Art. 13 – Retour vers le Marin

(Tous les mots suivis d’un * sont expliqués dans le glossaire figurant au bas de l’article)

Désormais diplômée de mon Yachtmaster Offshore(*), je compte désormais tranquillement remonter vers la Martinique mais pas avant d’avoir donné un coup de main à Vincent qui veut changer ses haubans(*). C’est un travail plus facile à réaliser à deux. Malheureusement, dans la foulée, il se fait un lumbago qui repousse d’une bonne semaine son projet et, par conséquence, mon départ…

Dès que son dos lui permet, nous prenons la direction de Prickly Bay(*) où se trouve un shipchandler(*) chez lequel il pourra se fournir en haubans neufs. Arrivés à bon port, je le rejoins sur son voilier pour commencer le démontage. Chacun en charge d’un côté, nous commençons à dévisser les ridoirs(*) en comptant les tours. Le mât est sécurisé avec des drisses(*) pour éviter tout risque de chute. Dès que c’est fini, Vincent file avec au magasin tout proche pour en obtenir de nouveaux.

Dans l’après-midi, je le rejoins seulement pour apprendre qu’il n’a pas pu se procurer de matériel neuf. Impossible d’avoir le bon modèle de sertissage. Argggghhhh !!! Il n’y a donc plus qu’à remonter les anciens. Je grommelle dans mon coin. C’était bien la peine de tout démonter pour rien après avoir attendu plus d’une semaine. Bon, en même temps, je n’avais pas de délai spécifique à respecter, alors nul mal n’a été fait…

Dès le lendemain, je suis enfin libre de remonter en Martinique. Mon but est de faire un trajet non-stop jusqu’au Marin. Cela représente grosso modo 180 milles nautiques (333 kilomètres). A 5 nœuds de moyenne, cela représente 36 heures de navigation dont 2 nuits complètes. Ce sera mon plus long trajet sur Nautigirl en solitaire. Jusqu’à présent ma plus longue navigation seule à bord, c’est un jour et une nuit consécutive. Cela représente donc un vrai challenge pour moi. D’autant plus que j’appréhende toujours autant l’obscurité en bateau.

Je vais pouvoir tester l’autopilote(*) que Vincent m’a récemment aidé à réparer, un Autohelm ST2000+. L’un des pignons du mécanisme s’était libéré de son emplacement, empêchant le vérin de fonctionner. Je comptais initialement le faire réparer chez un professionnel mais Vincent s’était proposé de jeter un coup d’œil et il avait tout de suite compris le problème. Il avait donc remis en place le pignon sur l’axe du moteur et tout remonté en m’expliquant comment faire si ça devait encore une fois arriver. Je vais pouvoir tester son bon fonctionnement désormais !

Le temps de ranger le bateau, de remonter le moteur hors-bord et de stocker l’annexe sur le pont, je ne pars que tard dans l’après-midi de Prickly Bay. Au moment même où je hisse la grand-voile sous pilote, je me rends compte qu’il y a déjà un problème : ce dernier fait des grincements horribles avant de s’immobiliser après quelques derniers soubresauts. Je suis obligée de le déconnecter pour barrer à la main. Et ce n’est pas tout ! En remontant vers la pointe sud de l’île de Grenade(*), je me rapproche du vent et je dois donc border mon génois(*) : je me rends compte alors que mon winch(*) bâbord(*) vient de se bloquer. Et quand je dis bloqué, c’est totalement bloqué, oui ! Il ne bouge plus d’un millimètre. C’est pourtant celui qui me sera utile tout le long de la traversée jusqu’en Martinique car avec un vent d’Est, cela signifie un unique long bord avec la voile toujours du même côté, à bâbord justement…

Et les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là… Après avoir mis en place mon deuxième pilote, un Raymarine SPX 5, je me rends compte que lui aussi fait des sienne. Le vérin semble réagir puisque passant du mode « Stand by » (Off) ou mode « Auto » (On), il ajuste la barre de quelques millimètres à gauche et à droite pour conserver le bon cap mais si je tente d’ajuster la route de quelques degrés en appuyant sur + ou – 1 ou sur + ou – 10, le pilote semble vivre sa vie comme s’il ne recevait pas mes indications… Super… Comment vais-je faire ?

