinée jusqu’à présent c’est que je ne sais pas comment on fait un antifouling et que je ne connais personne en Guadeloupe alors qu’au Marin si ! Voilà maintenant qu’on me propose de faire un tir groupé à la zone de carénage de Carriacou. Mes amis négocient un prix de groupe et nous nous partageons le coût des matériaux : primaire(*), antifouling etc… Et ils seront là pour répondre à toutes mes questions puisqu’ils feront eux-même le même travail sur leur voilier respectif ! Dans ces conditions, je serais folle de refuser !

Ne me reste plus qu’une seule raison d’hésiter. Je n’ai pas d’équipier et je n’ai encore jamais navigué seule. Et faire environ 150 milles(*) nautiques d’une seule traite pour une première fois, cela me paraît un défi trop important… Yves vient encore une fois à ma rescousse. Il me propose de suivre le rythme de Nautigirl avec son voilier un First(*) 40.7 qui va aisément deux fois plus vite que moi normalement. « Pas grave, je réduirais les voiles ! »  me dit-il en souriant ! Dans ces conditions… que puis-je dire ? « C’est parti mon kiki ! »

New Moon est déjà parti tôt ce matin. Les amis d’Yves vont d’une seule traite sur Carriacou. Moi et Yves, nous partons tranquillement dans la matinée pour faire une première étape à Sainte-Lucie à environ 20 milles de là. Je pars en avance, Yves me rejoindra sur la route. De toute manière, il sait qu’il me rattrapera rapidement.

Je relève l’ancre, le cœur battant. C’est le grand départ pour moi. Mon premier canal à traverser ! Je sors du Marin. Je hisse la grand-voile et déploie le génois. Tout se passe bien. Le vent est assez fort, 25 nœuds avec quelques rafales à plus de 30 nœuds, la houle est prononcée et le pilote automatique force sur la barre mais il gère, ça va. Je commence à me détendre légèrement.

globi2J’entre à peine dans le canal quand soudain je vois deux énormes têtes noires et toutes rondes jaillir de l’eau à quelques dizaines de mètres du bateau. Je ne sais pas ce que c’est mais leur route est à 90° de la mienne ! Nous sommes en droite ligne de collision ! Ce ne sont pas des dauphins, leur tête est énorme !!! Ça ne peut être que des orques dans mon esprit… C’est plus grand qu’un dauphin, plus petit qu’une baleine et c’est tout noir. Des orques, hein ? Quoi d’autre ? Le cœur battant la chamade, je décroche mon pilote et j’abats(*) à fond pour les éviter tout en scrutant attentivement la surface de l’eau… Je ne les verrais jamais réapparaître. Les animaux ont sondé dans les profondeurs et moi j’en suis quitte pour une bonne petite trouille ! indexJe me suis imaginée un instant coulée à quelques milles seulement de mon point de départ ! Ça aurait été ballot tout de même lors de ma première navigation !!! J’apprendrais plus tard que ce sont des globicéphales qui peuvent mesurer de 5 à 6 mètres, rien à voir avec une orque qui peut atteindre 10 mètres !

Allez, juste pour vous faire rire, ma réaction en live car j’ai réussir à filmer ce moment (si, si !). C’est trop ridicule mais c’est trop bon à regarder !!! https://youtu.be/0mTsV-vs41A

Après ce petit intermède, je vois le bateau d’Yves se rapprocher rapidement. Il me dépasse et nous échangeons quelques mots à la VHF(*). Il observe mes voiles depuis son cockpit et me donne des conseils sur le bon réglage. Petit à petit, nous nous rapprochons des côtes de Sainte-Lucie(*). Nous nous donnons rendez-vous à « Rodney Bay » au nord de l’île. Sur les derniers milles, Henry lance toute la toile et il disparaît rapidement à l’horizon. Je le retrouve dans la baie comme prévu vers 17h00 et j’ancre non loin de lui.

Je suis fière de moi ! C’est ma première traversée solo, sous l’œil bienveillant d’Yves ok, mais seule à bord quand même ! Je remplis mon livre de bord : 5 heures de porte à porte, 20 milles…

Je dîne à bord d’Archangels. Yves me donne les instructions pour la navigation du lendemain. Départ prévu à 3 heures du matin car une longue navigation nous attend pour atteindre Bequia(*). Extinction des feux à 20 heures…

Le réveil est dur ! Il fait nuit noire. Je remonte l’ancre et je pars avant Yves. De toute manière, il est bien plus rapide que moi alors pourquoi se presserait-il ? Je monte les voiles et me lance à l’assaut de la côte sous le vent de Sainte-Lucie.

Je navigue depuis presque deux heures maintenant. Il n’est pas loin de 5h du matin et je commence à peine à voir poindre le jour quand j’entends soudain un énorme SPLASH !!! Je tourne la tête juste à temps pour voir un second dauphin effectuer une cabriole en l’air. Il est si près de Nautigirl que j’aurais presque peur qu’il n’atterrisse sur le pont ! Dommage qu’il fasse encore si sombre, j’aurais voulu profiter à 100% de la beauté de ce spectacle. J’appelle Yves à la VHF pour partager ce petit moment de bonheur ! Je le vois un petit peu plus loin dans mon sillage. Les dauphins sont partis le rejoindre. Ils l’accompagneront une quinzaine de minutes avant de disparaître au loin.

La journée est longue. C’est la première fois que je navigue si longtemps. J’essaie de dormir quelques minutes par ci, par là mais je n’y arrive pas. Tous mes sens sont constamment en alerte. De toute manière, je n’arrive pas à trouver de place confortable. Dans le cockpit, si je m’allonge sur le banc côté sous le vent, je suis gênée par le pilote qui m’empêche de relever les jambes. Si je m’allonge sur le banc côté au vent, avec la gite, je me retrouve par terre. Si je m’allonge en travers du cockpit, c’est un peu mieux mais avec la gite, je me retrouve presque en appui sur mes jambes, difficile de se laisser sombrer dans le sommeil dans ce cas là… Je tente de m’allonger par terre au fond du cockpit mais à chaque mouvement un peu prononcé du bateau, je me dresse comme un lemming pour voir ce qu’il se passe.