Je m’énerve toute seule sur le bateau. Le stress monte. Je m’arrête à la première baie possible, celle de George’s Bay(*) où j’ai passé le plus clair de mon temps durant ma formation de Yachtmaster la semaine précédente. L’obscurité s’est déjà installée. Par sécurité, vu le nombre de bateaux qui oublient de mettre leur feu de mouillage pour se signaler, je jette l’ancre dès que la profondeur me paraît raisonnable.

Nautigirl est à l’arrêt attendant les décisions de son skipper. Les voiles sont affalées. Et moi, frontale sur le front, je suis en train d’essayer désespérément de faire tourner ce maudit winch qui me résiste. Rien n’y fait. Le démontage commence alors, rapidement interrompu quand je réalise qu’à peine la poupée(*) retirée, je suis coincée… Je vois bien que les deux pignons censés pivoter sur eux-mêmes sont totalement figés. Mais pour pouvoir les nettoyer, il faudrait que j’arrive à retirer l’axe central. Or, ce n’est pas une vis qu’il me suffirait de dévisser. C’est un truc creux. J’ai l’impression qu’il faut justement y mettre une vis du bon diamètre et tirer dessus pour pouvoir le retirer. Dans ma boite à vis fourre-tout, j’en ai une du bon diamètre. Je tente de l’insérer et avec une pince de faire levier. Rien ne bouge. J’essaie de bricoler un truc avec un écrou mais sans succès encore une fois. Et j’ai peur de foirer le pas de vis, de la péter ou de créer un problème encore pire. Si je ne peux rien faire par le dessus, je vais tenter par le dessous !

Le coffre bâbord est vidé en quelques secondes et je me saute dedans pour commencer à dévisser les 6 boulons qui retiennent le winch. Bientôt, ils sont tous dans ma main. Le temps de les poser dans un petit container et d’éviter d’en perdre à cause des mouvements du bateau, je m’arc-boute sur le winch pour le faire basculer mais il semble être scotché au pont. Pourtant, plus rien ne le retient. Hormis peut-être du sika ? Je tente d’insérer une lame de cutter entre la base du winch et le pont. Sans succès… Il n’y a même pas assez d’espace pour me le permettre. J’entoure le winch d’un cordage, fait un nœud et à l’aide de l’autre winch, je le tends au maximum pour tenter de faire basculer ce foutu winch. Aucun résultat…

C’est le moment que choisit un très bon ami de Martinique pour m’appeler, un marin. Je lui explique mes difficultés et quand il me lance subitement un « ça a pas l’air d’aller ! », je ne retiens plus mes larmes… Il m’achève (sans le vouloir, je le sais) lorsqu’il rajoute « Ah bah dis donc, t’as pas le mental pour traverser le Pacifique… ». De fierté, je ravale le reste de mes larmes, lui pose quelques questions et raccroche le téléphone. De dépit, ensuite, je pars dans la cabine avant où j’ai stockée une cartouche de cigarettes que je réserve pour ce même ami. Moi qui ai arrêté pour une énième fois de fumer il y a 3 semaines à peine, j’ai besoin d’une petite aide psychologique !

J’ouvre un paquet, allume une cigarette qui me file à moitié la nausée et regarde mon winch désabusée. Je décide finalement de cesser de lutter et de remonter le winch récalcitrant tout en l’arrosant copieusement de WD40(*), ça ne pourra pas lui faire de mal. Et puis, je décide d’aller dormir après un rapide dîner et une nouvelle cigarette. Je suis juste profondément dépitée…

Le lendemain, mon mug de café à la main, je manipule nonchalamment le winch. Miracle !!! il bouge !!! Il semblerait que le WD40 ait agi pendant la nuit ! Je ne veux pas savoir, ni comment. J’espère juste que ça va fonctionner jusqu’à mon retour en Martinique. Côté autopilote, pas d’évolution. Je vais faire avec le SPX 5 en veillant à lui donner le moins possible d’instructions et on verra bien ce que ça donnera. Il aura peut-être meilleur caractère aujourd’hui.

Un peu plus tard, la grand-voile est hissée, le génois déployé, je prends enfin la direction de la Martinique. Mon autopilote (le seul viable), malgré son manque de réactivité, me permet tout de même de me reposer de temps à autre. De toute manière, rien n’y fait, impossible de fermer les yeux plus de 5 minutes. Je me suis pourtant fabriqué un petit coin bien confortable dans le cockpit grâce à quelques coussins waterproof. Mais la moindre vague éclatant un peu fortement sur la coque, le moindre écart du bateau met tous mes sens en émoi. Et je serais sûrement mieux à l’intérieur pour me reposer si je n’avais pas un sentiment constant de nausée à chaque fois que je passe trop de temps en bas… Donc pas le choix… C’est dehors ou rien…

La journée s’écoule sans souci. Mon trajet suivant les côtes des îles, je capte internet tout le long du trajet et c’est comme ça que j’apprends que durant cette nuit du 13 au 14 décembre 2017, j’assisterai aux premières loges à une pluie de météores. Et les conditions d’observation seront plus que favorables avec l’absence de la Lune la majeure partie de la nuit !

images2Effectivement, j’assiste à un superbe spectacle. Seule au milieu de la mer, j’ai l’impression d’avoir réservé un Planétarium juste pour moi. Le spectacle m’en fait oublier mon appréhension habituelle de la nuit. Allongée sur un bout de matelas dans le cockpit, je compte les étoiles filantes sans oublier de me lever régulièrement pour faire un tour d’horizon et vérifier qu’il n’y a aucun bateau dans les environs. Un beau croissant de lune fait son apparition à la fin du spectacle bientôt suivi d’un beau lever de soleil. Ces magnifiques images qui se sont succéder durant la nuit me font regretter de ne pas avoir d’appareil photo digne de ce nom pour partager ces couleurs uniques. J’en oublierai presque ma fatigue alors que j’ai à peine dormi depuis mon départ.

Il est l’heure du café lorsque, sous le vent d’une île, je me fais surprendre par deux sauts énormes d’un tout petit dauphin. On aurait dit un mini-dauphin, presque un jouet !!! C’est la première fois que j’en vois un si minuscule. Les adultes, eux, se contentent de me dépasser en nageant sagement. Décidément, cette navigation est pleine de surprises !

La seconde journée s’écoule doucement. Bientôt le soleil est haut dans le ciel et tape de plus en plus fort. Malgré la chaleur, je me couvre le plus possible le corps et le visage pour éviter de vilains coups de soleil.

La fatigue se fait de plus en plus sentir. D’une manière presque militaire, je m’oblige à me relever toutes les 20 minutes pour contrôler les alentours. Entre temps, j’essaie de me reposer mais entre le soleil, le bruit et le mouvements des vagues, rien n’y fait, j’ai vraiment du mal à dormir quelques minutes.

IMG_0829La nuit tombe alors que je longe la côte sous le vent de l’île de Sainte-Lucie(*). J’ai tellement hâte d’arriver à bon port pour pouvoir réellement dormir ! En attendant, pour me tenir éveillée, j’ai la musique à fond dans le cockpit grâce à mon iPod et un haut-parleur étanche. Et je n’oublie pas de scruter régulièrement les alentours à la recherche de feux de navigation qui signifieraient des bateaux à proximité. Mais rien. Tout va bien.