Je communique quand je le peux avec Yves sur la VHF. Il est obligé de réduire de moitié sa voilure pour ne pas me semer. Parfois, quand il en a assez, il remet de la toile et fait demi-tour un peu plus loin. J’ai l’impression que j’ai un problème de VHF… Autant j’arrive à entendre ce qu’il me dit, autant quand j’émets, j’ai l’impression qu’il ne m’entend pas tout le temps sauf quand il est vraiment près… A voir…

Nous rejoignons Bequia(*) en pleine nuit. Yves m’y a précédé et il a mouillé dans une dizaine de mètres d’eau. Je suis crevée, énervée, fatiguée… Il est près de 20h30, ça fait plus de 17 heures qu’on est parti. Il me propose pour me faciliter la vie de mettre à couple Nautigirl et Archangels. Pas de chaîne et d’ancre à gérer. Le seul problème c’est que son bateau ne cesse de faire des va-et-vient autour de son point d’ancrage avec les risées de vent. C’est la première fois que je fais ce genre de manœuvre et j’ai peur de lui rentrer dedans ou d’abîmer nos coques. Je tente une première approche mais son bateau chasse vers le mien. Apeurée, je m’éloigne brutalement. Je m’excite toute seule sur mon bateau pendant que lui, Yves, reste stoïque limite moqueur : il ne voit pas la difficulté… Moi, je veux juste me reposer, je n’en peux plus, et son putain de bateau qui n’arrête pas de bouger m’énerve !!! J’échange quelques paroles un peu vives avec lui. La fatigue… Lui serein reste cool et me laisse m’énerver toute seule. Finalement, je réussis à finaliser mon approche. Il a tout préparé, pare-battages(*) et amarres(*), pour me faciliter la vie. Il me fait même à dîner !

Et de nouveau le lendemain matin, le lundi 13 mars 2017, départ de nuit à 3h30 pour arriver à Carriacou, à 35 milles nautiques de là, en début de matinée pour ne pas rater notre rendez-vous avec la zone de carénage. A 12h00, je vois mon voilier quitter la surface de l’eau et être gruté afin d’être mis à sec.

Prochain étape : OPERATION CARENAGE !!!


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PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Abattre : manœuvrer le voilier de manière à l’écarter du lit du vent. 

Amarre : grosse “corde” utilisée par les bateaux pour se “garer” le long d’un quai ou d’un autre bateau ou pour s’attacher à un corps-mort.

Antifouling : peinture couvrant la partie immergée de la coque et contenant des produits toxiques destinés à empêcher le développement des mollusques et des algues.

Bequia : île du Sud des Antilles faisant partie de l’état de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Bequia se situe au sud de l’île de Saint-Vincent. C’est la plus grande île des Grenadines. La population est d’environ 6.000 habitants.

Cadène : pièce généralement métallique solidaire du pont du navire sur laquelle est frappé un câble tenant le mât. La traction exercée sur une cadène nécessite que la cadène soit également solidarisée avec la coque par la mise en place d’une contreplaque (ou renvoi de cadène) qui est une pièce métallique située sous le pont qui reprend l’effort exercé par la cadène et la transmet à la coque.

Carénage : lieu où l’on carène (nettoie) les coques des bateaux.

Carriacou : île du sud des Antilles faisant parti de l’Etat de Grenade. C’est l’île la plus septentrionale des îles de l’État de Grenade. La population est d’environ 8.000 habitants.

Contre-plaque : voir cadène

First 40.7 : un voilier de marque Beneteau, l’une des références mondiales de la course-croisière.

Haubans : câbles qui soutiennent latéralement le mât, reliant les hauts du mât au pont du bateau.

Mille marin ou mille nautique :  1.852 mètres environ ce qui correspond au calcul d’une minute d’angle à l’équateur.

Pare-battage : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »).

Primaire : appelé encore sous couche. Il s’utilise pour améliorer l’accroche de l’antifouling sur la coque.

Ridoir : dispositif permettant de fixer un câble à une partie fixe avec la possibilité de régler la tension dudit câble.

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Sandwich : assemblage en couches des différentes couches de résine et de fibre qui constituent le pont.

Sika : abréviation de « Sikaflex » qui est une marque de colles et de mastics d’étanchéité très réputée dans le monde marin.

VHF : radio à très haute fréquence (bande de fréquences comprises entre 30 MHz et 300 MHz).

 

 

 

Art. 6 – Vive les travaux !

P = U x I… Je répète la formule pensivement… Effectivement, ça me dit vaguement quelque chose… Ça doit faire plus de vingt ans que je ne m’en suis pas servie de cette formule… A l’époque, j’étais encore sur les bancs du lycée et j’étais capable de répéter toutes les informations apprises et de les appliquer aux problèmes abstraits qu’on me posait pour les résoudre correctement. Aujourd’hui, je n’ai plus que de vagues souvenirs de cette période et je n’ai jamais appliqué concrètement ces types de connaissances. Du coup, j’ai oublié… Ben me refait rapidement un petit cours : la puissance P se mesure en Watts et elle est égale à la tension mesurée en Volts fois l’intensité mesurée en Ampères(*). J’essaie de visualiser la formule… pour avoir des Watts, on multiplie des Volts par des Ampères…

Ben commence par faire la revue de mes besoins électriques. Malgré un panneau solaire de 100 Watts sur le portique arrière et un autre panneau de 50 Watts fixé au pied du mât, soit 150 Watts au total, il me persuade vite que ce n’est pas suffisant par rapport à mes besoins électriques : mon pilote, les lumières à l’intérieur, les feux à l’extérieur, mon ordinateur, ma tablette etc…Honnêtement, je n’ai pas tout compris de ses explications mais il a l’air tellement sûr de lui que je me laisse guider. C’est ainsi que je commence à modifier Nautigirl. Exit le panneau solaire de 50 Watts. Il est démonté et revendu. En contrepartie, j’investis dans un panneau de 100 Watts qui rejoint celui qui était déjà sur le portique.