Soudain, j’aperçois pour la première fois une lumière blanche haute dans le ciel. Mon imagination et mon cœur s’emballent ! Je suis certaine qu’un énorme cargo est prêt à me passer dessus tellement il est proche ! Mais comment ai-je pu ne pas l’apercevoir avant ? J’éteins subitement la musique, certaine d’entendre le bruit d’un moteur, d’un déplacement d’eau. Rien ! J’essaie d’éclairer les alentours avec ma frontale mais dans la nuit noire, forcément, je ne vois pas grand chose. J’éclaire ma grand-voile avec ma frontale pour me signaler ne sachant pas quoi faire d’autre mais je vois toujours cette lumière qui semble se rapprocher. Une lumière blanche unique. Aucune autre. Pas de feux de navigation rouges ou verts, juste une lumière blanche. Je commence à paniquer. Je ne peux compter que sur moi pour identifier ce que je vois puisque je suis seule à bord et je ne comprends pas ce que c’est. Mon ipad sur lequel apparaît la trace de ma navigation n’est pas lié à mon AIS du coup, je fonce à l’intérieur pour allumer mon ordinateur que je peux, lui, connecter à l’AIS par un port USB. Forcément, quand je tente de l’allumer, je réalise qu’il n’a plus de batterie. Vite, trouver le bon câble, vite, le brancher, vite, réanimer l’ordi. Rapidement, je vois la position des autres bateaux ayant un émetteur AIS autour de moi. J’ai les mains qui tremblent de précipitation et de tension. Rien. Aucun bateau identifié à proximité. Ça ne me calme pas pour autant. Je ne comprends rien de ce que je vois et la nuit est sombre, si sombre !!!

Je ressors et oriente une nouvelle fois la lumière de ma frontale sur ma grand-voile tout en regardant anxieusement en direction de cette lumière qui me semble si proche et si menaçante. Soudain, elle semble s’éloigner à toute allure avant de disparaître et que deux petites lumières rouges et vertes apparaissent à sa place. Je réalise soudainement, à la manière donc l’ensemble se déplace, qu’il s’agit d’un hélicoptère. Mais étonnamment, je n’entends pas le bruit de ses pales !!! Pourtant ça devrait faire un bruit de dingue ce genre de machine normalement ! Dans le cas présent, je n’entends que le bruit du vent. Rassurée d’avoir compris ce que c’était, même si je n’arrive pas à saisir comment il est possible que je n’entende pas son moteur, je peux éteindre ma frontale, refermer mon ordinateur et sentir la course effrénée de mon cœur ralentir. L’avantage de cette mésaventure, en tout cas, c’est que j’en ai subitement oublié ma fatigue !

J’entame enfin la traversée du canal séparant Sainte-Lucie et la Martinique. Comme d’habitude, je remonte le plus au Nord possible d’île en m’aidant au moteur pour espérer ne faire qu’un seul bord malgré le courant qui me repousse vers l’Ouest. Malheureusement, je réalise rapidement que, pour cette fois, l’orientation du vent et le courant vont m’obliger à tirer des bords… Je râle à voix haute. Ça signifie une route rallongée et forcément quelques heures de plus de navigation…

Tout au long de la traversée du canal, j’ai beau serrer le vent au plus près, la pointe sud de la Martinique s’éloigne de plus en plus. J’ai presque peur de finir au niveau de Fort-de-France !!! Finalement, à 3 heures du matin, j’atteins le Diamant(*). Je vois Saint-Anne(*), où plutôt je devine l’emplacement du mouillage a à peine à 9 milles de là ! J’ai tellement hâte d’arriver et de fermer les yeux…

Je vire de bord avant d’atteindre les hauts-fonds du Diamant indiqués clairement sur Navionics. Je sais que mon tirant d’eau me permettrait de passer dessus mais je crains surtout les casiers de pêcheurs.

Je tire ensuite bords sur bords mais entre la houle que j’ai presque de face et le vent qui forcit, la vitesse de croisière tombe drastiquement. Et malgré le jour qui pointe, la luminosité peine à poindre en raison du grain qui s’apprête à me tomber dessus. D’épais nuages gris et noirs semblent m’attendre au-dessus du mouillage de Saint-Anne sur lequel je comptais m’arrêter. Et comme je suis trop lente à me déplacer, ils décident de venir à ma rencontre ! Je file récupérer une veste à l’intérieur pour me couvrir et referme par précaution la porte du carré(*). De larges trainées dans le ciel laissent, en effet, déjà deviner l’épaisseur du rideau de pluie sous lequel je vais bientôt me retrouver…

Il est presque 6 heures du matin et au rythme auquel je me déplace, en raison des bords incessants que je suis obligée de tirer, je n’ai couvert que 6 milles depuis le Diamant, soit une vitesse de déplacement (en ligne droite) de 2 nœuds environ. Il est temps d’allumer le moteur pour soutenir un peu la vitesse sinon, j’en ai encore pour un bon bout de temps…

Le vent monte. Les premières rafales se font ressentir juste avant que la pluie n’arrive. Les gouttes tombent drues pendant plusieurs minutes. Je réalise rapidement d’ailleurs que ma veste de quart Décathlon n’est pas aussi waterproof qu’elle devrait ! Heureusement, la pluie n’est que passagère.