J’en profite pour acheter un moniteur d’activité ainsi qu’un nouveau convertisseur 12-220V. Hé oui, dans un bateau, tout fonctionne en 12 Volts et pour utiliser un ordinateur ou n’importe quel appareil qui ne fonctionne pas à la même tension, il faut un convertisseur et si possible un convertisseur qui délivre un courant stable ! Sinon, on grille ses appareils électriques en un rien de temps paraît-il ! Ben m’a fait tellement peur à ce sujet que j’ai préféré investir et abandonner le vieux que j’avais déjà à bord du bateau et qui semblait être sur le point de décoller tel une fusée tant il est chaud et tant son ventilateur faisait de bruit lorsqu’il était en marche. Le moniteur d’activité, quant à lui, branché aux batteries, me permet de suivre facilement leur niveau de décharge. Côté électricité, je suis donc parée maintenant grâce à Ben ! Celui-ci part vadrouiller dans les îles du Nord Caraibes et il me laisse un dernier cadeau avec de partir : une scie d’élagage qui se replie en deux.

Je suis ravie de son petit cadeau : ça marche super bien pour la découpe de planches de contreplaqué. J’ai déjà plein d’idées d’aménagements intérieurs pour tenter d’optimiser l’espace de rangement. Trop d’espaces sans étagères et c’est autant d’espace perdu, à moins de vouloir y entasser des choses pêle-mêle sans aucune organisation. Je ramène des planches à bord pleine d’enthousiasme et je commence à découper mes futures étagères. J’en mets partout où je peux. Je réalise même ma première porte de placard de ma vie, du type qui s’encastre, avec des petites charnières et tout et tout ! Ca paraît rien du tout mais je suis fière de mes petits accomplissements. Bien évidemment, cela a été une succession de tentatives avortées avant de trouver la bonne solution et plus rarement des succès du premier coup. Je découvre le monde du bateau… Non, le sika(*), ce n’est pas de la superglue, et non, tu ne peux pas faire tenir une baguette en bois sur de la résine sans vis… Et pour que l’étagère soit bien droite, vous feriez comment vous ? Avec un niveau, c’est ça ? Ben, j’y avais bien pensé et j’en ai même acheté un, mais figurait vous qu’un bateau au mouillage, hé bien, ça bouge toujours ! Du coup le niveau, ça sert pas à grand chose… Bref, j’apprends de mes erreurs… Tout doucement… Vraiment doucement…

Forcément je pose beaucoup de questions tout autour de moi. Et ce que j’observe, c’est que tu as beau poser la même question à différentes personnes, avec les mêmes mots, il n’y en a pas UNE SEULE qui te donnera la même réponse que son voisin… Donc, toi, petite nouvelle dans ce monde inconnu, tu dois donc faire un choix entre plusieurs possibilités sans savoir laquelle est la bonne… Et le problème, c’est qu’on te raconte pas mal de conneries ! Donc, tu fais un choix et parfois, ce n’était pas la bonne option…

Un exemple : j’avais un presse-étoupe(*) qui gouttait. De l’eau qui rentre dans ton bateau, même si c’est au compte-gouttes, ça ne paraît jamais bon et je me posais quelques questions. Du coup, une copine me parle d’un pote qui est un excellent mécano mais qu’il faut chopper avant 11 heures du matin parce que sinon, il risque de ne pas être en état (on parle d’un gros problème d’alcool là, si, si !) et qui pourrait rapidement jeter un coup d’œil en échange… d’une bière (ben ouais, forcément…). Je passe le voir avec elle et je le ramène sur le bateau. « Ha, mais c’est pas bon ça ! Attends je te le resserre ! ». Il m’emprunte quelques outils et s’exécute. Génial ! Quelques heures après, j’en parle avec quelqu’un au bar du coin (on passe beaucoup de temps dans les bars dans une marina) qui me dit « Mais non ! C’est le dernier truc à faire avec le type de presse-étoupe que tu as ! C’est un presse-étoupe à tresse. Il y a du suif à l’intérieur. C’est normal que ça goutte. C’est pour empêcher le suif de chauffer ! ». Merde… Ne me restait plus qu’à desserrer un peu le presse-étoupe pour le refaire goutter comme avant. Et résultat, au premier petit tour en mer que j’ai fait après avoir touché à ça, j’ai ramassé 30 litres d’eau dans les fonds : à la gite, je voyais l’eau dépasser des planchers. Autant dire que ça m’a bien fait stresser sur le coup et que je suis retournée rapidement au port. Heureusement que je n’étais pas seule à bord ce coup-là sinon j’aurais pu paniquer. En fait, j’avais trop desserré le presse-étoupe. Ca gouttait à l’arrêt comme il fallait, mais moteur en route, ça ne gouttait pas, ça « pissait » plutôt (trop desserré le machin). Et ça s’est joué à un 1/4 de tour de petits boulons. C’est un autre pote, qui s’y connaissait, lui, qui a finit d’ajuster le serrage de ce fameux presse-étoupe…

Autre exemple… A la première pluie subie, je me suis rendu compte que les hublots fuyaient… Encore, un truc à régler et sur lequel tout le monde y aillait de son idée… « Mets du silicone ! », « Du sika, y a rien de mieux », « Sika oui, mais tu mets un primaire d’accroche avant hein, sinon ça tient pas ! », « Bof, met du tape(*) gris tout autour. De toute manière, ça finit toujours par fuir »…. Bref, à force de tourner en bourrique, j’ai décidé de faire simple. En attendant de faire un travail correct (quand je saurais quelle est la meilleure option), j’ai acheté dans un magasin un produit spécial fuites : une sorte de liquide qu’on fait couler dans les craquelures et qui, en séchant, se transforme en une sorte de pâte à joint qui comble les fissures. Momentanément, ça a suffit… Momentanément, seulement…

Je commence à me former un petit groupe d’amis au Marin. Et je ne suis pas la seule dont c’est le premier bateau. Du coup, nous formons des petits équipages mixtes (expérimentés et « débutants ») pour nous entraîner à naviguer à plusieurs bateaux dans la baie du Marin. Bonne ambiance à bord garantie ! Nautigirl est généralement le plus petit, les autres faisant plutôt dans les 40 pieds(*), il est donc aussi forcément le plus lent, mais ce n’est pas grave, les autres font demi-tour régulièrement pour ne pas me distancer.