Je renonce à m’ancrer dans le mouillage de Saint-Anne. Désormais, je veux juste me poser quelque part, dormir et ne pas à avoir à re-bouger dans les heures qui suivent pour faire ma clearance(*). Je décide donc de viser directement la baie du Marin que je finis par atteindre à 7 heures du matin. Il était temps ! Mais ce n’est pas fini, il faut encore que je trouve un endroit où poser mon ancre. Et avec les 25 nœuds de vent qui soufflent à l’heure actuelle, il faut être attentive. Hors de question de mal gérer le mouillage et de devoir remonter l’ancre et de recommencer. Je tente de trouver une petite place près des pontons et de la capitainerie mais c’est peine perdue. Trop de bateaux, trop peu d’espace de libre… Du coup, je sélectionne un endroit près d’un trou à cyclone relativement bien protégé du vent.

Il est 8 heures quand je peux enfin me jeter sur la banquette pour faire une petite sieste. Sieste qui durera finalement 6 heures après 44 heures de navigation solo, 2 jours en mer et 171 milles nautiques, ce qui représente une moyenne de 3,88 nœuds au lieu des 5 prévus… Trop optimiste, j’avais oublié de prendre en considération les bords nécessaires si la direction du vent n’était pas favorable et le temps passé sous le vent des îles où le vent est généralement très faible. Peu importe, l’essentiel, c’est de l’avoir fait et d’être bien arrivée. Mon record personnel à ce jour ! Et visiblement, je ne suis pas encore prête pour la mini-transat… Comment font-ils pour gérer leur sommeil ?!? Un aspect à améliorer chez moi…


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A très vite !


PS : Cette histoire raconte ce que j’ai vécu mais afin de respecter l’anonymat des personnes qui ont croisées ma route, j’utilise des prénoms d’emprunt – sauf autorisation expresse obtenue de leur part.


GLOSSAIRE :

Autopilote ou pilote automatique : dispositif de guidage automatique d’un bateau sans intervention humaine.

Bâbord : en bateau, on ne dit pas gauche, on dit « bâbord », c’est la gauche du bateau lorsque se situe à l’arrière et qu’on regarde vers l’avant.

 

 

Carré : pièce intérieure du bateau où l’on peut se réunir.

Clearance : faire sa clearance, c’est faire les démarches douanières nécessaires pour entrer ou sortir d’un pays.

Diamant : célèbre rocher à 4 kilomètres de la côte sud/sud-ouest de la Martinique. Abrupt et haut de 175 m, celui-ci fut conquit, fortifié et habité pendant 17 mois par les Anglais au début du 19è siècle avant d’être repris par les Français.

Drisse : « corde » que l’on voit courir le long du mat et qui sert à hisser ou affaler une voile.

George’s Bay : port et mouillage au sud-ouest de l’île de Grenade.

Génois : voile d’avant avec un recouvrement important de la grand-voile (i.e, le point d’attache des écoutes est bien en arrière du mât).

Grenade : principale île de l’État de Grenade dans le sud des Antilles. La population est d’environ 100.000 habitants.La Grenade est surnommée « l’île aux épices » (Island of Spice) pour sa cannelle, ses clous de girofle, son curcuma et surtout le macis et la noix de muscade.

Haubans : câbles qui soutiennent latéralement le mât, reliant les hauts du mât au pont du bateau.

Poupée : c’est le corps externe du winch, ce sur quoi on enroule le cordage.

Prickly Bay : mouillage au sud de l’île de Grenade.

Ridoir : dispositif permettant de fixer un câble à une partie fixe avec la possibilité de régler la tension dudit câble.

Sainte-Anne : mouillage / commune au Sud de la Martinique à la sortie du chenal menant au port du Marin (autre commune du Sud de la Martinique).