 

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Je me rappelle d’une bonne frayeur lors d’un de ces petits tours d’entraînement. J’étais avec Théo à bord, la vingtaine, moniteur de voile légère et nous remontions au près(*) dans la baie lorsque notre route a croisé celle d’un voilier bien plus grand, sous moteur (voiles rangées donc) faisant droite ligne de collision sur nous. Théo, confiant, me dit « T’inquiète pas, on est sous voiles et on est tribord amures(*). On est prioritaire. Il va s’écarter de la route, tu verras ». Les secondes s’écoulent et nous sommes toujours en route de collision ! Théo reste confiant… Encore… Toujours… Je commence à m’inquiéter. Là, il faut vraiment qu’on fasse quelque chose ! Théo siffle. Je m’excite. J’essaie d’interpeler l’autre voilier. Pas une réaction de sa part. Au dernier moment, Théo tire à fond sur la barre pour abattre en grand et on passe au cul du bateau sourd. Et là, je vois deux nanas en bikini en train de faire bronzette. On crie, on engueule, on fait des gestes pour tenter de leur faire comprendre leur imprudence et on voit ces deux nymphettes – qui visiblement n’ont rien compris à ce qu’il venait de se passer – nous faire des grands signes pour nous dire bonjour… Un yacht russe… Visiblement, les personnes qui sont à l’extérieur sont là pour la décoration et pas pour les manœuvres… L’équipage, lui, ou le skipper tout au moins est invisible…

Nous nous motivons à réaliser des petits exercices comme par exemple récupérer un homme à la mer symbolisé par un pare-battage(*) jeté à l’eau et auquel nous avions attaché un seau (très mauvaise idée le seau en fait). Pour cet entraînement, nous étions trois (un expérimenté et deux débutants) sur un voilier de type « Ovni 39 ». Nous avons passé deux bonnes heures à tenter de récupérer le soit-disant homme à la mer sans succès. Soit on passait trop loin du pare-battage, soit on arrivait pas à l’attraper avec la gaffe à gauche du seau qui s’était bien évidemment rempli et qui jouait un poids mort. A la fin, n’y tenant plus, ainsi que pour pimenter le jeu, j’ai décidé de me jeter à l’eau pour motiver mes équipiers. J’ai rapidement rejoint le pare-battage, vidé le seau et attendu leur passage. Cette fois-ci, la manœuvre d’approche a été plus un peu meilleure. J’ai pu leur tendre le « faux homme à la mer » qui a retrouvé son coffre de rangement. Pour me faire remonter à bord, on a voulu tester une des méthodes possibles. Me tendre une drisse(*) afin de me remonter à bord à la force du winch(*). J’étais censée faire une boucle avec un gros nœud, me glisser dedans et attendre qu’on veuille bien me « treuiller ». Et ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu… La drisse a filé le long du mât, aucun nœud au bout pour la bloquer avant qu’elle ne file totalement et qu’elle me reste entre les mains. De retour à la marina, je me suis proposée pour monter en haut du mat (15 mètres quand même) afin de la remettre en place…

Bref, je trouve une petit rythme de vie sympa dans la marina du Marin. Entre bricolage, petits tours en mer, soirées animées avec les copains dans les bars et restaurants pas chers du coin. Forcément, je rentre souvent de nuit au bateau. J’apprends à prendre confiance en moi au milieu des ancres, des bouées et des cayes(*) à éviter. Une caye ? C’est un haut-fond, grosso modi, une « no-go zone » même en annexe… Moi qui pensait que dans une marina, partout il y avait un minimum de profondeur, j’apprends à mes dépens que même au milieu d’un mouillage, on peut se retrouver moteur planté dans les algues et la vase dans 20 centimètres d’eau. De nuit, c’est mieux s’il vous plaît ! D’où l’importance d’avoir toujours des rames à bord !!! Et croyez-moi, tu ne les oublies qu’une seule fois !!!

Concernant encore le dinghy(*) : si vous saviez le nombre d’autres bêtises que j’ai pu faire avec… La plus drôle à raconter, c’est quand j’ai voulu pour la première fois regonfler un peu ses boudins. A l’époque heureusement, Ben était encore dans les parages. Bref, je m’installe pleine de bonne volonté dans l’annexe, la pompe à la main (pompe je précise qui n’est pas celle d’origine) et je tente d’insérer l’embout de la pompe à l’intérieur du trou prévu à cet effet. Et là, j’entends un « pffffffffffffff » continu… A moitié affolée (je me vois déjà baigner dans le port), je remets à la va-vite le bouchon comme je peux pour boucher la fuite et j’ai dû appeler Ben à la rescousse… En fait, il s’agissait juste d’un petit bitoniau qui, lorsqu’on appuie dessus en le faisant pivoter, laisse ouvert la valve. Lorsqu’on appuie juste dessus sans le faire tourner, sitôt qu’on cesse d’exercer une pression, il referme la valve. Là, en installant la pompe, j’avais dû le faire pivoter sans le vouloir (et sans savoir !)…. Je vous passe les détails concernant ma panne de moteur parce que j’avais oublié de remettre de l’essence… Bref, tous les petits moments de solitude à travers lesquels tous les voileux ou presque sont passés à un moment donné (j’avoue néanmoins que j’ai certainement dû exploser la moyenne)…

Régulièrement, je change de zone de mouillage. Quelques semaines du côté de la zone de carénage où je fais connaissance avec la faune de « Bichick », petit bar un peu « routard » avec un bon wifi où se retrouvent tous ceux qui bossent sur les bateaux dans les environs. Quelques semaines côté « nouvelle marina » avec les bars et les restaurants un peu plus orientés « touristes ». Et puis finalement un petit bout de temps côté troisième trou à cyclone(*) où l’eau est bien plus claire et plus accueillante que l’eau du reste de la marina, ce qui m’autorise des baignades régulières au cul du bateau.

C’est là-bas que je rencontrerai les amis qui vont me motiver à faire MA PREMIÈRE NAVIGATION SOLO ! Une gros cap psychologique à franchir pour moi.


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Caye : C’est une zone proche d’une côte, caractérisée par une faible profondeur, souvent en sable ou composée de corail comme une petite île basse.

Drisse : “corde” que l’on voit courir le long du mat et qui sert à hisser ou affaler une voile.

Dinghy : annexe en anglais. Les deux mots sont couramment employés pour définir la même chose. Voir la définition d’annexe plus haut.

Pare-battages : sorte de bouée gonflée d’air servant à amortir et à protéger la coque face à d’éventuels chocs sur un quai ou un autre bateau (on parle également de « défense »). 

Pied : mesure de longueur qui, comme son nom l’indique, correspond environ à la taille d’un pied humain. C’est l’une des mesures les plus anciennes de l’histoire. Un pied fait 0,3048 mètre.

Près : lorsque le voilier navigue au plus près du vent (à 45°), l’allure correspondante est le près.

Presse-étoupe : pièce garnie d’un joint assurant l’étanchéité de l’arbre de transmission. En gros (en très gros), l’hélice est fixé sur un tube (l’arbre) qui rentre dans la coque du bateau et c’est ce fameux presse-étoupe qui permet de ne pas couler par cet endroit.

Sika : abréviation de « Sikaflex » qui est une marque de colles et de mastics d’étanchéité très réputée dans le monde marin.

Tape gris : scotch gris plastifié à l’extérieur et tissé à l’intérieur très très solide. Il sert dans beaucoup de situations.

Tribord amures : On dit tribord amures quand le bateau reçoit le vent par tribord (droite en regardant l’avant du bateau).

Trou à cyclone : baie particulièrement bien protégée dans laquelle se réfugient les bateaux en cas de menace de vents forts.

Winch : avec sa manivelle, sorte de gros moulin à café sur lequel vient s’enrouler la “corde” qu’on cherche à tendre. Il permet de démultiplier les efforts.

Art. 5 – Direction Le Marin !

IMG_0500(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

A bord de Nautigirl, les larmes que j’avais retenu éclatent. Hé oui, c’est mon côté ultra émotif. Une émotion forte et je pleure… de peine ou de joie, ça fonctionne dans les 2 sens chez moi ! Bon, là c’est un mix de choc, de peur et de peine. Ici en Martinique, je ne connais pas encore beaucoup de monde alors, ne sachant vers qui me tourner, j’appelle Ben pour lui raconter ce qu’il vient de se passer. Il compatit avec moi et tente de trouver une solution. Il me propose de les suivre, lui et sa copine, jusqu’à la marina du Marin, sa prochaine destination.

Je dois alors lui avouer, penaude, que je sais pas encore gérer seule mon bateau. Je stresse déjà à l’idée de remonter l’ancre par moi-même au milieu d’un mouillage sans personne pour gérer la barre. Je m’imagine déjà en train de remonter la chaîne trop lentement et de voir Nautigirl emboutir un de ses voisins. Qu’à cela ne tienne, il se propose de venir m’aider. Banco ! Je vais pouvoir bouger de ce mouillage et m’éloigner de Pierre qui semblait se régaler d’avance de voir ma déconfiture…

Je mets un peu d’ordre à l’intérieur du bateau tout en observant Ben remonter l’ancre de son voilier et commencer à s’éloigner, son annexe(*) à couple(*) de la coque, les kayaks entreposés sur le pont. Une fois que le mouillage est dépassé, je le vois sauter dans l’annexe et venir vers moi laissant sa copine seule à bord du Sangria(*). Il me rejoint et nous attachons son esquif à l’arrière de Nautigirl. Gentiment, il se propose de remonter l’ancre pendant que je gère la barre. Nous nous éloignons tranquillement ensuite, non sans que j’ai adressé un geste d’au revoir au coéquipier de Pierre qui nous regarde. Pierre, lui, n’est déjà plus là. Je pars, fière comme Artaban, décidée à lui montrer que non, je n’ai pas besoin de lui… mais de Ben encore j’avoue, pour le moment…

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Je n’ose pas envoyer la grand-voile(*). Pierre n’a pas pris le temps de monter en tête de mât comme il s’était engagé à le faire pour vérifier ce qui clochait. Du coup, par précaution, nous envoyons seulement le génois(*). Nous laissons le moteur en support car nous sommes partis tard, le courant ne nous est pas favorable et il faut atteindre le Marin avant la nuit.

Ben communique avec sa petite amie grâce à ma VHF portable. J’apprends avec surprise qu’elle a encore moins d’expérience que moi en voile et pourtant, elle, elle n’a pas hésité à prendre le bateau seule. J’en suis impressionnée. Je suis sans doute trop frileuse…

Il nous faut quelques heures à un rythme soutenu pour atteindre le Diamant, cette fameuse petite île inhabitée au Sud-Ouest de la Martinique dont le forme, comme son nom l’indique, fait penser à une pierre précieuse. Sur le trajet, Ben me montre comment brancher mon pilote(*) automatique et nous le testons. Le cap un peu merdique que nous avons pris nous oblige à finir quasiment face au vent et face à la houle pour rentrer au Marin. Nous rentrons le génois pour finir au moteur uniquement.