Sainte-Lucie (Saint Lucia en anglais) : état insulaire des Antilles situé entre, au sud, les îles de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, au sud-est, la Barbade et au nord, la Martinique.

Shipchandler : commerce de fournitures pour bateaux.

WD 40 : produit magique que tout le monde ou presque a à bord d’un bateau. Il protège le métal de la rouille et de la corrosion, il décoince des pièces coincées, il repousse l’humidité et il lubrifie quasiment tout. Il élimine même la graisse, la saleté de la plupart des surfaces. Magique, je vous dis !!!

Winch : avec sa manivelle, sorte de gros moulin à café sur lequel vient s’enrouler la « corde » qu’on cherche à tendre. Il permet de démultiplier les efforts.

Yachtmaster Offshore : formation de skipper anglo-saxonne.

 

Portrait 6 – Laura DEKKER, une ado qui n’a pas froid aux yeux

Je suis arrivée il y a quelques semaines sur l’île de Saint-Martin, l’île où Laura DEKKER, une adolescente néerlandaise, a bouclé le tour du monde à la voile, en solitaire avec escales en janvier 2012 à l’âge de 16 ans et 123 jours. Ceci a fait d’elle la plus jeune navigatrice à réaliser le tour du monde, battant de 8 mois le précédent record détenu par l’australienne Jessica WATSON qui, elle, reste toutefois la plus jeune navigatrice à avoir effectué un tour du monde à la voile sans escale en passant par les trois caps ! Des records établis mais non reconnus par les organes officiels qui refusent d’attribuer des records à des mineurs d’âge, pour éviter toute tentative dangereuse de record.

Pour réaliser son rêve, L aura a dû se battre farouchement. En effet, en 2009, à 13 ans, elle elle affiche déjà son intention de faire le tour du monde seule et sans assistance avec un départ qu’elle prévoit au mois de septembre. Malheureusement pour elle, les services de la protection de l’enfance s’opposent à cette idée qu’ils jugent trop dangereuse, les garanties présentées pour sa sécurité leur paraissant insuffisantes. Ils obtiennent donc la suspension du départ grâce à une mesure de justice.

Butée, Laura encourage ses parents à se battre avec elle devant les tribunaux pour prouver qu’elle a les capacités mentales et physiques pour réaliser son rêve.

Au bout de 10 mois de procédures, elle finit par gagner. Le tribunal rejette en juillet 2010 la demande de prolongation jusqu’en août 2011 du placement de la jeune fille sous la surveillance du Conseil de protection de l’enfance. Ce dernier renonce à interjeter appel contre cette décision. Il convient que ce sont les parents de Laura qui portent la responsabilité finale concernant leur enfant même s’il considère qu’un enfant de 14 ans ne devrait pas être exposé aux risques inutiles que comporte un tel voyage en solitaire.

Laura a le feu vert ! Il faut dire qu’elle a de l’expérience malgré son jeune âge. Son père est constructeur de bateaux et il a navigué au long cours pendant 7 années avec sa mère qui a donné naissance à Laura en Nouvelle-Zélande sur le bateau ! Elle navigue depuis son plus jeune âge. Quand ses parents divorcent en 2002, elle a 6 ans et elle décide de vivre avec son père aux Pays-Bas où elle continue à faire de la voile sur des bateaux de plus en plus grands. Elle commence par un Optimist, puis un dériveur de type « Mirror ». A 10 ans, elle veut un voilier avec une cabine. Ce sera donc un Hurley 700 qu’elle emprunte à son propriétaire pour faire ses premières longues distances en solo dans les eaux néerlandaises avant d’acheter le sien. A 13 ans, sur son Hurley 700, elle navigue seule jusqu’en Angleterre où elle est arrêtée par la police britannique sous les ordres des autorités hollandaises qui considèrent qu’elle n’aurait pas dû faire une telle navigation solo. Elle est remise aux mains de son père qui a été enjoint de se rendre en Angleterre et celui-ci l’autorise à repartir seule à la voile aux Pays-bas ! En effet, il sait ce que vaut sa fille et il l’a toujours encouragé. Elle commence alors à préparer son tour du monde. Cela commence par la recherche d’un bateau plus grand. Le Hurley 700 est bientôt vendu pour faire place à un Hurley 800 offert par un sponsor. C’est à cette période que le Conseil de protection de l’enfance commence à s’intéresser à son cas d’un peu trop près et les autorités lui retirent même son bateau. Laura ne se laisse pourtant pas abattre. Elle trouve sur internet un Dufour Arpège de 9 mètres en vente sur l’île de Saint-Martin et elle décide, sans rien dire à personne, de se rendre là-bas pour l’acheter. Elle retire ainsi 3.500 euros de son compte d’épargne et laisse juste une note à son père avant de partir en train à Paris d’où elle prend l’avion pour l’île des Caraïbes. Sur place, elle contacte le broker chargé de la vente du voilier et au-moment de signer les papiers, elle voit la procédure interrompue lorsque ce dernier est averti d’un mandat international de recherche pour Laura. Il est obligé de l’accompagner au Yacht-Club tout proche où l’attend la police locale qui la renvoie aux Pays-Bas sous escorte. Cela ne va pas arranger ses déboires avec la justice et cela l’empêche d’obtenir de nouveaux sponsors. Toutefois, elle n’abandonne pas son rêve. Elle travaille dur pour répondre à plusieurs demandes des juges : elle obtient notamment son brevet de secourisme, elle suit une formation sur la gestion du sommeil, elle s’assure de pouvoir poursuivre sa scolarité pendant son tour du monde grâce à des cours par correspondance. Sa famille puise dans ses propres économies pour lui permettre d’acheter un vieux Gizz Fizz, un ketch (voilier à 2 mâts) de 11,50 mètres, de chez Jeanneau qu’elle va entièrement refaire avec l’aide de son père. C’est le fameux Guppy avec lequel elle va établir son record.

Laura quitte enfin le port de Den Osse aux Pays-Bas le mercredi 4 août 2010, en compagnie de son père, pour rejoindre Lisbonne au Portugal d’où elle compte commencer son tour du monde à la voile en solitaire avec escales et assistance en prenant la route de l’Ouest. Malheureusement, arrivés là-bas, la paire se heurte de nouveau aux autorités qui ne veulent pas laisser partir Laura seule. Ils rejoignent donc Gibraltar, ancienne colonie britannique, extérieure à l’Europe où ils espèrent que le gouvernement hollandais n’arrivera pas à interférer à temps pour empêcher Laura de partir. Le 21 août 2010, elle commence enfin son voyage solo.

Sa route a été la suivante :
21 au 25/08/2010 : Gibraltar – Lanzarote (Canaries) : 650 milles
21/09/2010 : Lanzarote – Gran Canaria (Canaries) : 130 milles
10 au 16/11/2010 : Gran Canaria (Canaries) – Sal (Cap Vert) : 780 milles
17 au 18/11/2010 : Sal – Sào Nicolau (Cap Vert) : 85 milles
02 au 18/12/2010 : Sào Nicolau (Cap Vert) – Saint Martin : 2223 milles
20 au 21/01/2011 : Saint-Martin – Les Saintes : 154 milles
26/01/2011 : Les Saintes – La Dominique : 20 milles
02 au 05/02/2011 : La Dominique – Bonaire : 450 milles
14 au 19/03/2011 : Bonaire – San Blas : 670 milles
29 au 30/03/2011 : San Blas – Colòn (Panama) : 80 milles
10/04/2011 : Colòn (Panama) – Canal de Panama : 43 milles
16/04/2011 : Panama – Las Perlas : 50 milles
19 au 26/04/2011 : Las Perlas – Galàpagos : 900 milles
08 au 25/05/2011 : Galàpagos – Hiva Oa (Marquises) : 3.000 milles
01 au 06/06/2011 : Hiva Oa (Marquises) – Tahiti : 700 milles
13/06/2011 : Tahiti – Moorea : 18 milles
17 au 18/06/2011 : Moorea – Bora-Bora : 130 milles
27/06 au 09/072/011 : Bora-Bora – Tonga : 1.300 milles
14 au 17/07/2011 : Tonga – Suva (Fiji) : 470 milles
27/07 au 30/07/2011 : Suva (Fiji) – Port Vila (Vanuatu) : 600 milles
09 au 24/08/2011 : Port Vila (Vanuatu) – Darwin (Australia) : 2.400 milles
26/09 au 11/11/2011 : Darwin (Australia) – Durban (South Africa) : 6.000 milles
17 au 19/11/2011 : Durban – Port Elizabeth (South Africa) : 420 milles
24 au 26/11/2011 : Port Elizabeth – Cape Town (South Africa) : 470 milles
12/12/2011 au 21/02/2012 : Cape Town (South Africa) – Saint Martin : 5.800 milles.