La petite amie de Ben l’appelle alors à l’aide sur la VHF. Quelque chose ne va pas. L’enrouleur(*) du génois fait des siennes et elle n’arrive pas à rentrer la voile. Ben me demande alors de me rapprocher du Sangria jusqu’à ce que les deux coques soient parallèles l’une à l’autre à quelques mètres de distance à peine. Nous réduisons tant que possible la vitesse et je le vois soudainement se jeter à l’eau et rejoindre rapidement son bateau à la nage. Une fois monté à bord, il se précipite à l’avant et je le vois gesticuler autour de l’enrouleur. Visiblement, il a trouvé le problème car quelques instants après, je vois le génois s’enrouler doucement sur lui même.

Il m’appelle à la VHF et me demande de les suivre jusqu’au Marin. Il me rassure en me disant qu’il restera en contact radio avec moi jusqu’au bout et qu’il me guidera ainsi jusqu’au chenal. Je me retrouve donc seule, livrée à moi même pour la première fois sur mon bateau et finalement, je réalise que je le vis mieux que ce que j’aurais pensé. Peut être qu’après tout, il fallait ce genre d’évènement pour me faire réaliser que ce n’était pas une si grande affaire que ça…

Je les vois rapidement s’éloigner. Avec un bateau plus léger que le mien et un moteur hors bord de 8 chevaux, ils avancent bien plus vite que moi, il n’y a pas de compétition possible ! Face au vent, face au courant, mon bateau peine… Je me sens suffisamment à l’aise avec le pilote pour tenter de sortir un peu de génois et tenter de louvoyer(*) à gauche et à droite… Peine perdue… A ce train là, je crains de rentrer de nuit. Et j’ai peur de perdre le contact radio avec Ben si je traîne trop. J’augmente alors le régime du moteur et doucement mais sûrement je me rapproche de la Marina du Marin.

J’atteins enfin le chenal. Ben suit mon évolution depuis son ordinateur de bord qui traque ma position grâce à mon AIS(*). Il me guide ainsi au fur et à mesure que je progresse à l’intérieur. Lorsqu’il me sait assez proche, je le vois de nouveau s’approcher de moi à bord d’un de ses kayaks. Il monte sur le pont et m’aide à ancrer correctement le bateau. Ca y est, je suis arrivée à bon port ! Je vois le bateau de Ben un peu plus loin. Nous convenons de nous rapprocher l’un de l’autre le lendemain matin, là tout s’est fini un peu dans la précipitation, c’est assez pour aujourd’hui, qu’on me laisse me remettre de mes émotions…

Le jour suivant, un voisin passe se présenter. Je lui propose de partager un café à bord. Ben ne tarde pas à apparaître à bord de ma nouvelle acquisition, ma nouvelle annexe. Il vient m’aider à déplacer Nautigirl. Le voisin nous écoute parler de notre plan quand soudain, il nous interrompt : « Hé, les gars, vous ne pouvez pas faire un tout droit là. Y a une caye(*) au milieu, vous allez échouer le bateau si vous ne faites par le tour ! ». Ahhhh, merci de prévenir. Je regarde avec des gros yeux Ben qui, lui, a un logiciel de navigation à bord et donc des cartes censées refléter la géographie et la profondeur du lieu…

Une fois le trajet adéquat retenu, nous déplaçons Nautigirl et nous le mettons à côté du Sangria que Ben me propose de visiter. Je m’y rends sur le champ et je découvre avec ébahissement tous les aménagements qu’il y a fait à l’intérieur. C’est comme une mini-matriochka, vous savez, les poupées russes qui s’emboîtent ? Sa table à carte(*) coulisse au dessus de la banquette bâbord(*) et vient se cacher sous le cockpit(*) lorsqu’on veut libérer un maximum de place. La banquette tribord(*) abrite un véritable petit frigo de cuisine comme on en voit dans les maisons. La cabine avant, quant à elle, est une véritable chambre avec un vrai matelas mais, en amateur de musique, il y range aussi un clavier et une guitare ! Tout ça dans 7,60 mètres ! Je suis impressionnée. Il est passionné par tout ce qui touche à l’électronique, l’informatique et l’électricité et ça se voit. Son bateau est suréquipé en panneaux solaires : il en a 4 de 100 watts chacun, amovibles, qu’il déplace sur le pont au fur et à mesure du déplacement du soleil et qui explique la présence de ce véritable frigo à l’intérieur du bateau. Il me propose d’ailleurs de m’aider à faire quelques modifications sur l’alimentation électrique de Nautigirl qu’il juge bien trop faible. Cool ! Je vais pouvoir réviser mes cours d’électricité du lycée !

BIENVENUE AU MARIN !


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PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

AIS : c’est l’abréviation d’Automatic Identification System. Il s’agit d’un système d’identification automatique, anti collision qui va envoyer des informations sur la position, le cap et la vitesse d’un bateau.

Annexe : C’est une petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau en mouillage.

Bâbord : en bateau, on ne dit pas gauche, on dit « bâbord », c’est la gauche du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Caye : C’est une zone proche d’une côte, caractérisée par une faible profondeur, souvent en sable ou composée de corail comme une petite île basse.

Cockpit : c’est l’emplacement à l’arrière du navire où se situe le barreur.

Enrouleur : pour faire simple, c’est le tube autour duquel s’enroule la voile d’avant.

Génois : c’est une voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Grand-voile : c’est la voile principale du navire, hissée sur le mât.

Louvoyer : faire du zig-zag en bateau, un bord d’un côté et un bord de l’autre pour remonter au vent (face au vent, impossible d’avancer bien évidemment)

Pilote automatique : comme son nom l’indique, c’est un dispositif qui permet de piloter le bateau sans intervention humaine. Très pratique lorsqu’on a pas envie de barrer soi-même !