Sur son trajet, elle prend le temps de s’arrêter un peu partout. Elle prend des photos, filme des bouts de son aventure, elle affronte des tempêtes et réussit à rentrer saine et sauve à Saint-Martin. Au total son périple aura duré 1 an et demi. 400 personnes sont présentes pour l’applaudir lorsqu’elle accoste au ponton du Yacht-Club. Parmi elles, ses parents, sa sœur et de nombreux proches bien évidemment.

Laura vient de prouver que, même si tout tout le monde ne peut pas faire un tour du monde à la voile en solitaire, elle, elle en est capable !

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Une femme à bord, ça porte malheur ?

Autrefois, les navires étaient moins rapides qu’à l’heure actuelle, ce qui signifiait de longues traversées de plusieurs mois parfois. Dans un espace restreint, avec beaucoup d’hommes à bord, loin de leur famille et de leur femme, il est apparu plus simple d’interdire les femmes à bord pour éviter toutes tensions (convoitises, jalousies, brutalités) pouvant aller jusqu’à mettre le bateau en danger. Sachant que les marins sont très superstitieux, rien de plus facile pour cela de faire courir le bruit qu’elles portaient malheur à bord !!!

D’ailleurs, si une femme devait venir à bord en tant que passagère, s’il se passait quoi que ce soit à bord, c’était forcément de sa faute et elle pouvait être maltraitée !

Le Roi de France, lui-même avait promulgué la règle suivante : « Par ordre du Roi, la présence de toute femme sur un bateau de Sa Majesté est interdite, sauf pour une courte visite ; un mois de suspension sera requis contre l’officier qui contreviendrait à cet ordre et quinze jours de fer pour un membre de l’équipage qui, lui-même, n’y souscrirait point ».

La superstition a d’ailleurs tenu bon jusqu’au 18ème siècle. Toutefois, certaines femmes de l’époque ont su s’intégrer à des équipages de pirates, comme Anne Bonny ou Mary Read, les deux les plus connues. Ok, elles se faisaient passer pour des garçons, mais tout de même ! On connait moins, Jeanne Barret, qui est la première femme à avoir fait le tour du monde, elle-aussi déguisé en homme, en embarquant sous le nom de « Jean Baré » pour une expédition dirigée par Louis-Antoine de Bougainville en 1766.

Aujourd’hui, les femmes sont acceptées à bord même si certains équipages refusent encore totalement toute présence féminine à bord, notamment dans le secteur de la pêche. La marine, d’ailleurs, compte de plus en plus de femmes dans ses rangs. Elles sont également de plus en plus nombreuses à participer à des courses au large : Florence Arthaud, Ellen Mc Arthur, Anne Caseneuve ou encore Samantha Davies. Toutefois, il est encore difficile pour elles de prendre place dans des équipages mixtes à cause de la promiscuité ou de la différence de force physique comme l’explique Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) « Pouvoir vivre à bord d’un bateau, pendant quinze jours, trois semaines ou un mois dans un petit espace, ça peut être plus compliqué pour un équipage mixte, en raison de la promiscuité » et Franck Cammas qui préfère les équipages 100% masculins sur la Volvo Ocean Race « parce que les femmes manquent de force physique. C’est comme si on demandait pourquoi il n’y a pas de femme en équipe de France de rugby. C’est une évidence. On recherche des gabarits puissants ».

Une nouvelle règle de la Volvo Ocean Race vise d’ailleurs à féminiser les équipages en imposant des quotas… Vive l’évolution des mentalités !