Sangria : C’est le nom d’une série de voiliers construits en résine polyester par Jeanneau de 1970 à 1983. Destiné à la croisière côtière, il fait partie des voiliers qui ont démocratisé la voile en France.

Table à carte : c’est une table située à l’intérieur du bateau et destinée à y étaler les cartes marines.

Tribord : en bateau, on ne dit pas droite, on dit « tribord », c’est la droite du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

Art. 4 – Et maintenant, je fais quoi ?

IMG_0499(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Le jour J est arrivé ! Pierre est là, prêt à m’assister pour le premier déplacement de mon bateau. A l’heure actuelle, il m’est encore inimaginable de manœuvrer moi-même Nautigirl. Cela semble ironique mais c’est vrai. Je suis consciente tout de même qu’il va vite falloir me mettre dans le bain…

Pour le moment, j’essaie de me concentrer sur la dernière mission à mener à bien avant de quitter la marina : le grattage de la coque. Les longs cheveux verts qui stagnent à la surface de l’eau laissent imaginer l’épaisseur de verdure qui doit l’envelopper et qui ralentira atrocement l’allure si l’on ne s’en occupe pas avant.

Rien qu’à l’idée que je vais faire trempette volontairement dans l’eau polluée du port me dégoûte déjà… Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces bateaux soigneusement alignés les uns à côtés des autres… Autant de toilettes dont il faut bien évacuer les déchets quelque part… et tous ne sont pas équipés de réservoirs à eaux noires et Nautigirl fait partie de ceux là… Beurkkkkkkk !

Nous sommes parés. Masques et tubas sur la tête. Une raclette chacun. Nous sautons à l’eau. Chacun s’occupe d’un côté pour aller plus vite. Je racle consciencieusement l’antifouling(*) en essayant de ne pas laisser courir mon imagination qui a tendance à devenir débordante dans une eau opaque. En Polynésie, j’étais capable de nager au milieu des requins sans éprouver de frayeur parce que la mer est limpide et ici, j’aurais presque peur de mon ombre car on y voit pas à plus d’un mètre… Je laisse à Pierre le soin de s’occuper de la quille… des deux côtés… Ca m’angoisse de sonder plus en profondeur… Un coup de brosse métallique sur l’hélice et son arbre et nous ressortons nous rincer soigneusement à l’eau douce sur le ponton. J’ai l’impression de sentir ma peau me démanger. Mon imagination court de nouveau. J’espère que je n’aurais pas la surprise de me voir pousser de gros boutons purulents suite à ce passage prolongé dans ce bouillon de culture.

Cette fois-ci, nous sommes prêt ! Je vais enfin naviguer pour la première fois avec mon bateau. J’ai honte de dire cela parce que, normalement, quand on achète un voilier, on demande à faire un tour avec, on ne se contente pas de le regarder, bref, on l’essaye… Et bien, ça ne m’était même pas venu à l’idée !!! Je croise les doigts pour ne pas découvrir un défaut majeur.

Anxieuse, je largue les amarres et Pierre nous dirige hors du méandre que constituent les différents pontons de la marina. Nous sortons enfin de l’enclave et prenons la direction des Anses d’Arlet à quelques milles nautiques de là. Je me repose complètement sur lui pour nous orienter car je n’ai encore aucun logiciel de navigation à bord et je ne connais pas la côte. Incapable de reconnaître le paysage que je vois défiler, je me laisse donc guider.

Je reprends la barre pendant que Pierre tente de hisser la grand-voile(*). Il trouve qu’elle est difficile à hisser sur les derniers mètres. Il faudra qu’il monte au mat pour aller voir me dit-il. Ok, super… un premier problème à régler… Nous déroulons le génois(*) et je suis surprise de constater à quel point il recouvre une grande partie de la grand-voile. Nous coupons le moteur et nous commençons à tirer quelques bords. Je profite des conseils de Pierre qui est également moniteur de voile. Le bateau réagit bien. Je suis heureuse !

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Nous atteignons rapidement les Anses d’Arlet. Je vois les mâts dépasser au loin indiquant l’emplacement du mouillage. Nous nous glissons entre les bateaux à la recherche de celui de Pierre qui me guide pour ancrer correctement. Ca y est, les deux jumeaux sont l’un près de l’autre. La copie du mien présente une coque bleue foncée, pas de portique à l’arrière ni de capote mais il a bien la même ligne effectivement. Je gonfle l’annexe(*) pliable que j’ai à bord et nous ramons jusqu’à terre pour fêter l’évènement avec le coéquipier de Pierre que nous récupérons au passage.

La fin de la semaine arrive vite. Je rencontre Ben à bord d’un voilier de 7,60 mètres de type Sangria(*). Il a traversé l’Atlantique sur son mini-bateau en compagnie de deux autres équipiers qu’il a débarqué au Marin, au sud de la Martinique. A l’heure actuelle, il vit à bord avec sa copine. Il cherche à vendre son zodiac motorisé car il préfère se déplacer en kayak. Pas besoin de gonfler quoi que ce soit, pas d’essence à acheter, pas de panne à résoudre et donc plus d’économie de temps et d’argent à terme. Il vient d’ailleurs d’acheter deux magnifiques kayaks flambants neufs qui trônent sur de chaque côté du pont.

Et justement, moi, je n’aime pas mon annexe et son fond souple à latte. Elle faisait partie de l’équipement fourni à l’achat avec le bateau. Chaque fois que je grimpe à l’intérieur, j’ai l’impression que les lattes vont péter sous mon poids et que je vais traverser le fond souple. L’annexe de Ben, elle, a un plancher gonflable qui, bien gonflé, imite presque un plancher rigide. Et ça semble être solde car je vois même Ben, avec 80 kilos, sauter dedans depuis le pont de son bateau, sans sourciller. Et son petit moteur me fait envie également. Mon annexe n’est pas motorisé. C’est tout à la rame et je n’ai pas de dames de nage(*) du coup, il faut soit ramer à deux, chacun une rame de son côté, soit ramer à l’avant seul en pagayant une fois à gauche, une fois à droite (pas très efficace…). Et un 4 temps Yamaha de 2,5 chevaux qui pèse dans les 13 kilogrammes, c’est facile à porter et à déplacer pour moi.

Je fais part de mes projets à mon conseilleur qui semble vouloir apporter son grain de sel dans tout ce que je fais, quitte à prendre les décisions à ma place… Ben a prévu de quitter le mouillage le lendemain matin, dimanche, et Pierre, qui n’est pas disponible de la journée, me propose d’aller voir ensemble l’annexe et son moteur juste avant son départ, à 8h00. Ok… Le soir même, je les vois, lui et son coéquipier, se faire entraîner par une troupe surexcitée dans une fiesta à quelques kilomètres de là tandis que moi, je décide de rester tranquillement à bord de mon voilier à bricoler.

Le lendemain matin, je vois le temps défiler sans réussir à joindre Pierre. Personne sur son bateau. Vers 9 heures, je décide de partir à sa recherche à terre et, en route, je croise son coéquipier en train de nager dans ma direction, un sac plastique sur la tête et nu comme un ver. Je l’interpelle en faisant semblant de ne rien remarquer. Il ne sait pas où est Pierre. Ils étaient ensemble jusqu’à très tôt ce matin, ensuite il a suivi une copine et il l’a perdu de vue. Là, il ne souhaite plus qu’une seule chose, c’est d’aller dormir pour récupérer. Et il nage tout nu avec ses affaires bien au sec dans le sac qu’il a sur la tête car quelqu’un lui a piqué le short de bain qu’il portait hier pour nager jusqu’à la plage, qu’il avait pourtant planqué et laissé sécher dans une barque qui trainait là bas. Et non, il n’avait pas eu envie de tremper son jean…

Ben m’appelle sur mon téléphone. Il est pressé de partir. Du coup, je décide d’aller le voir pour traiter en tête à tête. Re-belote. Je me trouve de nouveau devant un objet que je souhaite acheter sans avoir les connaissances techniques nécessaires. Ca commence à bien faire… Après tout, je me suis débrouillée seule pour le voilier, Ben a l’air honnête, on verra bien.

Il m’emmène faire un petit tour avec lui pour tester le Yamaha. Démarrage au quart de tour, pas de raté. Il soulève le capot et dévoile l’intérieur du moteur qui a l’air vraiment propre comme s’il venait d’essuyer méticuleusement chacune des pièces avec un chiffon. Ca m’impressionne. Il m’assure qu’il fonctionne bien, qu’il l’a toujours entretenu lui-même et qu’étant électro-mécanicien de métier, il sait ce qu’il fait. Je veux bien le croire. Vraiment je suis tentée… Et son annexe date de l’année précédente, elle est donc récente et devrait résister longtemps aux UV agressifs du soleil. Vraiment ce combo zodiac et moteur est tentant. Et puis je suis certaine de pouvoir facilement revendre ma propre annexe plus tard. « Ok, tope là, je t’achète l’ensemble !!! ».

Je reviens sur Nautigirl toute heureuse. Je réalise alors que Pierre et son coéquipier sont en train de prendre le café ensemble sur leur bateau. Je plonge à l’eau pour les rejoindre et me faire inviter. Enthousiaste, je leur explique la situation. Et là, encore, je vois Pierre changer d’attitude. Au lieu d’être heureux pour moi, il semble me reprocher de ne pas l’avoir attendu (deux bonnes heures quand même…. un rendez vous à 8 heures du matin, honoré à 10h… là le soit-disant « délai légal du retard martiniquais » était arrivé à expiration d’après moi…), de n’en faire qu’à ma tête et que si c’est comme ça, il récupère ses outils sur mon bateau et que je n’ai plus qu’à me débrouiller seule.

Choquée et interdite devant son attitude que je ne comprends pas, je tente de m’expliquer. Je l’ai attendu, il n’était pas disponible et je ne voulais pas laisser passer une bonne affaire, ça se comprend, non ? Et puis quoiqu’il arrive, je suis adulte, non ? Si je fais une erreur, et bien tant pis pour moi, où est le problème ? Pourquoi le prend-t-il mal ?Impossible de lui faire entendre raison… Je ne comprends pas la brutalité de sa réaction, ni de ses paroles. Je suis dégoûtée et je ne peux m’empêcher de penser qu’il a véritablement un problème avec ses sautes d’humeur inexpliquées…

Enervée, je lui réponds alors que si telle est sa décision, pas de souci, je me débrouillerai. Et sans attendre sa réponse, je saute à l’eau pour rejoindre mon voilier à la nage. Trois minutes après, il me rejoint, attrape les 2 ou 3 outils qui lui appartiennent et remonte sur son annexe. Il se tourne alors vers moi en me lançant avec un sourire de défi un « bonne chance » bien narquois et il s’éloigne…

ET MAINTENANT, JE FAIS QUOI ?


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PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Annexe : petite embarcation, à rame ou à moteur, permettant de faire les allers retours entre le port ou le rivage et le bateau au mouillage.

Antifooling : peinture couvrant la partie immergée de la coque et contenant des produits toxiques destinés à empêcher le développement des mollusques et des algues.

Dames de nage : rien à voir avec des femmes en train de nager, non ! c’est un objet, parfois en forme de fer à cheval à l’envers, qui sert à fixer une rame sur l’annexe.

Génois : c’est une voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Grand-voile : c’est la voile principale du navire, hissée sur le mât.

Sangria : nom d’une série de voiliers construits en résine polyester par Jeanneau de 1970 et 1983 destinés à la croisière côtière et faisant partie des voiliers qui ont démocratisé la voile en France.